La machine infernale
de
Jean Cocteau
I - Le titre
Dès le prologue, la Voix, qui est celle de l’auteur, éclaire le titre de la pièce par cette annonce : « une des plus parfaites machines construite par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel. »
Cocteau entend ainsi relier sa pièce à la légende thébaine d’Oedipe en évoquant, dans son langage, l’idée de la fatalité qui préside à la tragédie grecque.
Dans la mythologie et la pensée antiques la fatalité exprime l’idée que la destinée de tout mortel ( c’est à dire la vie singulière de tout homme) est écrite d’avance par les dieux. C’est pour les mortels seulement que cette vie apparaît comme un parcours qui se déroule dans le temps, de la naissance à la mort, comme si elle était « tissée » au fur et à mesure par ces déesses qu’on appelle les Parques ( en grec : moïraÏ).
Les dieux, pour qui le temps n’existe pas, perçoivent la destinée réservée à chaque mortel pour ainsi dire « en un seul jour » ; d’ailleurs, c’est en un seul jour que se révèlent à Œdipe tous les malheurs qui ont eu lieu dans le temps : l’abandon par ses parents, le meurtre de son père, et l’inceste.
La tragédie est le point de vue des dieux pour qui le temps se concentre en un seul jour. Dans Œdipe Roi, Sophocle fait dire au chœur s’adressant à Œdipe : « le temps, qui voit tout, malgré toi, t’a découvert. Il dénonce aujourd’hui un hymen qui n’a rien d’un hymen, d’où sort un père à côté des enfants. ».
La tragédie est la révélation par les dieux du sens d’une destinée humaine.
A l’époque moderne, lorsqu’on veut mettre en scène la tragédie, rien ne permet d’adopter ce point de vue où les dieux détiennent le secret de ce qui semble se dérouler dans le temps ; Car le temps est devenu pour les hommes une réalité primordiale sous la forme d’une histoire qui se déroule de façon « irréversible ». Et, la vie d’un individu est un vecteur qui le conduit « irrémédiablement » de la naissance à la mort.
Dès lors, la fatalité ne peut plus être représentée comme la révélation par les dieux du sens d’une destinée humaine singulière, mais bien comme la mise en œuvre d’un mécanisme indépendant de la volonté des hommes, qui conduit chaque individu : tout homme, « mathématiquement » (selon l’adverbe employé par Cocteau) à la mort. Cela explique que l’intervention divine invoquée par Cocteau est celle des dieux infernaux, ceux qui commandent au royaume des morts.
Il reste que l’objectif de Cocteau, à travers toute son œuvre, est de renouer les liens entre le monde visible, qui apparaît aux hommes comme la seule réalité où se déroule leur vie et un arrière-monde invisible, surnaturel, sans lequel la vie humaine n’aurait pas de sens.
Parce que la mort est cette coupure qui sépare le visible de l’indivisible en renvoyant aux hommes l’image de leur vie comme en un miroir, c’est ce miroir qu’ils doivent franchir. Ici, dans la tragédie, Œdipe ne verra clair qu’en devenant aveugle.
Mais, dans cette pièce où Cocteau ne dispose pas des effets spéciaux du cinéma qui permet de représenter ce passage du visible à l’invisible par le franchissement du miroir, comme dans « Orphée », il doit rendre sensible par tous les moyens, y compris par la parodie, la présence « familière » des dieux au cœur même du monde humain.
Ce procédé est mis en œuvre dans le titre même de la pièce : le « mécanisme » qui conduit tout homme à la mort est personnifié sous la forme d’une machine qui aurait été construite par les dieux infernaux.
Mais il y a plus : La « machine infernale » qui connote l’instrument fabriqué pour les attentats royalistes ( ou n’importe quel attentat terroriste), permet à Cocteau, dans le dernier acte, de faire « exploser », en une succession de révélations, le sens de la destinée d’Œdipe.
II – Structure de la pièce
Acte Ier
Le premier acte, dont l’atmosphère est empruntée à l’Hamlet de Shakesqpeare, se déroule sur les remparts de Thèbes par une nuit d’orage, dans un climat d’inquiétude.
1) Dans la nuit, le spectre qui apparaît est ici le fantôme de Laïos, qui essaie de prévenir sa femme du danger que représente son fils Œdipe : Celui-ci, après avoir vaincu le sphinx, est destiné à l’épouser
Nuit d’orage, éclairs de chaleur, tam-tam et musique populaire.
2) Aux soldats qui montent la garde apparaît le fantôme. Notre cher fantôme de Laïos… Puis les soldats s’interrogent sur le Sphinx :
« - Y’en a qui prétendent qu’il n’est pas plus gros qu’un lièvre et qu’il est craintif et qu’il a une toute petite tête de femme. On le rencontre, on le regarde et on meurt d’amour.
- Moi je pense que c’est un simple vampire, avec une barbe et des moustaches et un ventre et c’est pourquoi on rapporte aux familles des macchabées, avec tous la blessure au même endroit : au cou. »
Par l’assimilation du Shinx à un tueur en série, par ces détails, Cocteau désacralise le mythe mais en même temps, il introduit le surnaturel : tous les morts ont la même blessure au cou.
3) Arrivée du chef : ses soldats lui expliquent comment leur est apparu le fantôme.
« On voyait surtout sa bouche quand elle était ouverte, et une touffe de barbe blanche, et une grosse tache rouge, rouge vif près de l’oreille droite. Il s’exprimait difficilement et il n’arrivait pas à mettre les phrases au bout les unes des autres. Il dépensait route sa force pour apparaître, c’est-à-dire pour quitter sa nouvelle forme et reprendre sa vieille forme qui nous permettait de la voir. La preuve, c’est que chaque fois qu’il parlait un peu moins mal, il devenait un peu plus transparent. »
Par ces détails, Cocteau confère une sorte de vraisemblance, de crédibilité, de réalité à l’existence du fantôme (son mode de vie…).
4) Arrivée de Jocaste, accompagnée de Tirésias (le devin de l’histoire) qui aide à monter les marches des escaliers qui conduisent aux remparts ; mais les marches se dérobent sous ses pieds au fur et à mesure qu’elle monte, de sorte qu’elle semble marcher de façon irréelle. Elle est venue se renseigner sur le fantôme. Elle est excentrique, elle a un accent étranger et elle est, dit-on, sous l’influence de Tirésias, qui autant que devin, est pour elle son confident, que Cocteau assimile à un psychanalyste. Elle l’appelle familièrement Zizi et lui l’appelle ma petite brebis, ma colombe, ma petite biche…
5) C’est alors qu’elle raconte un rêve, qui dès le premier acte, décrit l’inceste :
« Je suis debout, je berce une espèce de nourrisson, tout à coup, ce nourrisson devient une pâte gluante… J’essaie de lancer cette pâte… Mais, oh Zizi, elle reste reliée à moi… Elle est vivante… Une espèce de bouche qui colle sur ma bouche et elle se glisse, partout, elle cherche mon ventre, puis mes cuisses, quelle horreur ! »
C’est la vision onirique de la scène de l’inceste qui sera au 3ème acte, quand Cocteau va décrire la Nuit de Noces entre Jocaste et Œdipe.
6) Jocaste interroge les soldats sur le fantôme, qui n’apparaît plus. Mais, manifestement, la reine tombe amoureuse du jeune soldat.
« - Quel âge as-tu ?
- 19 ans.
- Juste son âge, il avait ton âge… il est beau !! Regarde-moi Zizi, quels muscles ! J’adore les genoux, c’est au genou qu’on voit la race !
Il lui ressemblait. Il est beau Zizi, tâte ces biceps, on dirait du fer. »
7) Le fantôme essaie d’apparaître, il appelle Jocaste désespérément pour la prévenir du danger qui la menace, mais il n’y parvient pas.
Tirésias entraîne Jocaste : « Tu es fatiguée ma petite biche ! »
8) Le fantôme réapparaît aux soldats et leur demande de rapporter à la Reine qu’elle à tout à craindre d’un jeune homme qui approche de Thèbes. Les soldats décident de garder cette révélation pour eux, et ainsi, Jocaste reste dans l’ignorance. La tragédie va pouvoir s’accomplir.
Acte II : La rencontre d’Œdipe et du Sphinx
On remarquera que Cocteau juxtapose différents épisodes de la légende sans qu’il y ait continuité dans l’intrigue, pour donner à chacun des aspects du mythe la couleur de sa mythologie personnelle qui métamorphose chaque scène en un épisode, en une manifestation du surnaturel.
1) L’acte commence par la Voix (qui dans les premières représentations était celle de Cocteau) qui souligne le fait qu’il s’agit non pas d’une suite de l’acte qui précède mais bien d’un tableau qui est traité à part pour sa signification propre.
2) Le Sphinx est en scène avec le Chacal Anubis :
« - Pourquoi cette rencontre ? Pourquoi en Grèce, un Dieu d’Egypte, pourquoi un Dieu à tête de chien ?
- La logique nous oblige pour apparaître aux hommes à prendre l’aspect sous lequel ils nous représentent, sinon, ils ne verraient que du vide.
L’Egypte, la Grèce, la mort, le passé, l’avenir, n’ont pas de sens chez nous les Dieux. »
Autrement dit, les Dieux n’existent pas selon Cocteau comme un monde à part qui serait séparé des hommes ; c’est pour les hommes seulement que les Dieux revêtent des formes particulières auxquelles ils accordent l’immortalité, parce qu’eux-mêmes sont prisonniers du temps : du passé, de l’avenir, de la mort.
En réalité, les Dieux ne sont pas immortels, parce qu’ils vivent dans un monde différent des hommes (comme ceux-ci le croient) mais parce qu’ils sont présents parmi eux, parce qu’il n’y a pas de hiatus, de séparation ou divorce entre le visible et l’invisible, entre le monde sensible ou naturel et le surnaturel.
Pour les Dieux, la forme visible des choses humaines n’est qu’une apparence :
« Ils (les hommes) ne sont pas autre chose que des zéros, essuyés sur une ardoise, même si chacun de ces zéros était une bouche ouverte criant “au secours !” »
Notre vision des choses est renversée ; ce ne sont pas les fantômes qui sont des apparences, mais les hommes qui sont des fantômes, qui crient au secours, parce qu’ils ont été en quelque sorte privés du surnaturel, de la vraie vie
3) Mais il ne s’agit pas pour Cocteau de nous transmettre sa vision des choses sous la forme d’une thèse philosophique (métaphysique ou théosophique) sur les rapports entre les esprits, les Dieux et le réel).
Aussi Cocteau fait-il apparaître sur scène la Matrone : une femme du peuple accompagnée de sa progéniture : trois fils sur quatre, parce que l’un d’eux a été dévoré par le Sphinx. Elle ne reconnaît pas la Sphinge et engage la conversation avec elle comme avec une jeune fille en lui racontant ses histoires de famille.
Elle appelle de ses vœux un chef qui soit un sauveur épousant Jocaste, punissant les trafics, relevant les finances et débarrassant le peuple du Sphinx. Le quiproquo est total ( puisqu’elle s’adresse à la Sphinge) et introduit le comique au sein du drame/
Mais, la Sphinge s’émeut à la vue du fils aîné, qui a l’âge de ses victimes. Anubis, qui est le gardien de la Sphinge, à l’affût des faiblesses de celle-ci, prêt à accomplir sa mission qui est d’infliger le coup fatal aux victimes séduites par la Sphinge, attend le moment d’intervenir. Or, le Sphinx est un personnage contradictoire, tiraillé entre sa nature animale et son apparence : il a la sensibilité, la douceur, la pitié d’une jeune fille.
« Les pauvres, pauvres... hommes. Je n’en peux plus Anubis, j’étouffe, quittons la terre. »
C’est ainsi que la Matrone repart sans qu’il soit arrivé malheur à son fils.
4) Œdipe entre en scène. L’épisode se divise en deux moments où le Sphinx révèle sa double identité de déesse vengeresse et de jeune fille. Dans la première partie de la scène, elle s’empare d’Œdipe et lui fait subir le sort de ses autres victimes, pendant qu’Œdipe sombre dans la peur, convaincu qu’il est entrain de mourir.
Dans une tirade, dont le style inventée par Cocteau relève de la poésie, la Sphinge décrit à Œdipe ses pouvoirs. Œdipe, complètement fasciné par le langage du Sphinx, comme si ses mots eux-mêmes avaient le pouvoir de l’enlacer pour le faire périr, enfin demande grâce et appelle maman.
La Sphinge a pitié, elle libère Œdipe ; et sans doute éprouve-t-elle pour lui un sentiment qui n’est pas loin de l’amour. C’est elle qui lui donne la solution de l’énigme et qui ainsi se condamne elle-même à disparaître. On a affaire à un véritable échange entre la vie et la mort, entre le vivant et le surnaturel.
L’intrigue a fait un pas important ; tout se passe, aux yeux du monde, comme si Œdipe avait vaincu le Sphinx.
Le troisième tableau peut être présenté par Cocteau, qui est précisément la nuit de noces.
Acte III : La nuit de noces
Ce tableau constitue le point culminant de la pièce, le moment où le plus grand crime d’Œdipe s’accomplit ; et pour Cocteau, ce crime n’est pas le meurtre du père, mais bien l’inceste.
Cette scène a lieu dans une atmosphère irréelle où le fils et la mère se rejoignent pour ainsi dire dans leur sommeil.
Pendant ce sommeil, Jocaste revit le cauchemar de l’acte où le nourrisson, comme une pâte, l’envahissait, se collait à elle. Œdipe, de son côté, revit sa rencontre avec la Sphinge.
1) Mère et épouse
Cocteau aime l’équivoque, et il s’amuse à y mêler une ironie grinçante, perceptible pour les spectateurs qui sont des personnages privilégiés.
Le Sphinx : « Et moi qui lui disais : “ Elle pourrait être ta mère ” ; Et il répondait : “ L’essentiel est qu’elle ne le soit pas ”. Anubis ! Anubis ! C’est trop beau, trop beau. »
L’aveuglement d’Œdipe, que Cocteau décrit avec complaisance, introduit une ironie tragique.
Œdipe : « Tu as menti, devin ! J’épouserai Jocaste… Une vie heureuse, riche, prospère, deux fils… des filles… et Jocaste, toujours aussi belle, toujours la même, une amoureuse, une mère dans un palais de bonheur… »
Œdipe se trompe sur leur objet. Il est certain que Jocaste est une mère, mais de qui ?
2) Un problème d’identité
Jocaste est une mère-épouse, Œdipe est sans le savoir un époux-enfant. Son crime est de ne pas parvenir à identifier qui il faut, se méprenant sur les noms et les choses.
Jocaste : « Quel enfant ! Voilà qu’il me prend pour sa mère. »
3) Une relation entre une mère et son enfant
Jocaste apparaît finalement plus comme une mère que comme une épouse : nombreux sont les détails dans le texte.
L’inceste réalise ce qu’annonçait le rêve de Jocaste : l’union sexuelle avec un nouveau-né monstrueux.
4) Le ventre maternel
La nuit de noces, surtout, est pleine de coups de pouce de l’auteur, de clins d’œil sardoniques où la vérité n’est perçue que par ceux qui la connaissent déjà. Les propos solennels qui peuvent échapper à Œdipe sont plus lourds de sens qu’il ne le voudrait.
« Son ventre cache des plis et replis d’un manteau de pourpre beaucoup plus royal que celui qu’elle agrafe à ces épaules. »
En prétendant expliquer que la beauté et le royauté de Jocaste sont intimement liés dans sa chair, Œdipe évoque sans le savoir l’utérus qui lui a donné le jour, le sexe qui lui accorde le trône. Jocaste est tout entière identifiée à ce ventre dont la double fonction est le signe de l’inceste.
3) Œdipe nourrisson
Au cours de la nuit de noces, Jocaste le traite comme un bébé, l’endort quand il fait des cauchemars, le berce, et surveille son sommeil.
Jocaste :
« Toi ce n’est pas pareil, c’est le marchand de sable, comme disent les petits ! »
« Tu es un enfant… Il recommence ! Là, là, sois sage. »
« Elle berce le sommeil d’Oedipe en remuant doucement son berceau. »
La relation s’instaurant est celle d’une mère avec son fils, tandis que le contexte est celui d’une nuit de noces : l’acte III met en scène, rend visible l’ambiguïté et la monstruosité de l’union d’Œdipe et de Jocaste.
6) Nuit de noces et naissance
La chambre elle-même devient le symbole d’une nouvelle naissance d’Œdipe. En retrouvant le fils perdu, Jocaste devient semblable à une accouchée. Sa chambre, toute tendue de rouge devient un ventre maternel où Œdipe renaît à sa vraie condition.
La nuit de noces se transforme en accouchement, et cette identification renforce le malaise que suscitent les noces incestueuses.
7) Les rêves de Jocaste
Les cauchemars que font les personnages sur scène, pendant la nuit de noces, sont de statut différent.
Celui d’Œdipe est la répétition de sa rencontre avec la Sphinge.
Le premier rêve de Jocaste est du même ordre, il répète le rêve dont le récit a été fait à Tirésias au premier acte.
« Non, pas cette pâte immonde…
Je suis debout, la nuit. Je berce une espèce de nourrisson. Tout à coup, ce nourrisson devient une pâte gluante qui me coule entre les doigts. Je pousse un hurlement et j’essaie de lancer cette pâte gluante qui me coule entre les doigts. Elle a une espèce de bouche qui se colle à ma bouche. »
Les caractéristiques du cauchemar sont présentes :
-
imprécision des formes (une espèce de.. )
-
impossibilité d’y échapper (quand je me crois libre)
-
obsession du visqueux (pâte gluante ; couler ; bouche ; se glisser partout)
Œdipe :
« Il faut dormir un peu. Ensuite, nous serons sortis de cette glue et de cette lutte contre le sommeil Qui abîme tout. »
« Calme cette bouche bavarde avec ta bouche… »
L’union sexuelle est rêvée comme un viol par une chose innommable ; elle est vécue comme un acte d’apaisement.
Le rêve n’est pas un instrument littéraire innocent : il est aussi au fondement de la théorie de Freud ; la compréhension du rêve et de ses mécanismes est la voie royale pour approcher l’inconscient. Car c’est par le rêve que peut nous parvenir une perception, autrement dit, une traduction de l’inconscient, de l’invisible, de l indicible.
Jocaste fait un second rêve, qui reprend un événement de la pièce :
8) Le jeune soldat
Un double d’Œdipe apparaît au cours du texte en la personne du jeune soldat. Jocaste face à lui exprime un fort désir, qu’elle croit ou affecte de croire maternel.
« Juste son âge ! Il avait son âge… Il est beau (…) Quels muscles ! J’adore les genoux… »
Dans son désir, Jocaste mêle l’attirance physique, qu’elle exprime en vantant l’animalité du jeune homme (« race » - « cheval »), pulsion charnelle, l’excitation et l’admiration.
« Ce garçon qui est beau et qui lui ressemble… »
A aucun moment, Jocaste ne précise à qui le jeune soldat ressemble, car elle ne peut le prouver comme l’indique Œdipe dans un épisode plein de malaise :
« Tu dis “ Ce garde te ressemblait ”. Mais Jocaste, tu ne me connaissais pas encore ; il était impossible que tu saches, que tu devines… »
Ces affirmations de Jocaste sont dénoncées comme un fantasme : avoir un fils beau comme ce soldat et coucher avec lui. (deux sentiments contradictoires et impossibles).
Cocteau fait ainsi de la Machine Infernale dont l’intrigue suit celle de Sophocle, une pièce dont le détail est inspiré par la théorie psychanalytique.
Acte IV : Œdipe Roi
La voix annonce la conclusion de la tragédie : après les faux bonheurs, le roi va connaître le vrai malheur.
Il est fait pour la première fois allusion claire au titre de la pièce : « le fonctionnement de la machine infernale ».
Tandis que Thèbes est livrée à la Peste par les Dieux, Œdipe apprend coup sur coup que Polybe est mort et que lui-même n’était que son fils adoptif. Jocaste comprend qu’il est aussi le meurtrier de Laïos. Tirésias tente de freiner la fatalité.
« Je vous mettais en garde contre votre habitude néfaste d’interroger, de savoir, de comprendre tout. »
les évènements se précipitent à un rythme accéléré.
Jocaste se suicide ; Oedipe comprend qu’il a tué son propre père, puis qu’il a épousé sa mère. Son destin est dès lors accompli :
« J’ai tué celui qu’il ne fallait pas, j’ai épousé celle qu’il ne fallait pas. Lumière est faite. »
Après s’être crevé les yeux, Œdipe revient sur scène accompagné d’Antigone. Tous s’écartent de lui, sur les conseils de Tirésias, le laissent à son destin, personnel et littéraire. Le fantôme de Jocaste, que la mort a réconcilié avec elle-même, survient pour guider Œdipe.
L’acte IV est une suite de coups de théâtre qu’organisent des révélations successives. Les mensonges de l’acte III sont progressivement éclaircis aux yeux d’Œdipe. Il est remarquable qu’il soit le seul à ignorer totalement la vérité : Créon et Tirésias sont manifestement au courant de tout avant le lever du rideau, Jocaste a compris beaucoup de choses. La catastrophe semble survenir par l’insistance d’Oedipe, au grand regret des autres.