Terre des Hommes

 

 

 

 

Antoine de SAINT-EXUPÉRY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une Lecture

 

 

de

 

 

 

Terre des Hommes”

 

 

 

 

 

 

oOo

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION :

 

 

RAPPORT de l'ŒUVRE et de la VIE

 

 

 

Antoine de Saint-Exupéry naît à Lyon en 1900. Sans étudier sa biographie, on peut imaginer qu'il eut une enfance heureuse et privilégiée. Il évoque dans “Terre des Hommes” au Chapitre IV, cette enfance :

 

Il était quelque part un parc de sapins noirs et de tilleuls et une vieille maison que j'aimais…

 

Il a souvenir de la vieille gouvernante qui “ trottait comme un rat, toujours vérifiant, dépliant, repliant, recomptant le linge blanchi …

 

C'est sans doute en cette enfance qu'on peut trouver la source de la sensibilité d'Antoine de Saint-Exupéry, l'origine du rêve qui, au milieu de l'action, l'envahit, prolongeant l'action et lui donnant un sens.

 

Il écrit dans ce même chapitre de “Terre des Hommes”

 

Ah, le merveilleux d'une maison n'est point qu'elle vous abrite ou vous réchauffe, ni qu'on possède les murs. Mais bien qu'elle ait lentement déposé en nous ces provisions de douceur. Qu'elle forme dans le fond du coeur ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes ...

 

Antoine de Saint-Exupéry fait ses études à Paris au Lycée Bossuet, puis au Lycée Louis-le-Grand, où il prépare le Concours d'Entrée à l'Ecole Navale. Mais, dès le lycée, quoiqu'il ait choisi une filière scientifique, il est un littéraire ; il écrit des contes, un drame poétique, et ne manque pas d'étonner ses camarades.

 

Il échoue au Concours de Navale. Il a vingt ans et part au Service Militaire, dans l'aviation. A son retour, il devient représentant de commerce, et parcourt la province pour vendre des camions.

Mais, à chacun de ses passages à Paris, ce sont avec ses amis des discussions littéraires, à la Brasserie Lipp à Saint-Germain des Prés.

 

Antoine de Saint-Exupéry écrit toujours. Grâce à une cousine, il rencontre le cercle des écrivains liés à la Nouvelle Revue Française : André Gide puis Paul Valéry et Léon Paul Fargue.

Jean Prévost s'intéresse à lui. Il publie dans une Revue une longue nouvelle : “L'Aviateur”.

Il est remarqué, apprécié, estimé. Ses amis s'étonnent qu'il ne choissise pas de faire une carrière littéraire.

Il leur répond : Avant d'écrire, il faut vivre.

 

Tel est, dès ce moment, le souci qui habite, qui hante Antoine de Saint-Exupéry. Ni représentant de commerce, ni écrivain de profession, le seul métier est peut-être d'être un Homme …

 

C'est le moment de la naissance de l'Aviation Postale. La Compagnie privée “Latecoère” recherche de nouveaux pilotes pour développer son réseau d'avions postaux.

Antoine de Saint-Exupéry pose sa candidature. Engagé, il brusque son départ et sa rupture tant avec ses amis qu'avec la vie littéraire parisienne.

 

Pour lui, la vie commence.

 

On connait la suite : il est d'abord pilote de ligne sur le parcours Toulouse-Casablanca. Il est ensuite nommé Chef d'Escale à Cap-Juby dans le Rio de Oro et chargé de mettre en service les lignes de Patagonie. Puis, il sera pilote d'essai, ouvrant les raids Paris-Saigon et Paris- New-York.

La guerre de 1940 le retrouve pilote de reconnaissance. En 1942, après la défaite, il rejoint la France Libre en Afrique du Nord. C'est lors d'une mission de reconnaissance entre la Corse et la France, en 1944, que son avion est abattu et qu'il disparaît en Méditerranée.

 

Antoine de Saint-Exupéry homme d'action, n'a pas cessé d'écrire. Il fait le récit de ses expériences : en 1929, c'est la publication de “Courrier Sud” ; en 1931 : “Vol de Nuit”.

Il est devenu le Pilote-Ecrivain.

 

En 1939, il publie “Terre des Hommes”.

 

Il ne s'agit plus de récit seulement, mais de réflexion. Après avoir décrit ses expériences, son métier d'aviateur, maintenant il s'interroge sur son “ métier ” ...

Ce métier est sa vie et celle de ses camarades ; mais quel est le sens de cette Vie ? Qu'est-ce que cette Vie nous apprend sur l'Homme ?

 

“Terre des Hommes”, ce sont les étapes de cette interrogation, et les réponses qu'Antoine de Saint-Exypéry nous propose, pour tout dire : une Philosophie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Les étapes de la réflexion de Saint-Exupéry

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L'introduction du Livre

 

 

Si c'est bien une philosophie qu'Antoine de Saint-Exupéry nous propose, ce n'est pas au sens où l'entendent les philosophes. Il ne s'agit pas d'une vérité “métaphysique” qu'on apprend dans les livres et qui serait réservée à quelques uns.

 

La terre nous en apprend plus long que tous les livres.

 

Dès les premières pages, Antoine de Saint-Exupéry nous le précise : La vérité concernant le sens de la vie humaine se trouve dans l'expérience de chaque homme.

 

Qu'est-ce que l'expérience ? Ce n'est pas quelque aventure spirituelle ou une démarche intellectuelle : c'est le lieu où l'homme “ se mesure ” avec la terre, à laquelle il doit arracher ses secrets par son travail, avec des outils.

L'avion n'est pas une machine miraculeuse mais un outil comme les autres. Entre les mains du pilote il est comme le rabot entre les mains du charpentier, comme la charrue entre les mains du laboureur.

Chaque homme -que ce soit l'astronome, le poète, le charpentier ou le laboureur-, est ainsi confronté avec la nature. Et c'est dans cette confrontation avec les obstacles, qu'il peut découvrir, comprendre ce qu'est un Homme, et le sens de la Vie.

 

Lorsqu'il fréquentait avec ses amis les cercles littéraires parisiens, l'on jouait au théatre la pièce de Pirandello : “A chacun sa Vérité”.

Et Antoine de Saint-Exupéry contredisant violemment ses amis, s'était écrié : “ Votre Pirandello,c'est une métaphysique de concierge.

Il condamnait ainsi une philosophie qui prétend que chaque homme détient une vérité qui est sienne, différente de celle des autres et exprimant ce que les philosophes appellent sa “ subjectivité ”.

Pour les uns, ce peut être la fortune, pour d'autres la quiétude du bonheur, pour d'autres encore la passion ou le risque. Chacun détenant “ sa Vérité ”, les hommes sont étrangers les uns aux autres : ils ne peuvent “ communiquer ” entre eux.

 

La “ Philosophie d'Antoine de Saint-Exupéry ” est le contraire de cette philosophie, qu'il appelle une “ métaphysique de concierge ”.

Pour Antoine de Saint-Exupéry, si l'on veut comprendre la vie, il faut commencer par vivre : Faire un métier d'hommes, surmonter des obstacles : -ce que chacun découvre alors-, c'est une vérité qui est valable pour tous, parce qu'elle exprime une même expérience.

Ce que chaque homme trouve en lui-même, dans cette expérience de la vie, ce n'est pas un individu singulier, exceptionnel, c'est “l'Homme” : une vérité de l'Homme qui est commune à tous.

 

Cette démarche d'Antoine de Saint-Exupéry dans “Terre des Hommes” est celle de tous les grands moralistes depuis Montaigne : chacun, s'analysant lui-même, découvre en soi, par-delà ses particularités, sa singularité, la forme de “ l'Humaine Condition ”.

La démarche d'Antoine de Saint-Exupéry porte un nom : “L'Humanisme”.

 

En 1939, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale ; Antoine de Saint-Exupéry dans “Terre des Hommes” nous propose un nouvel humanisme : une compréhension de l'homme, un sens de la vie humaine qui soient universels.

 

Le paysan, dans ses labours, arrache peu à peu quelques secrets à la nature, et la vérité qu'il dégage, est universelle.

 

Quelle est cette vérité qu'Antoine de Saint-Exypéry veut nous communiquer ?

 

 

 

1ère Étape de la réflexion : 1ère réponse

 

 

On peut la formuler ainsi :

 

La vie n'est : 1) ni l'inconscience d'une vie prisonnière de la routine

2) ni une aventure exaltée par le risque

 

C'est un métier : - le métier d'Homme -

 

 

1 - Rejetd'uneviecaractériséeparl'inconscience quand l'homme, prisonnier de la routine, ne se pose pas même la question du sens de la vie.

 

Dans le premier chapitre de “Terre des Hommes”, Antoine de Saint-Exupéry évoque quelques unes de ces vies “ inconscientes ”, et ces hommes qui ont perdu “le sens” de leur vie : chauffeur taciturne, employé vieilli, petit bourgeois provincial ...

Il faut ajouter à ces personnages tous ceux que le Petit Prince ira rencontrer sur les autres planètes : l'allumeur de reverbères, le financier, etc ...

Combien d'existences sont ainsi privées de lumière ! Combien d'hommes ne sont plus ou n'ont jamais pu devenir des Hommes !

 

Brusquement, écrit Antoine de Saint-Exupéry, m'apparut le visage de la destinée. ”

 

Et, s'adressant au vieux bureaucrate, il poursuit :

 

Ce vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t'a fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans la sécurité bourgeoise, les routines, les rites étouffants de la vie provinciale ...

Tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse …

Nul ne t'a saisi par les épaules, quand il en était temps encore. Maintenant la glaise dont tu es formé a séché et s'est durcie.

 

Pour tous ces hommes, formés de glaise, la glaise a séché, avant même qu'ils ne puissent prendre forme humaine.

 

Dans cette réflexion d'Antoine de Saint-Exupéry, il y a tout autre chose que la simple condamnation de la petite vie bourgeoise dont la routine, les rites, la sécurité étouffent l'homme et le changent en une caricature de lui-même.

Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le mouvement surréaliste avait dénoncé l'aliénation de l'individu par la société bourgeoise : c'est un système de valeurs, de fausses valeurs : - la religion, la morale, mais aussi la littérature, et, plus profondément, l'idée que, dans cette culture, l'Homme se fait de lui-même, réduisant son être et son existence à la conscience claire de soi - dont les barrières limitent le champ de sa liberté, lui interdisant de “ vivre ”.

Pour le surréalisme, détruire ce système de culture suffirait à libérer l'Homme en révélant à l'individu tous ces pouvoirs de création, de manifestation de soi.

 

Quand Antoine de Saint-Exupéry écrit “Terre des Hommes”, en 1939, nous sommes loin de la révolte surréaliste. De grands mouvements sociaux ont eu lieu en France : la période du Front Populaire, où les ouvriers sont apparus, porteurs de revendications “ humaines ” : limitation de la durée du travail, droit aux congés et aux loisirs, droit à la santé …

Ainsi, “ le visage de la destinée ”, tel qu'il apparaît à Antoine de Saint-Exupéry, n'est pas seulement le destin de l'individu dont la création, la manifestation de soi sont “interdites” par tout un système de culture (religion, morale, psychologie), c'est le sort de millions d'hommes qui est en cause, parce qu'ils sont mutilés par la vie qui leur est faite.

L'Humanisme d'Antoine de Saint-Exupéry doit prendre en compte ce constat : ce ne sont pas les fausses valeurs, -la culture- qui limitent tel ou tel individu : artiste, poète créateur. Ce sont les conditions d'existence des hommes, -de tous les hommes- qui étouffent en eux toutes les possibilités humaines, l'humanité dont tout homme est porteur ; et qui interdisent à chacun de devenir astronome, poète, musicien , en un mot, créateur.

 

Mon camarade, ici présent, tu n'es pas responsable, nul ne t'a saisi par les épaules quand il en était encore temps ...

Nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi ou le poète ou l'astronome qui peut-être l'habitait d'abord.

 

Antoine de Saint-Exupéry reviendra dans les dernières pages de “Terre des Hommes” sur la portée de cet humanisme nouveau qu'il cherche à définir, qui concerne non pas l'individu mais tous les hommes.

Il faut partir de ce constat : “ C'est quelque chose comme l'espèce humaine, non l'individu qui est blessé ici, qui est lésé.

C'est ce constat qui, pour Antoine de Saint-Exupéry, condamne toute interprétation de la vie comme une aventure individuelle.

 

 

2 - Lavien'estpasuneaventure, dont le risque ferait tout le prix.

 

Dès les premiers chapitres (I et II.1), Antoine de Saint-Exupéry dénonce cette interprétation de la vie comme une aventure, en évoquant “La Ligne” et la vie de ses “camarades”.

En 1926, quand il entre à la Compagnie Latecoère, pourtant l'Aviation est une Grande Aventure : Traversée du Sahara hostile pour joindre Casablanca à Dakar, franchissement de la Cordillière des Andes, survol de l'Atlantique Sud, autant de missions qui comportent des risques quotidiens.

Jean Mermoz, Guillaumet, tous les camarades d'Antoine de Saint-Exupéry sont des pionniers.

Dans ces conditions, la tentation est grande de considérer ce métier comme une aventure, de comprendre la motivation de ces hommes par le goût du risque, et d'exalter la vie comme un triomphe précaire sur la mort.

 

La figure légendaire de Jean Mermoz n'est pas étrangère à ce mythe.

 

Le souci d'Antoine de Saint-Exupéry dans “Terre des Hommes”, en évoquant la vie de ses camarades, les risques, les échecs et les réussites, est de montrer que chaque obstacle vaincu, chaque victoire n'est pas un exploit individuel mais la mise en œuvre quotidienne d'un métier difficile, qui met en jeu la solidarité d'une équipe.

Chacun est le maillon d'une chaîne et, l'obstacle vaincu, il transmet aux autres, pour qu'ils labourent et continuent le sillon qui a été tracé

Ainsi, Jean Mermoz n'est pas un héros mais l'un de ses camarades, qui transmet aux autres :

 

Quand les Andes furent bien explorées, une fois la technique bien au point, Mermoz confia ce tronçon à son camarade Guillaumet, et s'en fut explorer la nuit.

 

Quand il évoque la disparition de Jean Mermoz dans l'Atlantique-Sud, Antoine de Saint-Exupéry écrit :

 

Après douze années de travail, il signala par un bref message qu'il coupait le moteur arrière. Puis le silence se fit.

 

La mort n'est pas l'ascension du héros, mais un évènement naturel, le moment d'un parcours, où l'on passe de l'un à l'autre un relais :

 

Ainsi va la vie. Nous nous sommes enrichis d'abord, nous avons planté pendant des années, mais viennent les années où le temps défait ce travail et déboise. Les camarades un à un nous retirent leur ombre.

 

L'Aviation est un métier. Le pilote est l'un des “ membres dispersés d'une grande famille professionnelle.

 

Et Antoine de Saint-Exupéry conclut :

 

Telle est la morale que Jean Mermoz et d'autres nous ont enseignée.

 

Mais quelle est cette morale ? Qu'est-ce qui fait la grandeur d'un métier ? Telle est la question à laquelle Antoine de Saint-Exupéry doit répondre.

 

 

3 - Lavieestunmétier ”. Cequifaitlagrandeurd'unmétier, cesontles relations humaines.

 

Après avoir évoqué la vie de ses camarades, après avoir décrit ce métier qui est le leur, et qui les relie les uns aux autres, Antoine de Saint-Exupéry peut apporter une première réponse à cette question :

- Qu'est-ce qui fait la valeur d'un métier ? Comment comprendre qu'il vaille la peine de vivre ?

Voici sa réponse :

 

La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir les hommes : il n'est qu'un luxe véritable, c'est celui des relations humaines ...

 

Et il ajoute :

 

En travaillant pour les seuls biens matériels, nous nous bâtissons nous-mêmes une prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille la peine de vivre.

Voici donc la découverte d'Antoine de Saint-Exupéry, la première vérité et la base de son humanisme :

Ce qui est premier, ce qui est essentiel, ce qui définit l'Homme, ce n'est pas son isolement, sa solitude. Cette solitude, nous la bâtissons nous-mêmes comme une prison où nous nous enfermons parce que nous nous confondons avec ce que nous possédons : nos biens et notre fortune, nos rôles et nos personnages.

Comme diront les philosophes : l'Homme confond son être avec son Avoir. Et dès lors, la distance entre les Hommes est infranchissable : nos relations avec les autres ne sont que fausse-monnaie, une “ monnaie de cendre ”.

 

Quelles sont les vraies “ relations humaines ” ?

 

Non pas ces relations humaines où seuls nos personnages se rencontrent, sans que nous puissions nous rejoindre, parce que nous sommes devenus étrangers les uns aux autres : des caricatures de nous-mêmes.

Les vraies relations humaines sont les liens qui unissent les hommes dans un métier, dans un travail : ces liens, nous dit Antoine de Saint-Exupéry, sont le “ luxe ” -l'essence- de la vie.

 

Quel est le sens de cette découverte, qui est la première réponse d'Antoine de Saint-Exupéry aux grandes questions “ que les hommes se posent concernant la valeur de leur existence ?

Certes, il ne s'agit pas de ces relations “ mondaines ” où chacun joue un rôle -un personnage- ; mais ces liens sont différents aussi de ces relations “ personnelle ” que l'on vit dans l'amour ou dans l'amitié.

Amitié, amour unissent mystérieusement deux êtres : chacun s'adresse à l'autre comme à un être unique, singulier, irremplaçable. “ Parce que c'était lui, parce que c'était moi.” disait Montaigne, parlant de son amitié avec La Boétie.

Dans l'amitié, dans l'amour, le lien se noue entre deux partenaires quand ils se rencontrent, comme s'ils se reconnaissaient, comme s'ils découvraient en même temps ce qu'ils sont : leur véritable identité.

 

Dans le travail, dans un métier, tout se passe comme si le lien entre les hommes précédait leur rencontre. Les personnalités peuvent être différentes, voire opposées ; le lien se crée : il existe pour ainsi dire avant que les individus ne s'affirment, indépendamment de leur singularité.

 

Quelle différence par exemple entre la personnalité de Jean Mermoz et celle d'Antoine de Saint-Exupéry. Et pourtant, entre eux et avec les autres, il existe des liens “essentiels”, qui quotidiennement et profondément constituent la trame de leur vie.

 

Quel est le secret de ces liens, qui est en même temps le secret de leur vie ?

C'est au travers de ce métier- la poursuite d'un but qui leur est commun. Peu importe le but, qui peut apparaître comme dérisoire comparé aux efforts mis en œuvre pour l'atteindre.

Tel est bien le cas du courrier postal : correspondance commerciale ou sentimentale ; la transmission du courrier vaut-elle la peine que des Hommes risquent leur vie ?

Ce n'est pas le but qui compte, c'est la communauté des hommes sans laquelle aucun but ne saurait être atteint, sans laquelle aucune tâche “ humaine ” ne saurait être accomplie.

 

Si ces liens sont essentiels, si -par leur nature même-, ils définissent l'Homme, n'est-ce pas parce que la vie n'a de sens humain que comme histoire de “ l'Espèce Humaine ” ?

Telle est la grande question qui est au centre de l'Humanisme d'Antoine de Saint-Exupéry.

Il faut un mot pour désigner ces liens, qui semblent constituer l'essentiel de notre humanité. Et ce mot, c'est le mot “ Camarades ” .

Ce n'est pas un hasard si Antoine de Saint-Exupéry emploie ce mot emprunté au vocabulaire des syndicats et des partis révolutionnaires.

Camarade ” désigne le membre d'un Groupe, d'une Collectivité où les hommes sont liés entre eux par une même situation et par un but commun : dans les Partis et les Syndicats, appartenance à la classe ouvrière et projet de transformation sociale.

Etymologiquement : ceux qui subissent le même sort et qui font quelque chose ensemble.

 

Avec Antoine de Saint-Exupéry l'emploi de ce mot va revêtir une tout autre portée. Dans ce chapitre, il ne désigne encore que ses camarades de l'Aéropostale.

Mais déjà il est sous-entendu que le mot s'adresse non seulement aux pilotes mais à tous les hommes. Antoine de Saint-Exupéry -souvenons-nous- s'adressant au vieux bureaucrate , n'hésitait pas à écrire :

 

Toi vieux camarade, ici présent.

 

Le mot “ Camarades ” s'adresse non pas seulement aux membres d'un Groupe, d'une Collectivité, ni d'une Classe ou d'un Parti. Ce sont tous les hommes qui méritent d'être appelés “ camarades ”.

N'est-ce pas parce que ces rapports de camaraderie, naissant de la poursuite d'un même but, constituent l'essence même de la Collectivité des hommes ? N'est-ce pas parce que l'Humanité -ce qui distingue l'Espèce Humaine- se définit comme une Collectivité, une Communauté dont l'Histoire a un sens, une direction, une perspective ?

Sur le chemin de cet humanisme nouveau qui affirme l'impossibilité de définir et de comprendre l'Homme en dehors de la collectivité des Hommes, Antoine de Saint-Exupéry va faire un pas de plus dans sa réflexion, dans sa méditation et pose la question :

 

 

 

QU'EST-CE QUE L'HOMME ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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2ème étape de la réflexion et réponse à la question :

 

 

 

Qu'est-ce que l'Homme ? Comment le définir ou le comprendre ?

 

 

C'est le récit de “ l'aventure ” de Guillaumet, perdu dans la Cordillière des Andes qui va permettre à Antoine de Saint-Exupéry de découvrir (une partie de) la réponse.

A peine est-il “ miraculeusement ” sauvé que Guillaumet prononce cette phrase, qui résume son expérience :

 

Ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait.”

 

Imaginons que l'on fût au temps -qui est le nôtre- de la communication médiatique : l'aventure de Guillaumet serait à la Une des exploits : un courage exceptionel, une volonté surhumaine ; le miracle de l'Homme lorsqu'il est un Héros !

 

Antoine de Saint-Exupéry répond :

 

Si on lui parlait de son courage, Guillaumet hausserait les épaules. Mais on le trahirait aussi en célébrant sa modestie ...

S'il hausse les épaules, c'est par sagesse.

 

Or, que nous répond Guillaumet par la voix d'Antoine de Saint-Exupéry ?

Loin qu'il faille pour comprendre la victoire de Guillaumet sur les Andes, malgré la neige et le froid glacial, comparer l'Homme à un demi-dieu en en faisant un héros, il faut le comparer à l'animal.

Qu'est-ce à dire, sinon que pour comprendre l'Homme -son Humanité- il n'est pas besoin d'invoquer la volonté, la force de l'âme, quelque mystérieux pouvoir, l'intervention de quelque principe divin ou surnaturel ?

 

Quel est le fait, concrétisé par l'expérience de Guillaumet ?

Là où une bête, épuisée ou malade, va se coucher pour mourir, un homme n'abandonne pas, ne se laisse pas aller. Alors même qu'il est parvenu à la limite de ses forces, l'homme trouve en lui la force de dépasser seslimites. Alors qu'il a atteint l'épuisement total, il puise en lui les ressources pour continuer, pour survivre.

Comment expliquer cette force, ce sursaut qui doit être renouvelé à chaque pas ? Si cette force n'est pas quelque mystérieux pouvoir, ne s'agit-il pas d'un instinct qu'on appelle “instinct de conservation” ? Mais, pourquoi les animaux en seraient-ils dépourvus ?

 

Dans la neige,explique Guillaumet, on perd tout instinct de conservation. Après deux, trois, quatre jours de marche, on ne souhaite plus que le sommeil ...”

 

Et pourtant, à chaque fois qu'il est près de s'endormir, Guillaumet s'éveille “en sursaut”. D'ou vient ce “sursaut” ?

 

A cette question, le philosophe n'a que deux réponses : l'idéalisme “spiritualiste” qui invoque la présence en l'Homme d'un pouvoir spirituel ; et le matérialisme “biologiste” qui cherche dans l'instinct l'explication de ce pouvoir.

N'est-ce pas l'expérience concrète qu'il faut interroger ? Comment Guillaumet a-t-il pu toujours se relever ? Où a-t-il trouvé la force d'aller toujours plus loin, pas à pas ?

 

 

Ecoutons-le :

 

Je me disais : ma femme, si elle croit que je vis, croit que je marche. Les camarades croient que je marche. Ils ont tous confiance en moi … Je suis un salaud si je ne marche pas. ”

 

Ce qui rattache Guillaumet à la vie, ce sont les liens avec les autres, avec sa femme, avec ses camarades, avec ceux qui l'aiment et qui lui font confiance. A l'instant où il est prêt à s'abandonner, à consentir à la mort pour ne plus souffrir, l'essentiel de sa “ vie ”, ce qui en fait la valeur, ce n'est rien d'autre que “ ses liens ”, “ ses rapports ” avec les autres.

Ces liens sont la seule réalité qui reste “ vivante ” ; rien n'existe plus de son être que ce par quoi il appartient aux autres.

A tel point qu'il ressent la tentation de la mort qui apaiserait ses souffrances, comme une trahison des autres ; de sa femme, de ses amis, de ses camarades.

 

Dans la première étape de sa réflexion, Antoine de Saint-Exupéry avait découvert que les liens qui nous unissent aux autres sont le “ luxe ” de la vie. Il découvre maintenant que ces liens avec les autres constituent toute notre réalité, notre être même.

Si ces liens n'existaient pas, si les autres ne l'aimaient pas, ne comptaient pas sur lui, Guillaumet pourrait se laisser mourir.

Le devoir de vivre qu'il éprouve n'est rien d'autre que l'obligation de répondre aux autres.

Du verbe répondre -(en latin : respondere)- vient le nom de responsabilité.

 

RESPONSABILITE ”, tel est le mot qui, pour Antoine de Saint-Exupéry, définit le sens même de la vie.

Dès le moment où l'homme -un individu- a des liens avec d'autres hommes, il doit participer -à ce monde des Hommes-, à ce “ village d'Hommes ” qu'ils bâtissent sur la terre, ensemble.

Il n'y a pas d'autre univers, pas d'autre village sur la terre que cette communauté des Hommes : mourir, c'est abandonner la partie, c'est trahir cette communauté ; dans la construction de ce village, dans ce travail des hommes pour bâtir le Monde Humain -leur citadelle- sur cette planète, chacun, à sa place, tient son rôle ; chacun apporte sa pierre - chacun a sa responsabilité.

 

Être un Homme n'est rien d'autre que d'être responsable.

 

c'est-à-dire prendre sa part du destin des Hommes.

La véritable qualité de l'Homme, ce n'est ni la force, ni le courage, ni l'intelligence.

Ce qui le définit, ce qui fait sa grandeur, c'est : (écrit Antoine de Saint-Exupéry)

 

de se sentir responsable.

 

Et Antoine de Saint-Exupéry poursuit :

 

Être responsable de lui, du courrier, de ses camarades. Il tient dans ses mains leur peine ou leur joie. Responsable de ce qui se bâtit de neuf, là-bas, chez les vivants, à quoi il doit participer. Responsable un peu du destin des Hommes, dans la mesure de son travail.

 

Et il ajoute :

 

Être responsable, c'est sentir, en posant sa pierre que l'on contribue à bâtir le monde.

 

Antoine de Saint-Exupéry évoque l'image du jardinier, qui lutte contre la mort, avec courage, soutenu par cette seule pensée : après ma mort, si je meurs, qui va tailler mes arbres ?

Nous sommes au cœur même de l'humanisme nouveau que nous propose Antoine de Saint-Exypéry

Cherche -t-on ce qu'est l'Homme ? - Se demande-t-on quel est le sens et la valeur de la vie ?

Lorsque les Philosophes cherchaient à répondre à ces questions, ils voulaient définir l'Homme par une qualité, une “ nature ” qui lui appartiendrait comme un bien sur cette terre : son âme par exemple, son individualité biologique. Quoi d'autre encore ?

Les philosophes oubliaient l'essentiel : interroger les hommes réels, dans leur vie concrète, pour tout dire : dans leur travail, qui est le seul lien où les hommes forment une collectivité pour arracher à la nature ses secrets.

 

Or, si l'on considère les hommes dans leur activité concrète, dans leur travail, quelque chose nous est révélé : l'Homme que l'on cherchait n'existe pas en dehors des liens qui l'unissent aux autres, quand ils poursuivent ensemble un même but, quand ils bâtissent une même maison.

Sur cette planète, il n'existe pas d'Hommes mais seulement “ des villages d'Hommes ”.

 

Chacun est responsable -pour sa part- de ce qui se bâtit de neuf, auquel il doit participer. ”

 

Avec Antoine de Saint-Exupéry, voici un grand pas réalisé sur le chemin qui conduit à un humanisme nouveau et à une nouvelle morale.

 

Dans le dernier chapitre de “Terre des Hommes”, il écrit :

 

Liés à nos frères par un but commun et qui se situe en dehors de nous, alors seulement nous respirons et l'expérience nous montre qu'aimer ce n'est point nous regarder l'un l'autre, mais regarder ensemble dans la même direction.

 

 

 

 

3ème étape : Le sens de la démarche d'Antoine de Saint-Exupéry

 

 

Mais quel est ce but commun ?

 

S'il est situé hors de nous, c'est-à-dire au delà des individus, il n'est pas pourtant situé ailleurs que sur la terre des hommes.

Et, s'il s'agit bien d'une direction, ne faut-il pas admettre que l'histoire des hommes a un sens ?

Pour répondre à ces questions, Antoine de Saint- Exupéry a un grand pas à franchir.

 

Car, partant de son expérience personnelle (individuelle), il a posé cette question, dont Albert Camus dira, à la même époque, qu'elle est, à elle seule, toute la philosophie :

 

- Pourquoi la vie vaut-elle la peine d'être vécue ?

- ou : Quel est le sens de notre vie ?

 

C'est bien, comme nous l'avons indiqué, toute la période historique, précédant la Seconde Guerre mondiale (1933-1940) qui pose cette question à toute une génération d'intellectuels.

Après la crise économique de 1929, qui prolonge ses effets en France jusqu'en 1935, c'est la montée du fascisme en Allemagne, qui en France prend le visage des Ligues fascistes, occupant la rue ; Face à la menace fasciste et aux effets de la crise économique, c'est le grand mouvement du Front Populaire, qui unit à la lutte antifasciste les revendications de conditions de travail et de vie plus “ humaines ”, propres à la classe ouvrière.

L'éclatement de la Guerre Civile en Espagne concrètise le lien entre la menace fasciste contre la république et la réaction des couches dirigeantes contre les masses populaires.

L'échec du Front Populaire, choisissant la politique de la non-intervention en Espagne, le retour au pouvoir de la bourgeoisie préférant la victoire du fascisme à celle du Front Populaire, ses reculs et sa démission (1938) devant l'hitlérisme, autant d'évènements qui pour beaucoup -et pour les intellectuels en particulier- viennent contredire une espérance qui n'était pas directement la leur.

Pour les intellectuels de cette génération, cette expérience a bien un double sens : d'une part, c'est la “ découverte ” de l'existence des masses populaires : “ la masse de ces sous-hommes aux portes de nos villes ”, dira Jean-Paul Sartre, privés de tous droits à une existence “ humaine ”, qui, avec le Front Populaire entrent sur la scène de l'histoire.

D'où cette question : N'est-ce pas à travers eux -cette grande majorité des hommes- que l'histoire a peut-être un sens ?

Mais, d'autre part, c'est aussi, plus directement pour les intellectuels, la faillite de la bourgeoisie, qui pour eux, représente l'effondrement de toutes les valeurs, de l'humanisme qui constitue leur culture :

Plus rien ne permet de vivre ni de penser comme “ avant ”, comme cette classe sociale dont ils sont issus.

 

Séparés de cette grande majorité des hommes, dont on peut douter qu'ils soient capables de faire l'histoire, et devenus étrangers à leur propre classe . ÊL(0ÊL(0D.. ÊL(0ÊL(0ÂESOURCEFRKÊL(0ÊL(0EÂdocˇˇ¤o»ˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇˇÂbiogr¤»aphique.ÂLe ge¤L»nre autoÂEGENR~1DOC aT}*/*/≥å(/ ˇˇiners DB][Äˡˇˇ˛dtpldcdc@Ī äª ãˇˇ˝DESKTO~1 ¤_LES ANNEES 20_RΩ][Äˡˇˇ˛WDBNMSWD ≤cõ„ª

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IBMBIO COIBMDOS COMU™un sens ?

 

Il faut d'abord “ vivre ”, a répondu Antoine de Saint-Exupéry. Et le point de départ de sa réflexion permet de mesurer la distance que son expérience de “ la vie ” lui a permis de franchir.

Pour un homme, la vie n'est ni l'inconscience de l'existence bourgeoise prisonnière de sa routine et aveugle à toute vérité, ni l'aventure individuelle où seul le risque donnerait un prix à une existence sans valeur.

S'il est une “ vérité ” de l'homme, elle n'est pas dans l'individu comme tel, qui aurait en lui-même “ valeur ” humaine, elle est dans “ les rapports humains ”, non point dans les sentiments qui nous sauveraient de notre solitude en nous donnant accès à la singularité irremplaçable d'autrui, mais dans les liens qui préexistent aux individus parce qu'ils sont ceux d'une communauté des hommes, dont l'espèce même semble inséparable d'une vocation commune, porteuse d'un avenir “ humain ”.

 

Être homme, c'est être responsable : cela signifie que chaque individu -loin de “faire sa vie” pour soi- est comptable auprès des autres de ce qu'il fait de sa vie.

C'est là une découverte majeure d'Antoine de Saiant-Exupéry et tout à fait indépassable de la réflexion sur la responsabilité :

L'individualité n'est pas donnée à chacun comme une propriété ou une richesse naturelle: elle n'est que “ la part ” de chacun dans une tâche -pour ne pas encore dire : une œuvre- commune.

Si l'on prend l'exemple négatif d'une charge dont le poids exige la mobilisation de quatre porteurs, la responsabilité de chacun se mesure très exactement à la force qui ferait “défaut” en cas de défaillance de l'un d'eux : la charge ne pourrait être “ supportée ”.

Cet aspect “ individuel ”, personnel (ou, comme disent les philosophes : subjectif), -essentiel à l'idée même de responsabilité-, reste inaperçu des hommes parce qu'ils n'ont pas conscience qu'ils sont eux-mêmes les artisans, les producteurs du monde dans lequel ils vivent et parce que leur est masqué le fait qu'ils font eux-mêmes leur histoire.

Mais, il y a plus : c'est précisément parce que les individus ne sont pas conscients de faire -ensemble et chacun pour sa part- ce monde et cette histoire, que, par une sorte de mouvement d'inversion, leur individualité leur apparaît comme une nature qui leur est propre, existant par elle-même, indépendamment de l'activité par laquelle ils produisent ce monde et font cette histoire.

 

Antoine de Saint-Exupéry -à partir de sa propre expérience et sur la base de l'expérience historique de son temps-, dénonce l'illusion de l'humanisme traditionnel, selon laquelle l'Homme pourrait être compris comme “ nature humaine ” (par une propriété attachée à sa nature même), indépendamment des rapports qui l'unissent aux autres hommes :

Dans l'action collective, l'individualité, loin d'apparaître comme une réalité, se révèle n'être rien d'autre que la part de chacun à l'œuvre commune : L'individualité n'existe que dans ce rapport aux autres et, comme l'exprimait Marx un siècle plus tôt, la richesse de l'individu (loin d'être un patrimoine personnel) dépend de la richesse de ses rapports avec les autres.

 

Mais, pour l'intellectuel qui ne participe pas à la production “ réelle ”, pratique de ce monde, et qui, dans des périodes aussi décisives que celle vécue par Antoine de Saint-Exupéry, ne prend pas sa part à l'histoire, n'y-a-t-il pas un obstacle qu'il ne peut franchir, une illusion qu'il ne saurait dissiper ?

Cette illusion dépend de la réalité même du monde où nous vivons : le fait que les choses telles qu'elles sont, la “ réalité ” (économique et sociale) qui constitue le “ monde ” est indépendante de la volonté des individus, échappe à la maîtrise des hommes.

 

Certes, les individus n'existent en tant qu'hommes que comme membres de l'espèce humaine, dont la caractéristique semble bien être celle d'une vocation ou d'un destin commun ...

Pour chacun, sa responsabilité est la part qu'il prend à ce destin.

Mais ce n'est là qu'une des faces de la responsabilité : le moment subjectif, où l'individu prend conscience du fait qu'il est “ partie prenante ” de cette aventure qui est celle de l'espèce humaine.

Mais, peut-on dire quel est le sens -la direction et la signification- de cette aventure, de cette vocation, de ce destin ?

 

Être responsable c'est prendre sa part : tel est le premier moment, “ subjectif ”, de la découverte, mais quel est l'objectif ? Quel est le but ?

Aura-t-on compris la responsabilité des hommes, si l'on ne dit pas de quel destin ou de quel avenir ils sont responsables ?

 

Chacun est responsable pour sa part. ”, écrit Antoine de Saint-Exupéry, mais il est contraint d'ajouter : responsable “ de ce qui se bâtit deneuf auquel il doit participer.

 

Quand on a renoncé à l'humanisme traditionnel qui confondait l'homme avec une nature humaine immuable, pour reconnaître la spécificité de l'homme dans son appartenance à l'espèce humaine, c'est un nouvel humanisme qu'il faut bâtir : l'essence de l'homme n'est-elle pas, dès ce moment, intimement liée à son avenir ?

 

Mais, comment comprendre cet avenir, sans prendre en compte la direction, c'est-à-dire le sens de l'Histoire ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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CONCLUSION :

Le dernier chapitre de “Terre des Hommes” :

la vérité de l'homme et l'avenir des hommes.

 

 

 

 

A - LaQestionPosée

 

 

 

Dans son dernier chapitre, Antoine de Saint-Exupéry entreprend une méditation sur le chemin qu'il a parcouru.

 

 

(1) Une fois de plus j'ai cotoyé une vérité que je n'ai pas comprise. Je me suis cru perdu, j'ai cru toucher le fond du désespoir et, une fois le renoncement accepté, j'ai connu la paix. ”

 

C'est bien un chemin singulier qu'Antoine de Saint-Exupéry a parcouru mais c'est bien aussi l'épreuve d'une génération, pour laquelle tout un monde s'est écroulé : celui des valeurs que la bourgeoisie prônait et qu'elle a trahies, celui où l'image de l'Homme s'imposait comme une vérité immuable, celui d'une culture dont la permanence n'était pas mise en doute.

Pour les héritiers de ce monde-là, qui s'écroule, que peut signifier le grand mouvement des masses populaires -auquel ils ne peuvent prendre part-, sinon la révélation de la condition des hommes ; l'espoir des uns n'a pour eux que le sens d'une grande illusion.

Exclus du mouvement de l'histoire, comment pourraient-ils croire qu'elle eût un sens ?

Et, voici qu'à leurs yeux, l'échec du Front Populaire leur donne raison : Tout s'achève dans la politique, dans l'affrontement des hommes et des idéologies, pendant que les évènements précipitent les hommes, inconscients de leur destin, vers la guerre :

 

Que nous importent, demande Antoine de Saint-Exupéry, les doctrines politiques qui prétendent épanouir les hommes, si nous ne connaissons pas d'abord quel type d'hommes elles épanouissent.

Qui va naître ... ?

 

Et il conclut :

 

l'essentiel, nous ne pouvons pas le prévoir.

 

Au milieu d'un univers qui prépare sa ruine, privés de l'espoir d'un monde et d'un homme à naître, comment ne pas conclure au désespoir ?

 

 

(2) Comme tout penseur, en ce temps-là, une seule question hante Antoine de Saint- Exupéry :

Où est la vérité de l'homme ?

 

Cette vérité existe, parce que les hommes sont capables “ de grandes vocations ”. Certains “ font leur chemin impérieusement dans une direction nécessaire ” ; tous peuvent vivre à la faveur des évènements, des moments de “ plénitude ”.

 

Mais l'Histoire, lue après coup, fait illusion. ”

Là où, rétrospectivement, on croit reconnaître de grands mouvements des hommes, conscients de leur destin et de leur avenir, l'on n'a affaire qu'à des vocations provisoires, de grands incendies où “ les hommes se révèlent plus grands qu'eux-mêmes.

 

Ce n'est là qu'illusion :

 

les vocations aident l'homme à se délivrer ; mais il est également nécessaire de délivrer les vocations. ”

 

Pour que l'histoire eût un sens, il faudrait que ce monde fut déjà devenu la Terre des Hommes. Pour qu'ils maîtrisent leur destin, il faudrait que les hommes eussent déjà changé.

 

On mesure ici l'obstacle qui interdit à Antoine de Saint-Exupéry, le chemin d'une espérance concrète : Ce ne sont pas les hommes réels qui se font en faisant leur histoire : c'est l'homme qu'il faut d'abord changer pour que l'histoire ait un sens humain.

Antoine de Saint-Exupéry a rejeté l'idée d'une nature humaine dont la vérité serait immuable ; il n'a pas renoncé à chercher “ la vérité de l'homme ” en dehors de l'histoire, de l'action réelle des hommes par laquelle ils peuvent transformer leur vie.

 

 

(3) Et voici la troisième étape de cette méditation, qui doit tout à l'expérience d'Antoine de Saint-Exupéry mais aussi à l'expérience de ce temps : il existe “ des rapports entre les hommes ” qui ne sont pas illusoires : ce sont ces relations humaines qui unissent les hommes toutes les fois qu'ils sont rassemblés dans une tâche commune.

 

C'est l'image du sergent qui rejoint ses camarades ...

C'est l'évocation de ces anarchistes qui s'engagent dans la Guerre d'Espagne, non par idéologie ou politique, mais parce que “ tous les camarades y sont allés ... ”

Ce sont les mécanos qui se mobilisent pour préparer le vol du courrier.

 

A cette heure, écrit Antoine de Saint-Exupéry, la terre n'est plus peuplée que de camarades.

 

Qu'est-ce que l'on découvre à ces heures ? Une unité de l'homme, qui n'est pas la conscience de son individualité mais d'une communauté humaine “ tu éprouvais ici le sentiment de t'accomplir ” parce que “ tu rejoignais l'Universel.

L'Universel n'est pas en l'homme : dans l'individu mais dans les rapports humains, dans les liens qui rassemblent les hommes pour une tâche et sans doute pour un destin commun.

 

Il n'est de camarades que s'ils unissent dans la même cordée, vers le même sommet en quoi ils se retrouvent.

 

 

(4) Mais, placer l'Universel dans les rapports humains, dans l'union des hommes éprouvant, retrouvant, découvrant leur humanité dans une tâche commune, c'est se heurter à une difficulté majeure.

 

Antoine de Saint-Exupéry n'élude pas le problème : “ Tous, plus ou moins confusément, éprouvent le besoin de naître. ”, de devenir des hommes, au travers des rapports humains.

Mais, il est des solutions qui trompent. Certes, on peut animer les hommes en les habillant d'uniformes. Alors ils chanteront leurs cantiques de guerre et rompront leur pain entre camarades ; ils auront retrouvé ce qu'ils cherchent, le goût de l'Universel.

 

Car, telle est bien la seconde leçon de ce temps, vécu par Antoine de Saint-Exupéry :

 

le goût du pain rompu entre camarades nous a fait accepter les valeurs de guerre.”

 

Ce ne sont pas les rapports humains en eux-mêmes, qui détiennent le secret de l'Universel ; c'est le but que les hommes poursuivent.

N'est-ce pas le but qui doit être universel pour que les rapports entre les hommes deviennent réellement des rapports humains ? Et, dès lors, qu'est-ce que le but sinon de délivrer les hommes des rapports réels qui les empêchent de devenir des hommes ?

 

Ce renversement de la question, Antoine de Saint-Exupéry est-il capable de l'accomplir ?

Dans la façon même dont il pose la question, on reconnaît l'obstacle :

 

Puisqu'il suffit, pour nous délivrer, de nous aider à prendre conscience d'un but qui nous relie les uns aux autres, autant le chercher là où il nous unit tous.

 

Qui, pour Antoine de Saint-Exupéry, faut-il déliver ? L'homme, l'individu, c'est-à-dire lui-même.

De quoi faut-il le déliver ? Non point de ses chaînes, des conditions de sa vie inhumaine, mais de son désespoir, de son impuissance à être heureux ...

Que nous propose-t-il ? Une morale, une éthique :

 

Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort.

 

C'est de lui-même, de sa vie qu'il est parti pour réfléchir sur l'homme; c'est à l'homme qu'il nous ramène ; il ne s'agit pas de l'avenir des hommes, de la transformation des rapports entre les hommes mais de prendre conscience de la valeur universelle des rapports humains, pour donner un sens à sa vie et sa mort.

 

 

(5) Cette morale est-elle le dernier mot de Antoine de Saint-Exupéry ? Il a recueilli de son époque une dernière leçon :

 

- Leçon de matérialisme d'abord :

 

nous sommes issus d'une lave en fusion, d'une pâte d'étoiles, d'une cellule vivante germée par miracle, et, peu à peu, nous nous sommes élevés jusqu'à écrire des cantates et à peser des voies lactées.

 

- Leçon d'histoire, qui est celle de l'espèce humaine, dont le progrès s'accomplit par transmission d'une génération à l'autre :

 

Ce qui se transmettait ainsi de génération en génération, avec le lent progrès d'une croissance d'arbre, c'était la vie mais c'était aussi la conscience.

 

Si l'évolution est cette genèse de la vie à partir de la matière, de la conscience à partir de la vie, si l'histoire est cette transmission d'un patrimoine produit par les hommes de génération en génération, c'est dire que :

 

La genèse n'est point achevée et qu'il nous faut prendre conscience de nous-mêmes et de l'Univers.

 

Cette vision historique et matérialiste de notre humanité ne doit-elle pas conduire Antoine de Saint-Exupéry à un autre humanisme que celui d'une morale individuelle, d'une sagesse fondée sur le renoncement et conduisant à la paix de la conscience, la paix de l'individu se préparant à “sa” mort …

 

 

(6) La question décisive est posée :Le spectacle du monde l'impose :

 

Voici :

 

les voitures de troisième classe [qui] abritaient des centaines d'ouvriers polonais congédiés de France et qui regagnaient leur Pologne ... Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère ... ”

Et voici qu'ils me semblaient avoir à demi perdu qualité humaine, ballotés d'un bout de l'Europe à l'autre par les courants économiques ...

L'homme était pareil à un tas de glaise. Ainsi, la nuit, des épaves qui n'ont plus de forme, pèsent sur les bancs des halles. ”

 

Et voici le spectacle de l'Univers :

 

Il y a ainsi deux cent millions d'hommes qui n'ont point de sens et qui voudraient naître ...

C'est quelque chose comme l'espèce humaine qui est blessée, lésée.

 

Dès lors, ce qui naît de ce spectacle, n'est-ce pas l'exigence d'une nouvelle genèse?

La question est pressante : d'où vient que des millions d'hommes, formés de la même argile ne sont pas devenus “ des Hommes ” ?

Et, si l'on est responsable de ce qui se bâtit dans le monde, ne faut-il pas poser la question de l'avenir des Hommes. Que faire ? Quelle est la direction ? Quel est le but ?

 

Mais là, au seuil de ces questions, Antoine de Saint-Exupéry s'arrête, comme aux prises avec un mystère :

 

Le mystère, c'est que [ces hommes] soient devenus des paquets de glaise. Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir? ... Pourquoi cette belle argile humaine est-elle abîmée ?

 

Le mystère est-il dans la question ?

 

La réponse à la question se situe dans la réalité historique elle-même : n'est-ce pas l'exploitation de millions d'hommes et l'aliénation des rapports sociaux qui sont la cause de “ l'inhumanité ” des hommes ?

N'est-ce pas le système de cette exploitation qui constitue “ la machine à emboutir ” ayant abîmé la “ belle Argile humaine ”, interdisant à des millions d'êtres humains le développement de leur individualité ?

 

 

A quel point ne faut-il pas que nous-mêmes, lecteur d'Antoine de Saint-Exupéry, soyons devenus étrangers à la réalité de l'histoire et à “ je ne sais quel besoin des hommes ” de changer leur existence, pour que la question posée par Antoine de Saint-Exupéry ne nous paraisse à proprement parler “ déplacée ” ?

- Comment peut-on encore poser la question l'inhumanité des vies humaines sous la forme d'une interrogation morale ?

 

N'est-ce pas les faits eux-mêmes, -la réalité historique de l'aliénation découverte et reconnue par le penseur lui-même-, qui constituent la réponse à la question.

Mais, alors, où est le mystère ? Qu'est-ce qui interdit au penseur de comprendre la contradiction.

 

 

 

 

B - Lacontradictionvécueparlepenseur

 

 

Tel est bien le paradoxe :

 

Dans un premier temps, le penseur a découvert que la vérité de l'homme ne pouvait se comprendre que comme vérité des rapports humains.

 

Dans une deuxième temps, il découvre que l'inhumanité des rapports entre les hommes est un fait, c'est-à-dire une réalité historique.

 

La conclusion, dès lors, ne s'impose-t-elle pas, que seul le changement historique des conditions d'existence des hommes peut instaurer de véritables rapports humains.

 

C'est la même découverte qui s'impose à la réflexion des penseurs de ce temps, qui est celui de l'entrée de la classe ouvrière -des masses populaires- sur la scène de l'histoire.

 

Jean-Paul Sartre la décrit ainsi :

 

Quand la classe montante prend conscience d'elle-même, cette prise de conscience agit à distance sur les intellectuels et désagrège les idées dans leur tête … Découvrant l'absurdité des conditions d'existence de la classe ouvrière, ils doivent renoncer à l'humanisme abstrait : à l'idée d'une nature humaine, d'une essence de l'Homme, c'est toute leur culture qui se trouve mise en cause, qui éclate …

Cet humanisme optimiste éclatait puisque nous devinions autour de notre ville la foule immense des “sous-hommes”, conscients de leur sous-humanité … ”

 

- D'un côté, l'éclatement d'une culture “ humaniste ” qui oblige à penser à nouveau l'essence de l'homme qui ne peut se confondre avec une nature et le sens de la vie inséparable de l'action : d'un engagement dans l'histoire.

- De l'autre, la révélation d'une réalité historique “ indépassable ”, “ incontournable ” : l'absurdité, l'inhumanité des conditions de vie de millions d'hommes.

 

Après cette double découverte, qu'impose au penseur de cette époque la réflexion sur cette expérience, comment peut-il continuer à affirmer qu'il y a un “mystère” ou une “ insoluble contradiction ” entre le sens (ou l'essence) de la vie -qui réside dans la vérité des rapports humains- et l'existence, qui est le fait historique des rapports sociaux aliénés ?

Comment peut-il développer une œuvre sur le thème du mystère du destin des hommes, de l'absurdité de l'existence ou de la condition humaine sans être auteur -ou victime- de l'illusion, de la mauvaise foi, du malentendu ?

 

La tentation est grande d'accuser les intellectuels de cette période d'avoir consciemment trahi le sens de cette expérience dont ils se réclament, et tourné le dos aux leçons de l'histoire, pour justifier leur impuissance ou leur refus de s'engager aux côtés de la classe ouvrière.

 

Chez Antoine de Saint-Exupéry, le plus éloigné par les origines et la richesse singulière de sa vie de “ ce peuple dont le sommeil est trouble comme un mauvais lieu ”, il n'y a point trahison mais pour ainsi dire incompréhension naturelle : Après avoir constaté l'inhumanité de ces vies humaines “ ballotées d'un bout à l'autre de l'Europe par des courants économiques ”, … l'absurdité de l'existence à laquelle sont condamnés des millions d'hommes …, semblables “ à des épaves qui n'ont plus de forme ”.

 

Je pensai, ajoute-t-il : le problème ne réside point dans cette misère, dans cette saleté, dans cette laideur ...

 

Car, ces hommes ne sont que des sous-hommes :

 

Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort … Il ne s'agit pas de s'attendrir sur une plaie éternellement rouverte … [car] ceux qui la portent ne la sentent pas …

Ce qui me tourmente, ce n'est pas cette misère dans laquelle, après tout, on s'installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d'orientaux vivent dans la crasse et s'y plaisent …

 

La phrase célèbre d'Antoine de Saint-Exupéry : “ C'est quelque chose comme l'espèce humaine et non l'individu qui est blessé ici, qui est lésé ” est bien, si on l'isole de son contexte, le constat du caractère historique et social de l'inhumanité des vies humaines (exigeant une nouvelle genèse de l'humanité qui passe par le changement historique des conditions de vie) ; mais c'est bien l'inverse que signifie le texte où s'imprime la pensée d'Antoine de Saint-Exupéry : mettons en parenthèses les conditions de vie inhumaines de la majorité des hommes parce qu'il s'agit d'un fait “ historiquement indépassable ” lié à l'existence même de l'espèce, oublions cette misère parce qu'il s'agit d' “ une plaie éternellement rouverte ”, ce qui alors apparaît comme essentiel, ce n'est pas la misère de l'humanité, c'est la richesse “ sacrifiée ” de l'individualité humaine.

L'inversion est symbolisée par l'image de l'enfance : ce qui est en cause, ce n'est pas le malheur des millions d'enfants, lié à la misère sociale : “ je ne crois guère à la pitié ”, écrit Antoine de Saint-Exupéry : c'est l'individualité de chaque enfant, qui, s'il était né “Petit Prince”, deviendrait Mozart …

N'est-ce pas dire que “ Mozart enfant est marqué comme les autres par la machine à emboutir ” ?

 

La machine à emboutir n'est rien d'autre que la sous-humanité à laquelle est naturellement condamnée l'espèce humaine, la majorité des hommes.

Celui qui appartient à cette sous-humanité “ fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans les puanteurs des cafés-concerts ” et “ Mozart sera condamné .”

 

Aussi, conclut Antoine de Saint-Exupéry, ce qui me tourmente ”, ce n'est pas la misère des hommes, plaie éternellement rouverte qu'on peut “ guérir par des soupes populaires ”, “ ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur ” : “ c'est un peu, en chacun de ces hommes, Mozart assassiné. ”

 

Dans cette dernière page éclate toute l'idéologie des classes privilégiées : le mépris de ces millions d'hommes condamnés naturellement, en tant qu'espèce, à une sous-humanité : à cette glaise, faite de creux et de bosses, qui n'a pas forme humaine, à cette laideur et à cette puanteur ; et, qui, plus est, “ vivent dans la crasse et s'y plaisent. ”

 

Dans ces conditions, toute pitié humaine et vaine, toute espérance est illusoire, l'humanisme d'Antoine de Saint-Exupéry s'achève dans un spiritualisme qui est sa négation même :

 

 

 

Seul l'Esprit qui souffle sur la glaise, peut créer l'Homme. ”

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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