Le théatre classique XVII

 

 

 

 

LE THEATRE CLASSIQUE DU XVII° SIECLE

 

 

 

 

 

 

 

Rappel de principe :

Face à une Œuvre de l’Art, il faut être capable d’expliquer sa genèse historique, c’est à dire la raison – la motivation secrète – pour laquelle elle revêt la forme spécifique qui lui permet de représenter le contenu d’une réalité vécue par les hommes de ce temps-là.

Mais il faut être en même temps capable de comprendre pourquoi cette représentation, dont la genèse s’explique historiquement, conserve une valeur « éternelle », c’est à dire un sens pour les générations à venir.

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

 

Le caractère original de l’Etat monarchique tel qu’il se constitue au XVIIe°siècle en France consiste à établir un équilibre entre deux classes : la noblesse féodale et la bourgeoisie.

Cet équilibre historique repose sur un double compromis : d’un côté la noblesse ne maintient sa position de classe privilégiée qu’en acceptant d’être stipendiée par le pouvoir royal ; d’un autre coté, la bourgeoisie joue le rôle de soutien du pouvoir royal parce qu’elle a conscience que c’est la centralisation de l’Etat monarchique qui lui permet d’assurer au mieux son développement.

Dans la mesure où l’équilibre historique réalisé par la monarchie absolue maintient en suspens les contradictions entre les classes sociales dominantes, que peut-être, en ce siècle, la forme privilégiée de la littérature sinon le théâtre, c’est à dire la représentation de ces contradictions comme inhérentes au destin l’homme, sous la forme de la tragédie ( nécessité du choix ou fatalité de la passion ) ou immanentes à la nature humaine sous la forme de la comédie ?

 

On peut éclairer les formes du théâtre classique à partir de l’évolution historique de ce siècle.

 

 

 

 

 

 

 

PREMIERE PARTIE

 

 

Le théâtre cornélien

( d’après le livre de Doubrovski : la dialectique du héros)

 

 

 

Introduction :

 

Dans la première moitié du siècle, la volonté politique de la royauté d’unifier le royaume pour établir son pouvoir absolu, - en s’appuyant sur le développement de la bourgeoisie - se manifeste d’abord par une lutte contre l’insubordination des féodaux. En cette première phase de l’instauration de la monarchie absolue, il y a bien une contradiction puisque le pouvoir royal, qui repose sur le système féodal, semble mis en cause par la lutte de l’absolutisme contre la hiérarchie des privilèges. Cette contradiction exige une « résolution » qui dépend de « la volonté » des parties, notamment de la décision de la noblesse de se soumettre au pouvoir absolu. C’est ce conflit et sa résolution « fictive » qui s’expriment dans le théâtre cornélien .

C’est un véritable drame qui donne naissance à l’image cornélienne du héros :

Comment celui dont l’évolution historique exige qu’il renonce à cette indépendance, qui constituait sa « seigneurie », qui le faisait apparaître à ses propres yeux, en toutes circonstances, comme le « Maître », peut-il conserver l’estime de soi-même ?

C’est la base réelle – économique et sociale - de son individualité : de la conscience qu’il prend de lui-même, qui se trouve mise en cause : Comment peut-il affirmer son identité, sa valeur propre sinon en faisant la preuve qu’il est capable d’être, en toutes circonstances, maître de ses actes, comme si le choix ne dépendait que de sa volonté, de son libre arbitre. L’héroïsme est cette exigence d’aller toujours « au delà » de soi-même pour affirmer qu’on est maître de soi, de son destin.

Le héros cornélien doit « choisir », mais ce choix, qui relève de sa volonté, est défini par une alternative. C’est à un sacrifice qu’il doit consentir : s’il veut préserver son honneur, son rang et ses privilèges, il doit prendre conscience qu’une seule voie s’offre à lui : reconnaître, -au détriment de ses penchants, de son individualité, de la tradition dont il est porteur-, la valeur absolue du pouvoir. Le théâtre cornélien convertit en un idéal ( la gloire du héros ) ce qui est la capitulation de la noblesse devant le pouvoir royal.

 

L’héroïsme prend conscience de lui-même dans Le Cid, pour se mettre radicalement en question dans Horace, et ne se sauver qu’in extremis dans Cinna en se transcendant vers l’Etat. Ce faisant, le héros se sauve comme héros mais non comme individualité.

Cinna et Auguste sont dépossédés d’eux-mêmes au profit de l’Empire que l’un sert (Cinna) et l’autre incarne (Auguste) et ne retrouvent l’un et l’autre leur propre ego que par l’intermédiaire d’un ordre politique. Cette victoire est donc aussi d’un certain côté un échec puisque le projet de « Maîtrise » implique pour la conscience le désir de possession de soi hic et nunc, autrement dit la volonté d’être Dieu. De ce point de vue, Polyeucte se représente les forces suprêmes du héros pour se récupérer au-delà de l’Etat dans la conquête d’un absolu au-delà de ce monde.

 

 

Le Cid

 

Acte I :

L’événement : La désignation de Don Diègue et l’affrontement avec Don Gormas

 

D’une certaine façon, toutes les études sur Corneille permettent aujourd’hui de ne plus revenir sur le fait que le Cid exprime les préoccupations profondes d’une aristocratie à la recherche de ses origines féodales (dont l’instauration de la monarchie absolue l’éloigne inéluctablement). On a pu replacer avec précision dans cette société la puissance des maisons rivales et les duels entre elles ; les aspects militaires, politiques, sociaux et moraux de ce retour au passé chevaleresque ont été parfaitement mis en lumière à tel point qu’on a parlé d’un « racisme féodal » : Corneille mettrait en scène sous la forme d’une véritable bravade l’idéal de la féodalité, montrant comment triomphe la loi du plus fort.

Or, ce qui est important dans la fameuse scène (I, 3) qui oppose le Comte de Gormas à Don Diègue aussi bien que dans le douloureux monologue de Don Diègue (I, 4) c’est qu’il ne s’agit pas d’un défi quelconque entre n’importe quel prétendant à un même honneur (le préceptorat de l’infant). Ce qui compte, c’est que, sans rival aujourd’hui, le Comte (Gormas) se voit contre toute attente préférer un rival d’hier (Don Diègue). Autrement dit, le duel entre deux personnages de même rang se joue dans le temps présent, non pas seulement entre eux mais dans leur rapport au pouvoir royal. Sera le maître non pas seulement celui qui l’emportera sur l’autre mais celui qui deviendra le soutien du pouvoir. La noblesse comme classe dominante se trouve à un moment donné de l’histoire obligée de justifier sa position par rapport à la monarchie absolue : Le maître entre les pairs est celui qui est désigné comme le soutien du pouvoir.

Ce n’est pas métaphoriquement mais littéralement que Don Diègue, sur ses épaules à présent débiles, porte en plus du poids de son propre destin, le faix (fardeau) de sa race, de l’Empire et du trône, en un mot de l’ordre monarchique.

La réponse à la provocation de Don Gormas ne se fait pas attendre : le corps, source tragique de décadence, est aussi source du salut. Ce fils (Rodrigue) qui est continuation d’un « sang » (« Viens mon fils, viens mon sang… ») opère par miracle la synthèse de l’individualité et de la race, du passé et du présent, rouvrant ainsi la dimension de l’avenir. Autrement dit, dans cette pièce, la noblesse héréditaire au travers du personnage de Rodrigue joue la possibilité de son avenir, qui semble se dérober comme les forces de Don Diègue.

Mais le sang ne se transmet pas comme une possession, comme l’argent ; la filiation authentique doit nécessairement passer par la médiation d’une épreuve, spontanément acceptée ou plutôt proposée par Rodrigue. C’est le sens de la fameuse réplique :

 

« -Rodrigue, as-tu du cœur ?

-Tout autre que mon père l’éprouverait sur l’heure »

 

Le sang - l’hérédité - ne garantit pas à la noblesse la pérennité de son pouvoir en tant que classe dominante. Le fils doit faire reconnaître sa « valeur ». Avec le Cid et le « Meurs ou tue » de Don Diègue, le noble découvre à nouveau dans l’affrontement de la mort, inévitablement donnée ou reçue, sa justification. L’humiliation du noble vieilli en la personne de Don Diègue, qui ouvre le Cid, correspond symboliquement dans la tragédie à la condition avilie de la noblesse. Le sursaut salvateur de Rodrigue ne manifeste donc pas simplement un courage quelconque mais un courage de classe, qui revient à ses origines. Loin d’être ce bond en avant juvénile que l’on nous décrit d’ordinaire, le geste de Rodrigue est en fait un retour en arrière, au sens humain et historique.

Théâtre d’histoire, a-t-on dit, à juste titre, du théâtre de Corneille : à condition d’ajouter théâtre de réaction contre l’histoire : théâtre réactionnaire. La dureté « féodale » des sentiments et des attitudes, que l’on a fort bien notée, n’est donc en rien un hasard ; elle est moralement et politiquement nécessaire dès l’instant où c’est la lutte à mort et le baptême du sang qui feront de l’honnête homme un héros.

A la fin de l’acte I, quand Rodrigue répond « sur l’heure » aux instances paternelles, il demeure immobile pendant une scène entière avant de s’écrier : « Courons à la vengeance ». C’est la longue plainte des fameuses Stances de Rodrigue.

Le terrain où se livre la bataille de l’homme contre lui-même qui est la pierre de touche de l’héroïsme, tout autant que l’épreuve du combat, c’est l’épreuve de l’amour. Car jamais la spontanéité naturelle n’est parée de plus d’attraits et n’opère avec plus de force que dans le mouvement de la passion, mouvement total du corps qui, comme l’avait dit Descartes, envahit et enchaîne l’âme. La lutte à mort la plus difficile n’est pas guerrière, mais amoureuse. Pour le féodal, seul compte le principe de la Maîtrise : les héros sont interchangeables, identiques, comme Don Diègue ressuscité en Rodrigue. Or l’amour, dans son essence, est précisément ce qui fait du « moi » héroïque, un individu irremplaçable repris par la contingence radicale du sensible, au-dessus de laquelle le courage avait prétendu s’élever. Un conflit brutal s’annonce.

On a voulu voir dans le conflit intérieur de Rodrigue (qui s’exprime dans ces stances) la traditionnelle opposition de « l’amour » et du « devoir » où, à la fin, le devoir triomphe, heureusement pour la morale, sans rien ôter de l’amour.

Ce qui vicie la plupart des commentaires, c’est que le commentateur substitue sa propre conception du devoir ou de l’amour au drame que le théâtre cornélien met en scène.

Corneille mentionne lui-même ce combat du devoir contre l’amour, et Rodrigue nous dit « Contre mon propre honneur mon amour se dresse. » Et, il y a bien ici une opposition absolue et angoissante de deux valeurs entre lesquelles il faut choisir ; mais en quoi consiste le choix ? Nous ne voyons nullement Rodrigue comme dans une délibération traditionnelle poser le pour et le contre, puis par un effort sur soi, arriver à une décision qui serait le triomphe du devoir sur l’amour, de la morale sur la passion.

En effet, dès le départ il s’agit d’une alternative absolue qui exclut tout moyen terme, toute issue.

 

« Des deux côtés mon mal est infini. »

Faut-il laisser un affront impuni,

Faut-il punir le père de Chimène ? »

 

A tel point que l’impossibilité de choisir contre l’honneur ou contre l’amour conduit bientôt à la tentation du suicide.

 

« Il vaut mieux courir au trépas…

Tout redouble ma peine. Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir,

Mourrons du moins sans offenser Chimène. »

 

L’admirable progression des Stances n’est ni un raisonnement ni un pur emportement : c’est une lucide et impitoyable prise de conscience, la révélation d’une vérité intime que la conscience se dissimule à elle-même.

En quoi consiste cette prise de conscience ? Quelle est cette vérité ?

C’est la nécessité du sacrifice de l’amour en tant que jouissance, - en tant qu’expression de l’individualité sensible - au maintien de l’ordre aristocratique. Pour reconquérir cette noblesse héréditaire qui constituait toute la valeur de l’individualité, l’héroïsme exige que celui qui appartient à l’aristocratie renonce à son individualité, soit capable de sacrifier sa vie à son honneur : derrière l’honneur et la gloire personnelle, ce qui se profile c’est la Maison et l’Espagne. L’héroïsme qui permet à celui-ci de recouvrer une identité et une valeur malgré la perte de son individualité sociale, doit aller jusqu’au sacrifice de soi.

 

Acte II : Victoire sur le Comte ;et l’amour ?

 

Don Gormas refuse de faire des excuses à Don Diègue. Rodrigue le provoque et l’entraîne en duel. Le roi Don Fernand annonce que le Comte est mort.

A la fin de l’acte II, s’instaure une véritable réciprocité dans l’immolation de l’amour : Chimène exige du roi Don Fernand la mort de Rodrigue. L’héroïsme va-t-il triompher de la passion ? L’ordre va-t-il triompher de la sensibilité ? Chimène va-t-elle se hausser à la hauteur de Rodrigue ?

 

Acte III : Le duel des amants

 

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les relations amoureuses de Rodrigue et de Chimène telles qu’elles sont représentées dans l’acte III.

En mettant Rodrigue en présence de Chimène, dans deux rencontres célèbres, Corneille atteint d’emblée les hauteurs de la pure tragédie. Il a fallu qu’on désapprenne à lire le Cid pour découvrir dans ces scènes un vague et merveilleux « poème d’amour » ( un « désespoir d’amour », comme l’écrit Castex) ou un miracle de jeunesse sans percevoir la brutalité grandiose de ces scènes qui a fait scandale à l’époque.

Le lyrisme cornélien débouche non pas sur le duo mais sur le duel des amants.

 

L’exigence « héroïque :

Avec une insistance et une opiniâtreté étonnante, à plus de huit reprises, Rodrigue va offrir à Chimène son épée.

Comme l’écrit le critique Nadal : « L’insistance du héros à vouloir mourir éveille un malaise singulier. Cette générosité ne cacherait-elle pas un projet qu’on se refuse à apercevoir tant il paraît trouble et déconcertant ? ».

On s’est souvent demandé ce que Rodrigue cherchait en présentant ainsi son épée à Chimène ; il faut répondre tout simplement : mourir.

En effet, étant donné la perspective particulière de l’éthique aristocratique et la pleine adhésion de Chimène à cette éthique, dont Rodrigue ne doute pas un instant, il faut réaliser qu’en offrant ainsi à Chimène de le tuer, il prend le risque réel qu’elle le fasse. Ce n’est pas un chantage mais un véritable défi.

Loin de jouer à un jeu truqué, Rodrigue joue à un jeu total faisant de son mieux pour pousser Chimène à un acte irrémédiable. Il exhibe à sa vue « l’épée du sang de son père encor toute trempée », il brandit « l’objet odieux » ; à Chimène qui s’exclame « Il est teint de mon sang », Rodrigue indique la seule solution qui s’impose :« Plonge- le dans le mien ».

C’est par la mort de Rodrigue que Chimène doit se prouver son égale, tout comme Rodrigue ne pouvait se prouver l’égal du Comte qu’en le tuant. Demander à Chimène de le tuer, pour Rodrigue, c’est simplement exiger la consommation la plus haute de leur amour, qui passe par le sacrifice de leur vie.

Si l’amour fondé sur le sentiment est impossible, le projet d’un amour fondé sur la reconnaissance de l’Autre demeure.

 

Le personnage de Chimène :

Mais Chimène ne réussit pas à passer par la catharsis que les Stances ont représentées pour Rodrigue ; restée attachée au stade du désir, incapable de chercher le contentement au-delà de la perte sensible, au lieu de faire l’ablation (suppression) et l’oblation (offrande) de son amour, elle s’y agrippe. A peine Rodrigue met-il à sa portée le châtiment qu’il lui demande de lui infliger, elle lui avoue sa faiblesse, derrière laquelle se cache son amour :

 

« C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir

Et je dois te poursuivre et non pas te punir. »

 

Loin d’être l’héroïne virile souvent décrite, Chimène pleurera à travers toute la pièce, symbole d’une faiblesse honteuse :

 

« Que tu vas me coûter de pleurs et de soupirs…

Pleurez, pleurez mes yeux et fondez-vous en eau…

Je cherche le silence et la nuit pour pleurer. »

 

Chez elle, jusqu’à la fin, la passion règne : elle n’a pas su faire l’acte de renoncement qui élève la conscience au-dessus de la vie.

D’ailleurs, Chimène apparut au public contemporain comme une dévoyée : un personnage scandaleux : hors du droit chemin du point de vue de l’éthique héroïque, lorsqu’elle avoue dans ses paroles et dans ses actes l’emprise de la passion. Alors que chez l’homme le moi héroïque l’emportant sur la sensibilité consacre l’éthique aristocratique, chez la femme on assiste à l’empire honteux de la passion, à la chute dans l’impuissance :

 

« Ah ! cruelle poursuite où je me vois forcée

Je demande ta tête et crains de l’obtenir…

Et malgré la rigueur d’un si cruel devoir

Mon unique souhait est de ne rien pouvoir »

 

Et dans le vers célèbre qui suit, elle avoue son échec :

 

« Va, je ne te hais point – tu le dois, je ne puis. »

 

N’est-ce pas dire que pour Corneille, l’héroïsme n’appartient qu’aux hommes à qui seuls il appartient de promouvoir l’éthique aristocratique.

Les limites de l’héroïsme :

L’on voit Rodrigue s’acharner à poursuivre Chimène comme une proie jusqu’à la réduire à merci, et il ne l’abandonne que vaincue et humiliée :

 

« Car enfin n’attends pas de mon affection

Un lâche repentir d’une bonne action…

Immole avec courage au sang qui l’a perdu

Celui qui met sa gloire à l’avoir répandu »

 

Dans la seconde rencontre, une progression logique et inexorable conduira Chimène de la défaite à la reddition inconditionnelle :

 

« Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix.

Adieu : ce mot lâché me fait rougir de honte. »

 

Est-ce à dire que l’héroïsme trouve ici son compte dans le triomphe de la vertu sur l’amour ?

L’acte héroïque ne déboucherait que sur le vide et demeurerait inutile si l’énergie déployée contre l’amour et la sensibilité n’était pas convertie en énergie historique. Or, nous le savons depuis notre première analyse, l’éthique aristocratique du héros est intimement liée à la rencontre de l’histoire.

 

A la fin de l’acte III, Don Diègue, conscient de ce que son fils n’a pas accompli sa destinée de héros (de ce que la victoire sur l’amour débouche sur le vide) envoie son fils dans un nouveau combat, celui contre les Maures.

 

Acte IV : La victoire sur les Maures ; l’héroisme à travers la rencontre de l’histoire.

 

« Cette arrivée des Maures, reconnaît Corneille, ne laisse pas d’avoir ce défaut qu’ils se présentent d’eux-mêmes sans être appelée dans la pièce directement ni indirectement par aucun acteur du premier acte. »

Or, c’est précisément le fait qu’aucune nécessité interne de l’intrigue n’appelait cette arrivée des Maures qui donne tout son sens à l’événement. La pure logique du geste héroïque ne peut s’accomplir dans le cercle fermé des relations privées mais seulement dans la confrontation du héros à l’histoire.

Il va s’agir pour Rodrigue de jouer à nouveau son rôle de mâle, non plus à l’échelle d’une femme, mais d’une collectivité qu’il doit sauver pour affirmer sa maîtrise. Le récit de la bataille contre les Maures par Rodrigue lui-même en éclaire le sens : il ne s’agit pas de la victoire d’une civilisation, d’une religion ou d’un pays sur un autre, mais de la pure et unique exaltation du chef, c’est-à-dire du maître en tant que guerrier.

Le moi héroïque, même lorsqu’il paraît engager dans une action collective, ne poursuit que des fins individuelles.

Don Diègue déjà engageait ainsi son fils :

 

« Va marcher à leur tête où l’honneur te demande

C’est toi que veut pour chef leur généreuse bande. »

 

Dans sa narration, Rodrigue confirme cette prédominance sur la foule, qui est la promotion du chef.

 

« Sous moi donc cette troupe s’avance…

J’allais de tout côté encourager les nôtres

Faire avancer les uns et soutenir les autres

Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour

Et ne l’ai plus savoir jusques au point du jour »

 

Tête, cœur et bras, stratège, animateur et exemple vivant, présence ubiquitaire qui dirige et soutient, Rodrigue est finalement « celui qui sait » ; il est le point de vue supérieur où se rassemble la bataille : il est le chef.

Et quand les Maures reconnaissant leur défaite :

 

« Ils demandent le chef : je me nomme, ils se rendent. »

 

L’affrontement par le héros d’une multiplicité d’autres n’est qu’un cas particulier de l’épreuve de la Maîtrise ; la bataille n’est qu’une variante du duel, le combat collectif se ramène en dernier ressort à un gigantesque combat singulier.

Cet agrandissement historique du héros, tel est le passage de Rodrigue au Cid (le chef). Il y a transformation mais non point métamorphose : c’est le devenir logique de la Maîtrise sur fond d’histoire aristocratique,

Reconnaissance suprême à l’intérieur du contexte nobiliaire, la victoire prend la forme d’un titre de noblesse.

 

Conclusion

Le nom du « héros » devient beaucoup plus qu’un « titre » consacrant une synthèse historique momentanée : c’est une « essence » qui le définit comme héros. Corneille est sans doute le premier à avoir « découvert » dans le projet héroïque le désir d’immortalité qui doit s’accomplir à travers l’histoire. Dans le Cid, le héros prend sa dimension totale : Au-delà de la Maîtrise d’homme à homme dans le duel (Rodrigue-Don Gormas), de conscience à conscience dans l’amour (Rodrigue-Chimène) , de chef à foule dans la guerre, le sens ultime du projet héroïque se définit et se réalise à travers l’histoire.

Malraux reprendra cette « découverte » du sens de l’héroïsme pour la situer au cœur de sa vie et au centre de son œuvre/:

« Etre plus qu’un homme dans un monde d’homme. Echapper à la condition humaine, vous disais-je. Non pas puissant : tout puissant… Tout homme rêve Dieu. »

 

Acte V : L’éthique aristocratique consacrée par le pouvoir et la reconnaissance de l’autre.

 

Rodrigue a annoncé à Chimène qu’il se laissera tuer et elle laisse échapper un aveu d’amour. Après la bataille, croyant Rodrigue mort, elle avoue son amour en présence du roi et de la cour. Le roi la détrompe.

C’est alors que le roi expose à Chimène que le crime de Rodrigue est effacé par sa victoire sur les Maures ; en devenant le Cid.- le chef- , il est lavé de tout crime en tant qu’individu.

Les Maures en fuyant ont emporté son crime. Non seulement Rodrigue a sauvé l’honneur et la vie de son propre père, en vertu de l’identité foncière du sang, mais en écrasant les Maures, il a racheté la vie et l’honneur du Comte – du père de Chimène – par l’identité foncière du « rang ». Rodrigue a en quelque sorte ressuscité le Comte en devenant héros national et soutien du pouvoir.

Dès lors, ce ne sera plus le désir ni le plaisir ni l’amour, mais le devoir de Chimène qui l’obligera à épouser le vainqueur en vertu de la loi aristocratique. Le roi lui dit :

 

« Rodrigue t’a gagnée et tu dois être à lui. »

 

Rodrigue a ainsi gagné Chimène, sa valeur l’a conquise ; elle est le prix de sa victoire. Chimène devra donc surmonter les impulsions de sa sensibilité qui l’avait jusque là dominée ; elle devra vaincre la répugnance physique que produit en elle le vue puis le souvenir du sang paternel. En un mot, elle devra faire violence à la nature au nom d’un autre ordre : elle entre par le mariage dans l’ordre aristocratique.

L’épreuve de force avec le monde et avec autrui ouvre sur la plénitude du salut : Chimène se retrouve dans le mariage après s’être perdue dans l’amour ; et Rodrigue, surtout, assure l’avenir infini du royaume par son courage, et perpétuera par son amour la race irrésistible des maîtres.

 

 

* *

*

Horace

 

Acte I : Un contexte historique :devoir patriotique et liens du sang

 

Le premier acte de Horace met au premier plan dès l’abord un drame historique : la guerre entre Rome et Albe qui sont comme deux cités jumelles, liées entre elles par des liens du sang. C’est ce que confirment les relations entre les Horace et les Curiace : Sabine, sœur d’un gentilhomme Albin, Curiace, a épousé Horace, fils d’un vieux chevalier romain ; et Camille, sœur d’Horace, est fiancée à Curiace.

Le premier acte se termine par une bonne nouvelle : une trêve est conclue et le différend sera réglé entre les deux cités par le choix de trois champions dans chacune d’elles.

Mais, dès ce premier acte, qui nous met en présence des personnages de Sabine, Camille et Curiace, Corneille nous présente ce qu’il y a de passion dans l’existence humaine en général, une sorte d’éthique féminine. Dans Le Cid, la féminité était vécue par Chimène et par l’infante dans une souffrance humiliée et honteuse, qui cherchait sans répit et sans résultat à se nier et à « suivre l’exemple » des hommes. Dans Horace, cette souffrance de l’être sensible est au contraire volontairement reprise et assumée comme une valeur positive par Sabine :

 

« Approuvez ma faiblesse et souffrez ma douleur

Elle n’est que trop juste en un si grand malheur. »

 

Et elle revendique, face à l’homme, une morale conforme à sa propre nature :

 

« Si l’on fait moins qu’un homme, on fait plus qu’une femme

Commander à ces pleurs en cette extrémité

C’est montrer pour le sexe assez de fermeté. »

 

Ainsi s’établirait une éthique féminine où la faiblesse aurait ses droits et où les pleurs seraient reconnus pourvu qu’ils soient contrôlés. Le malheur c’est que Sabine se trouve devant une situation qui ne comporte aucun compromis ; et puisqu’il faut choisir, ne pouvant être fidèle à la fois à Rome et à Albe, elle décide d’être infidèle aux deux, se mettant d’avance du parti du plus faible :

 

« Je serai du parti qu’affligera le sort

Egale à toutes deux jusques à la victoire

Je prendrai part aux maux sans en prendre à la gloire. »

 

Ce choix délibéré du malheur et de la faiblesse représente une première contre-offensive féminine. Mais, à la scène 2, l’arrivée de Camille, en relançant la conversation avec Julie, reprend sur des bases nouvelles, jusqu’à ses extrêmes conséquences, la revendication féminine. Là où Sabine revendiquait les droits de la faiblesse avec mauvaise conscience, Camille, dès son entrée en scène, opte contre l’équilibre précaire des valeurs, pour une valeur qu’elle dit elle-même « unique » :

 

« Je verrai mon amant, mon plus unique bien. »

 

Les conséquences d’une telle attitude sont radicales : l’amour choisi comme « plus unique bien » retrouve la force brute de la passion. La valeur ainsi proclamée du sentiment ne se contente plus de miner l’ordre aristocratique, elle le nie, de sorte que, comme on le verra à la fin de la tragédie, l’héroïsme lui-même sera mis en cause.

Ce premier acte se termine par l’arrivée de Curiace : déchiré dans son être, et à l’opposé de Rodrigue qui dans la même situation sacrifiait délibérément le moi sentimental au moi héroïque, Curiace se présente comme la contre-partie masculine de Sabine, cherchant un équilibre de la faiblesse et de la fermeté :

 

« D’Albe, avec mon amour, j’accordais la querelle

Je soupirais pour vous en combattant pour elle. »

 

Mais, une telle vertu ne représente pas un point d’arrivée, mais seulement dans la pièce un point de départ ; l’héroïsme ne saurait se contenter de « voir » et « d’attendre » le danger ; et bientôt avec Horace il va se remettre en mouvement pour formuler ses exigences.

 

 

Actes II et III

 

Comme l’écrit Corneille dans « L’examen d’Horace », ce second acte passe pour « être un des plus pathétiques qui soit sur scène. ».

Si cet acte est pathétique, c’est qu’il met pour la première fois le héros en face du malheur. Il n’y avait pas en effet dans Le Cid de malheur véritable, mais seulement une sorte d’accident : le duel de Rodrigue, qui semble un moment le séparer de la possession de Chimène, œuvre en réalité, après la mort du Comte, pour unir les amants par des liens qu’ils eussent jamais connus sans cet accident.

Or la différence entre le malheur et l’accident, c’est que celui-ci peut toujours être surmonté alors que celui-là est, par définition, irréparable.

L’arrivée d’Horace dans cette première scène rompt avec l’éthique des personnages du premier acte pour affirmer l’exigence de l’héroïsme. A la différence des femmes et de Curiace qui épouse leur sensibilité, Horace est un personnage qui se donne immédiatement comme masculin ; de même que Rodrigue portait sur le front « une mâle assurance », Horace s’écrit, mot pour mot :

 

« Mon esprit en conçoit une mâle assurance. »

 

Le héros est celui qui doit tout sacrifier à sa gloire, à l’affirmation de sa maîtrise.

Au cours de cette première scène nous retrouvons dans l’opposition d’Horace et de Curiace le conflit fondamental du théâtre Cornélien.

 

Soudain Flavian paraît et Curiace apprend que c’est lui et ses deux frères qu’Albe a choisis pour combattants : ici cesse le drame et commence la tragédie.

 

Corneille souligne lui-même dans son Discours sur la tragédie, comment on passe du drame à la tragédie : « qu’un ennemi, écrit-il, tue ou veuille tuer son ennemi, cela ne procure aucune commisération (pitié), car il n’existe aucun combat dans l’âme de celui qui fait l’action ; mais quand les choses arrivent entre des gens, que la naissance et l’affection attachent aux intérêts l’un de l’autre, comme lorsqu’un mari tue ou est prêt à tuer se femme… ou un frère sa sœur, c’est ce qui convient merveilleusement à la tragédie. »

C’est à la lumière de ces indications de Corneille qu’il faut comprendre la confrontation d’Horace et de Curiace, puis celle d’Horace et de Camille.

 

La confrontation d’Horace et de Curiace :

A la tragédie du Cid, où il n’y avait entre le poursuivant (Rodrigue) et le poursuivi (Chimène) que des liaisons d’amour, le conflit entre Horace et Curiace ajoute les liens d’une même famille, puisqu’ils sont beaux-frères et que la mort du second entraînera la lutte mortelle d’Horace et de Camille, en portant sur scène la plus directe proximité du sang.

Le point de vue traditionnel selon lequel « l’humanité profonde » de Curiace s’opposerait à la « vertu barbare » d’Horace, perçoit bien qu’il y a conflit entre « humanité » et « vertu » ou entre « morale du sentiment » et « éthique de la maîtrise ». Mais il faut comprendre la portée que Corneille confère à cette opposition. L’attitude de Curiace dans cette scène, en face de l’épreuve suprême, ne fait que confirmer ce que son apparition dans l’acte I nous faisait pressentir. Il n’y a pas chez lui simple explosion de douleur mais exécration du ciel qui se double d’une insulte directe envers l’adversaire. Curiace ne craint pas de traiter son beau-frère de barbare et il ironise lourdement, mettant en cause la valeur même de l’héroïsme :

 

« L’occasion est belle, il nous faut la choisir…

 

Et il ajoute à ce débat d’homme à homme des injures patriotiques :

 

Et je rends grâce aux Dieux de ne pas être Romain. »

 

En peignant ainsi l’attitude de Curiace dont le désespoir lui fait renier toute valeur transcendante à la simple humanité, la position de Corneille et le tableau de l’homme qu’il nous propose ne fait pas de doute : Curiace et la « morale de l’humanité » sont disqualifiés et condamnés dans la perspective de l’éthique du héros.

Horace saisit dès le début la vérité qu’il avait fallu à Rodrigue un long débat avec sa souffrance pour atteindre : le malheur, qui frappe l’être sensible, est nécessaire à la manifestation de la valeur ; il n’est pas l’ennemi mais l’allié du héros.

Une nouvelle et plus haute vertu se propose ainsi à la conscience héroïque, un pic plus élevé à gravir. A la morale héroïque ordinaire, où le héros doit triompher de sa sensibilité, s’oppose l’héroïsme extraordinaire d’Horace, qui, à la différence de Rodrigue, accablé de douleur par l’épreuve, est comblé de joie. Faire de la joie avec le malheur même, voici la transmutation ultime qu’opère l’héroïsme, telle est la seule et véritable conquête de soi.

 

Nous voici en mesure de comprendre pourquoi l’agression du proche par le proche, ou comme dit Corneille la proximité du sang et les liaisons d’amour et d’amitié, sont nécessaires à la tragédie parfaite.

Dans Le Cid, sur le champ de bataille de l’amour, était maître celui qui se faisait reconnaître de l’autre en faisant en lui le sacrifice du sentiment : tel était l’héroïsme de Rodrigue qui motivait la reconnaissance de Chimène, - une nouvelle forme d’amour.

Horace pousse l’héroïsme jusqu’au bout : pour affirmer sa valeur, le héros doit non seulement tuer en lui le sentiment, mais bien aller jusqu’à tuer celui qui l’aime parce qu’il est du même sang que lui. L’originalité d’Horace c’est d’avoir compris que la plus haute forme d’héroïsme, et le point où il atteint en quelque sorte la perfection, c’est le fratricide conscient.

 

 

Acte IV : La lutte à mort d’Horace et de Camille

 

L’extraordinaire rencontre entre Horace et Camille n’est nullement une surprise. Amenée pour l’effet ; soigneusement prévue, elle est au contraire le couronnement de la pièce, le sommet de sa progression dramatique ; le suprême et l’authentique combat.

Chez les adversaires – Horace et Camille – il n’y a point emportement soudain mais préméditation. C’est moins la perte de l’être aimé qui va déchaîner Camille contre Horace que l’affirmation par celui-ci d’une éthique contraire à l’amour. C’est contre la joie qui anime Horace et contre le principe suprême de l’héroïsme qu’elle s’élève. A travers ces deux êtres, il s’agit d’une lutte à mort entre deux philosophies.

La rencontre des deux antagonistes, soigneusement préparée, constitue le duel le plus extraordinaire du théâtre de Corneille : jamais la lutte à mort des consciences, le combat mortel du Moi héroïque contre un autre Soi-même n’a atteint une telle perfection.

Voilà Horace qui revient du combat, porté par le même essor que celui de Rodrigue dans Le Cid, par un même mouvement ascensionnel. A l’éthique de l’héroïsme, il a sacrifié un ami très cher et un beau-frère ; il a détruit la famille d’une épouse chérie, - sa propre famille.

Camille se prépare à la rencontre :

 

« Il vient : préparons-nous à montrer constamment

Ce que doit une amante à la mort d’un amant. »

 

« Gloire », « constance », « devoir », Camille parle le même langage qu’Horace, mais au service de l’amour.

Pour affirmer une victoire dont il sait qu’elle est contestée dans cette conscience-sœur, inaccessible et jumelle, qui est celle de Camille, Horace, en réponse, va littéralement la provoquer :

 

« Ma sœur voici le bras qui venge nos deux frères

Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires

Qui nous rend maîtres d’Albe ; enfin voici le bras

Qui seul fait aujourd’hui le sort de deux Etats. »

 

C’est sur le même plan – celui de la conscience éthique – que se place Camille pour lui répondre à son tour en ressuscitant la valeur de l’éthique adverse : celle du sentiment, de l’amour irremplaçable. Evoquant la perte de son amant, « son plus unique bien », elle s’écrit :

 

« Mais qui me vengera de celle d’un amant

Pour me faire oublier sa perte en ce moment ? »

 

C’est tout l’élan cornélien qui se trouve ainsi attaqué de fond et bafoué alors qu’il parvient à sa plus difficile victoire.

La rencontre de Camille et d’Horace, loin d’être le choc d’une jeune femme égarée par la douleur et d’un barbare ivre de gloire, est un affrontement lucide, total, serein.

 

L’affrontement se poursuit ainsi :

 

Horace :

« Tes flammes désormais doivent être étouffées

Bannies-les de ton âme et songe à tes trophées

Qu’il soient dorénavant ton unique entretien. »

 

Camille :

« Recevez donc mes pleurs c’est ce que je lui dois.

Et si tu veux enfin que je t’ouvre mon âme,

Rends-moi mon Curiace ou laisse agir ma flamme. »

 

Il faut comprendre cette scène célèbre non comme une explosion de rage mutuelle mais comme un véritable duel. Dans ce combat, les armes d’Horace sont visuellement mises en évidence : le bras et l’épée.

L’invective chez Camille est calculée et devient une arme, elle touche au vif un adversaire qui se croyait être invincible. Horace s’écrie :

 

« Au ciel qui vit jamais une pareille rage !

Crois-tu donc que je sois insensible à l’outrage ? »

 

Camille accule Horace à l’acte logiquement inévitable, lorsqu’il s’écrie :

 

« C’est trop, ma patience à la raison fait place. »

 

Ainsi Camille, loin de rencontrer la mort par hasard, a cherché à se faire tuer.

 

Mais le coup qui perce soudain Camille n’est pas moins mortel pour Horace.

Dans le duel de l’homme et de la femme, le plus fort, dès qu’il emploie la force s’avilit, le bras qui frappe n’est plus celui d’un héros mais d’un assassin. Camille le sait bien, dans cette scène, et elle en profite : pour atteindre Horace il ne s’agit pas de le supprimer mais de le dégrader ; il faut lui ôter non une vie qu’il est prêt à sacrifier à tout instant mais un honneur qui fait le sens de sa vie.

 

 

Acte V : L’impasse de l’héroïsme et la victoire de l’Etat

 

Dès lors on comprend la nécessité du cinquième acte et le caractère indispensable du « jugement de Tulle ». Un jugement suprême (ici comme dans Le Cid il s’agit d’un un jugement royal) s’impose pour décider des vraies valeurs.

Il reste toutefois au héros à faire l’apprentissage de la solitude tragique.

Au-delà de l’ordre commun, Horace voulait établir un ordre supérieur que récompenserait une renommée sans égale. Il découvre que la Terre Promise est un désert et qu’après avoir sacrifié ses beaux-frères, sa sœur et lui-même, il est irrémédiablement seul.

Horace se trouve soudain retranché de sa classe par son acte. Les gens de bien qui s’expriment par la bouche de Valère s’effraient tout naturellement des audaces d’Horace. Le plaidoyer de Valère rappelle au monarque la règle d’or des sociétés stables : Morale et Religion.

Par un paradoxe cruel, la volonté farouche de fonder une nouvelle humanité « hors de l’ordre commun », aboutit à mettre Horace en défaut avec l’ordre établi.

Au sein d’une aristocratie dégénérée, prête au compromis, qui place désormais les valeurs de sécurité au-dessus des valeurs héroïques, une solitude totale accueille le héros.

Voici donc Horace prêt à tirer contre lui-même l’épée qu’il avait tirée contre ses adversaires, Cette mort bien entendu ne saurait être qu’un suicide, destinée, jusque dans l’annihilation du Moi, à défier autrui :

 

« Permettez, au Grand Roi que de ce bras vainqueur

Je m’immole à ma gloire et non pas à ma sœur. »

 

Tels sont les derniers mots d’Horace.

C’est à ce moment que le roi Tulle intervient, en une ultime tirade qui remet les valeurs en place. A la conclusion sinistre d’Horace : « D’autres aiment la vie et je la dois haïr », s’oppose le commandement royal : « Vis pour servir l’Etat ».

En face du héros, incarnation d’une éthique (celle de la noblesse) se dresse le roi, gardien et défenseur d’un système.

 

Ainsi Horace s’achève, après les sursauts et les tourments de la démesure héroïque, - et son échec au plan individuel -,sur le triomphe et les promesses de l’équilibre royal.

La leçon est claire : Sans l’intervention d’un Etat-arbitre l’héroïsme est destiné à n’être qu’une lutte à mort : la société des héros – la noblesse en tant que classe- est vouée à s’entre-déchirer et, à la fin du compte, à se détruire. Le jugement final de Tulle est destiné à fonder et à promouvoir un équilibre nécessaire, à établir une synthèse des contradictions nobiliaires, non pas livrée aux hasards de l’histoire, mais opérée par un système de gouvernement, dans le cadre de l’Etat.

Après avoir, dans le Cid, valorisé la position de la noblesse en tant que classe en élaborant une éthique aristocratique de l’héroïsme, Corneille, dans Horace, représente à la noblesse, à travers l’impasse de l’héroïsme, la nécessité historique de sa soumission au pouvoir royal, à l’Etat.

 

Il reste maintenant à définir – à représenter- ce que doit être cet Etat, dont on sait déjà qu’il doit « arbitrer » les conflits.

Nous savons que le salut du héros doit être politique ; il s’agit maintenant de comprendre ce que doit être la politique du salut.

C’est le secret objectif, la motivation profonde, de l’écriture de Cinna.

 

Cinna va illustrer – représenter comme un idéal – le fait que cet Etat, auquel la noblesse est contrainte de se soumettre, ne peut être qu’un Etat-Arbitre et que sa politique ne peut être qu’un compromis auquel la noblesse doit consentir si elle veut conserver son rang et ses privilèges.

Mais ce fait peut-il être représenté comme un idéal ? Comment l’acceptation d’un compromis peut-elle être reconnue comme une valeur ? Les nobles, - tous individus qui tiennent leur identité et leur valeur « personnelle » de leur appartenance de classe – peuvent-ils se satisfaire d’une éthique aristocratique qui, comme toute éthique, ne propose qu’une règle de conduite, - non un idéal-, et ne décrit qu’une façon de se « conduire » en héros ?

Quel sens peut avoir encore l’héroïsme et comment peut-il être encore compris et vécu comme un idéal, alors que, dans la pratique, il s’agit, pour se conduire comme un homme de bien, d’accepter un compromis (dont le sens historique est une capitulation et la signification pour les individus, une démission personnelle) ?

Cela n’est possible qu’à condition de conférer à l’héroïsme non plus seulement une signification éthique (qui revêt l’aspect contraignant d’un devoir), mais un sens métaphysique : la forme religieuse d’une Quête de l’Absolu.

Ce sera le rôle de la tragédie de Polyeucte de proposer une nouvelle signification de l’héroïsme : elle doit convertir le projet aristocratique (celui de la noblesse de conserver son rang) – sans lequel la vie des individus serait privée de sens, en un projet humain d’être Dieu.

 

 

*

* *

 

 

Cinna

 

Entre Horace et Cinna, il y a un décalage, une différence de niveau qui frappe dès l’abord. Il existe comme une chute de tension initiale, comme une dégradation des âmes qui va exiger une ascension finale. L’épreuve mortelle par laquelle l’héroïsme conquérant du Cid était parvenu avec Horace en cette impasse où l’individu doit capituler devant le roi, cette épreuve n’est pas terminée : elle s’aggrave encore dans Cinna.

 

Acte I : La conjuration : un couple « maudit ».

 

La pièce s’ouvre sur la présentation du couple Émilie-Cinna : couple héroïque au premier abord puisqu’il est animé d’une passion noble : la vengeance. Les deux amants sont unis dans une même conspiration contre l’Empereur Auguste, assassin du père d’Émilie.

C’est le « devoir » d’Emilie de venger son père. Quant à Cinna, le meurtre d’Auguste est le seul acte qui puisse le rendre « digne » d’Émilie, de la même façon que Rodrigue devait mériter Chimène par la mort du Comte.

L’épreuve déchirante de Cinna réside tout entière dans le fait que, pour épouser la cause d’Émilie, il doit sacrifier Auguste, qui est pour lui comme son père, et qui est en même temps le bienfaiteur de Rome. Le tragique de la situation semble renouveler et aggraver l’épreuve de l’héroïsme : là où Horace, obligé de sacrifier sa propre sœur, était conduit au fratricide, c’est un parricide que Cinna doit accomplir.

Il faut y regarder de plus près ; il ne s’agit là que d’un trompe-l’œil auquel certains critiques se sont laissés prendre. En réalité, le projet héroïque, chez Émilie comme chez Cinna est menacé, vicié de l’intérieur.

Émilie, en projetant la mort d’Auguste, prétend servir Rome. Elle n’œuvre en fait que pour elle-même. Dès le premier acte, sa « piété filiale » est suspecte. Et, si l’on veut en juger, il suffit de comparer le cri de Rodrigue : « A qui venge son père il n’est rien d’impossible » à la maxime d’Émilie « Pour qui venge son père il n’est point de forfait. » La morale aristocratique est remplacée par un immoralisme machiavélien du succès : tous les moyens sont bons pour Émilie pour arriver à ses fins ; elle va même jusqu’à envisager d’épouser Auguste, satisfaisant ainsi sa vengeance par une double trahison : envers Auguste et envers Cinna.

Quant à Cinna, son héroïsme n’est qu’une façade. Le personnage se trouve littéralement en porte-à-faux. Là où il veut nous donner l’illusion de conspirer contre Auguste pour servir Rome, il ne fait qu’épouser la cause d’Émilie pour « mériter » son amour. Dès lors la « liberté » de Rome, qu’il invoque, n’est plus un motif, mais un prétexte d’action, un simple moyen de gagner Émilie. Dans l’action de Cinna, il n’y a plus trace du projet aristocratique qui consistait pour le héros à promouvoir par son courage au service de l’État, la valeur de sa classe. Non seulement le divorce entre les intérêts de l’individu et ceux de l’État est consommé ; mais, ce qui est plus grave encore, c’est que, sous couleur de faire triompher Rome, ce sont en fait les valeurs anti-romaines, anti-patriotiques, de l’attachement amoureux que Cinna entend promouvoir.

L’acte se termine par un ordre de l’Empereur qui mande près de lui Cinna qu’il considère comme son fils, et Maxime, qui n’est qu’un autre conjuré.

 

 

 

Acte II : L’interrogation d’Auguste.

 

Faisant pendant aux faux conjurés de la liberté, nous nous trouvons face à Auguste qui a réalisé le projet de domination et est parvenu à cet « Empire absolu », dont la quête est la hantise de la conscience aristocratique. Mais voici qu’Auguste exprime à ceux qu’ils croient ses plus fidèles soutiens, sa « lassitude ». Le « pouvoir souverain », loin de lui apporter la plénitude d’être, se révèle un manque secret :

 

« Ce pouvoir souverain que j’ai sur tout le monde…

N’est que de ces beautés dont l’éclat éblouit

Et qu’on cesse d’aimer sitôt qu’on en jouit. »

 

Auguste tente de justifier sa lassitude par les soucis et les alarmes du pouvoir :

 

« J’ai souhaité l’Empire et j’y suis parvenu

Mais en le souhaitant, je ne l’ai pas connu

Dans sa possession j’ai trouvé pour tout charme

D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes. »

 

Mais il nous dévoile lui-même la raison profonde de sa lassitude :

 

« Point de plaisir sans troubles et jamais de repos. »

 

Autrement dit, ce qu’Auguste cherchait dans le pouvoir, ce n’était autre chose que l’absence de trouble et le repos : Mais, l’éthique aristocratique est à l’opposé de la morale stoïcienne : ce « repos héroïque » est une contradiction puisque l’héroïsme, ainsi qu’Auguste s’en rend compte, consiste à se projeter sans cesse vers de nouvelles conquêtes :

 

« Notre esprit jusqu’au dernier soupir

Toujours vers quelque objet pousse quelque plaisir. »

 

La « lassitude », l’ « insatisfaction » d’Auguste mettent simplement au jour la fausseté d’une domination du monde qui ne passe pas d’abord par une domination de soi.

La possession du monde ramène Auguste à lui-même, à sa subjectivité :

 

« Il se ramène en soi n’ayant plus où se prendre. »

 

Celui pour qui tous les hommes sont devenus des sujets est condamné à la solitude, à sa subjectivité.

Il va tenter dans la suite de cette scène (de cet acte) de réconcilier le pouvoir qui transforme les autres en étrangers, avec l’amour qui donne accès à autrui, à son irremplaçable individualité. S’adressant à Cinna et à Maxime, ses plus fidèles confidents, il leur dit :

 

« Traitez-moi comme ami, non comme souverain. »

 

Mais le projet d’Auguste d’être traité à la fois comme ami et comme souverain est contradictoire : il faut choisir entre la morale de l’héroïsme et la morale du sentiment.

L’acte s’achève par un honteux subterfuge de Cinna qu’il va avouer à Maxime dans la dernière scène. Alors que Maxime voyant se réaliser l’objet de la conspiration, conseille à Auguste de quitter le pouvoir pour rendre sa liberté à Rome, Cinna, de peur de voir sa victime lui échapper et par-là de perdre Émilie, supplie Auguste de rester sur le trône.

 

Acte III : La trahison de Cinna.

 

Maxime qui aime en secret Émilie va perdre Cinna en découvrant à Auguste le complot. C’est alors que Cinna exprime ses remords et tente en vain de fléchir Émilie.

On présente d’ordinaire le dilemme de Cinna comme un cas de conscience sentimental : devant la confiance d’Auguste qui s’en remet à lui de son destin et de celui de Rome, il serait réduit à trahir la vengeance d’Émilie ou l’amitié d’Auguste, partager en quelque sorte entre deux loyautés ou deux amours.

De fait, Cinna n’éprouve pas du tout de la douleur (comme Curiace partagé entre son amour pour Camille et son dévouement à Albe) mais bien- ce qui est tout différent-, du remords : il se repent parce qu’il a parfaitement conscience d’avoir fait le mauvais choix, d’avoir décidé contre sa raison même en optant pour l’amour.

 

Ce choix, avoue-t-il :

 

« Continue à le nommer faiblesse,

Puisqu’il devient si faible auprès d’une maîtresse

Qu’il respecte un amour qu’il devrait étouffer. »

 

Le « service » d’Émilie, qui faisait le seul but de Cinna au début de la pièce, est vécu comme un véritable asservissement :

 

« Mais, hélas ! J’idolâtre Émilie

Un serment exécrable à sa haine me lie. »

 

Le fond du drame intime et inexorable de Cinna, sa souffrance, en conseillant à Auguste de devenir Empereur, ce n’est pas d’avoir à mentir, c’est au contraire de savoir qu’il dit la vérité et, pourtant, de la trahir par son esclavage amoureux. Cinna improvise dans cette scène une défense de la monarchie si concertée et si logique qu’elle emporte irrésistiblement l’adhésion d’Auguste. Cela serait inconcevable s’il n’exprimait pas ainsi une pensée profonde : sa reconnaissance du pouvoir, son soutien à l’absolutisme royal. Il est profondément et secrètement persuadé qu’il n’y a pas d’autre issue pour la noblesse que de reconnaître la monarchie absolue et de s’y soumettre.

Ce qui se dégage de façon progressive et irrésistible du mouvement même du théâtre cornélien, c’est la prise de conscience de cette trahison de classe que représente la capitulation de la noblesse devant le pouvoir royal. C’est la le sens ultime de la lâcheté que Cinna reconnaît et dénonce en lui-même. A travers les scrupules de sa conscience morale, ce sont les tourments de sa conscience politique qui font sa tragédie intime.

 

C’est d’ailleurs la raison de la révolte finale de Cinna et de l’effondrement de ses relations amoureuses avec Émilie à la scène 4 de l’acte III. Car le choc ultime entre les deux amants est de nature essentiellement politique. Émilie apparaît comme l’aristocrate qui s’entête et s’aveugle pour faire triompher une dignité que la noblesse a déjà perdue en espérant résister au mouvement de l’histoire par l’organisation d’une conspiration contre le monarque.

 

Acte IV : La délibération d’Auguste

 

Informé du complot par Maxime, l’Empereur, resté seul, choisit de pardonner. Telle est la solution historique au dilemme humain du projet aristocratique.

A travers l’idéal de l’héroïsme, la noblesse ne peut résoudre la contradiction qu’elle éprouve tragiquement lorsqu’elle cherche à concilier la sauvegarde de sa dignité (son individualité sociale) et son acceptation, sa soumission à la monarchie absolue. Cette contradiction qu’elle ne peut résoudre, c’est celle que la monarchie absolue résout historiquement en instaurant un équilibre provisoire entre les deux classes dominantes : la noblesse qu’elle soumet en la stipendiant et la bourgeoisie qu’elle soutient tout en lui imposant la pérennité du système féodal.

 

Acte V : Le pardon : le sens historique et politique de la clémence.

 

Auguste rappelle à Cinna ses bienfaits en l’informant qu’il est au courant du complot. Émilie se désigne elle-même comme l’instigatrice de la conspiration. Maxime à son tour avoue sa perfidie, révélant à Auguste qu’il faisait partie des conjurés. Là où Auguste cherchait à être aimé, voici qu’il découvre soudain la haine, voici qu’il est rejeté brutalement dans la logique du pouvoir qu’il voulait quitter, et dont il découvre maintenant qu’il est prisonnier.

Sa femme Livie le remet, dès son entrée en scène, dans sa perspective véritable qui est historique et politique :

 

« Cherchez le plus utile en cette occasion »

 

Rome est là, avec l’ordre public à maintenir, Or la violence s’est justement avérée inutile et voici le conseil de Livie :

 

« Après avoir en vain puni leur insolence

Essayez sur Cinna ce que peut la clémence. »

 

La clémence qui n’était apparue jusque là au milieu des hésitations d’Auguste que comme une porte de sortie sentimentale, devient pour Livie une arme politique destinée à vaincre Cinna et à consolider le nouvel État monarchique.

Cette solution de clémence fait coup double : arme politique destiné à vaincre Cinna, elle constitue en même temps une épreuve éthique par laquelle Auguste, remportant une victoire sur lui-même, devient digne de demeurer sur le trône et d’assurer la continuité de l’État monarchique.

 

Pendant qu’avec Cinna et Émilie le projet aristocratique sombre dans la traîtrise, chacun étant victime du sentiment, le pouvoir monarchique trouve sa justification morale.

 

Cette convergence et union ultime du politique, de l’éthique et du monarchique est la découverte propre à Cinna et le point culminant vers lequel tend toute la pièce et dans son ensemble tout le théâtre de Corneille.

 

 

*

* *

 

Polyeucte

 

Un paradoxe

 

Selon les interprétations traditionnelles, Polyeucte occuperait une place à part dans le théâtre de Corneille : ce serait la seule tragédie chrétienne de la dramaturgie profane, et ce serait même le chef-d’œuvre du théâtre chrétien de langue française.

Voici le paradoxe de Polyeucte : si, en effet, on fait de cette tragédie le modèle de l’art chrétien, qui, avec le martyr de Polyeucte, célèbre l’avènement de Dieu et son empire sur l’homme, on doit considérer qu’elle s’inscrit à l’opposé de tous les théâtre cornélien.

Si tout l’effort de l’héroïsme cornélien tente de définir les conditions d’un salut purement humain et la possibilité d’atteindre l’absolu sans quitter le monde, dans et par l’exercice du libre-arbitre ; si cette éthique de la Maîtrise peut être accomplie en un mouvement d’ascension de plus en plus authentique, par le triomphe successif de l’homme sur la nature (Le Cid), du héros sur l’homme (Horace), du monarque sur le héros (Cinna), on peut se demander quelle place est réservée au divin en cet univers exclusif de Dieu.

Entre Polyeucte qui est une tragédie de la grâce et un théâtre de la liberté, il y a un abîme infranchissable.

Peut-on soutenir avec Peguy « que les tragédies de Corneille sont une famille liée ; et que, par conséquent, le Cid et Horace représentent deux héroïsmes temporels qui, portés à l’éternel, donne Polyeucte. » ?

Selon Peguy, il n’y aurait dans la dramaturgie cornélienne qu’un seul mouvement : « Tout le jeune héroïsme du Cid, tout l’héroïsme chrétien, tout l’héroïsme chevaleresque, toute la jeunesse (…) toute la chevalerie du Cid se trouvent promus dans Polyeucte en jeunesse éternelle, en héroïsme et comme en chevalerie de Sainteté. »

Or, s’il est vrai qu’il y a eut au Moyen-Age une chevalerie chrétienne, l’élément nobiliaire et l’élément chrétien se sont depuis longtemps dissociés au temps de Corneille ; la renaissance du catholicisme au XVIIe siècle s’emploie à nier l’image chrétienne de la chevalerie.

Le paradoxe aboutit ainsi à une alternative : si Polyeucte est bien dans la continuité du théâtre de Corneille, ou bien ce théâtre est tout entier chrétien ou bien Polyeucte, malgré les apparences, n’est pas une pièce chrétienne.

 

Une pièce chrétienne

 

On trouve dans Polyeucte une dogmatique chrétienne d’une exactitude incomparable : baptême de Polyeucte, martyrs de Polyeucte et de Néarque, conversions de Pauline et de Félix. Bien plus, toute la fin de la tragédie repose sur le dogme de « l’intercession des Saints » : la prière de Polyeucte, avant son supplice, en faveur de Pauline, « c’est déjà, comme l’écrit Peguy, c’est d’avance une prière, une intercession rituelle (…) C’est déjà l’Église triomphante qui prie pour l’Église militante et pour l’Église souffrante. »

D’ailleurs, Corneille dans cette pièce prend position dans la querelle qui oppose les Jésuites et les Jansénistes sur la question de la grâce. Il se place résolument dans la perspective de la théologie moliniste : la grâce divine est toujours offerte à l’homme mais celui-ci, par son adhésion ou son refus, reste libre de la rendre efficace et demeure pas conséquent responsable de son destin.

Comme le fait remarquer Claudel, la pièce repose sur une « fondamentale ambiguïté » que Peguy avait d’ailleurs noté : « un faîte d’héroïsme dans la Sainteté mais qui peut être aussi, vu de l’autre côté, un faîte de Sainteté dans l’héroïsme. »

 

Acte I

 

Dans cet acte, le chrétien Néarque presse Polyeucte, récemment converti ; de recevoir le baptême. Mais celui-ci hésite encore à contrarier son épouse Pauline, qui en rêve, l’a vu mort. En ce même acte, on apprend le retour de Sévère.

La première scène de la pièce reprend dans toute sa force le thème cornélien traditionnel qui oppose le principe mâle de la Maîtrise et le principe femelle du Sentiment.

« Polyeucte goûte de son hymen la douceur infinie. »

 

« Mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une femme

Vous ignorez quels droits elle à sur toute l’âme

Quand, après un long temps qu’elle a su nous charmer

Les flambeaux de l’hymen viennent de s’allumer. »

 

C’est bien là le règne du corps maintenant épanoui et du désir enfin satisfait qui donne le ton à ce début de tragédie.

De même que la première scène nous montrait Polyeucte possédé par Pauline, Pauline est à son tour possédé par Sévère : « Il possédait mon cœur, mes désirs, ma pensée. » Or Sévère, vaillant chevalier, était pauvre, socialement inacceptable et rejeté par le père de Pauline qui a interdit l’union.

 

Derrière la « volonté » cornélienne qu’on reconnaît en général à Pauline, se trouve dissimuler une passion qui n’est pas éteinte. La souveraineté de la passion est un trompe-l’œil. Pas un instant la raison ne peut dissiper la passion : le corps et les sens résistent :

 

« Il est toujours aimable et je suis toujours femme

Dans les pouvoirs sur moi que ses regards ont eus

Je n’ose m’assurer de toute ma vertu. »

 

« J’assure mon repos que troublent ses regards

La vertu la plus ferme évite les hasards. »

 

 

 

 

 

Acte II

 

Le « beau roman d’amour », ainsi qu’on disait au XVIIIe siècle, occupe la plus grande partie de l’acte II. Pour Pauline, Sévère est sans aucun doute l’incarnation de tout ce qui, chez la femme aristocratique, peut éveiller le désir. Il est l’abrégé des vertus galantes ; il est l’homme qui fait de l’amour humain sa divinité :

 

« Pourrais-je voir Pauline et rendre à ses beaux yeux

L’hommage souverain que l’on va rendre aux Dieux »

 

Par opposition à Sévère, Polyeucte est épris de sa femme autant qu’on peut l’être mais tout son effort, lorsque s’ouvre la pièce, va justement consister à se déprendre. Il peut même s’accommoder d’une certaine brusquerie envers sa femme :

 

« Un songe vous fait peur…

Adieu, vos pleurs sur moi prennent trop de puissance »

(Scène 2)

 

« C’est trop verser de pleurs, il est temps qu’ils tarissent

Que vos douleurs cessent et vos craintes finissent »

(Scène 4)

 

Lors de la confrontation suprême dans la prison, Polyeucte prononcera la condamnation sans appel de l’amour des sens, même légitime, et son effacement devant l’amour divin.

 

Pauline :

« Quitter cette chimère et m’aimer

Polyeucte : – je vous aime

Beaucoup moins que mon Dieu mais bien plus que moi-même »

 

De son côté, il apparaît clairement dans cet acte que Pauline, lorsqu’elle rencontre à nouveau Sévère, n’est pas mise en présence de l’homme qu’elle aimait mais de l’homme qu’elle aime.

 

« Et quoique le dehors soit sans émotion

Le dedans n’est que trouble et que sédition

Un je ne sais quel charme encor’ vers vous m’emporte… »

 

Il faut remarquer l’audace de cette scène où une femme , à peine mariée de quinze jours, confesse son amour à son amant dans des lieux pleins encore de la présence du mari. Cette liberté prise avec les « bienséances » donne la mesure du désarroi sensuel d’une femme chez qui deux semaines de vie conjugale n’ont pu entamer l’image de l’Autre, parée plus que jamais de tous ses attraits.

 

Alors que Polyeucte revient du baptême, Pauline lui fait part de sa décision de ne plus revoir Sévère.

Dans la scène où Pauline fait part à Sévère de sa décision, l’on a affaire à un étrange renversement : c’est ici la femme qui guide et élève l’homme ; du point de vue cornélien, c’est le monde renversé.

Le dernier cri de Sévère révèle chez lui la survie du sentiment réprimé mais non pas dominé :

 

« O devoir qui me perd et qui me désespère »

 

Nous découvrons en même temps que Pauline, contrairement à ce qu’on en a dit pour en faire une héroïne cornélienne, n’a pas triomphé de sa faiblesse :

 

« Ma raison, il est vrai dompte mes sentiments

Mais quelque autorité que sur eux elle ait prise

Elle n’y règne pas, elle les tyrannise. »

 

Or, dans le domaine de la vie spirituelle autant que dans le domaine de la vie politique, la tyrannie est une forme abâtardie, une contrefaçon de la royauté : elle est marque de la faiblesse, non de la force.

Victoire apparente, la rencontre de Pauline et de Sévère est en réalité un échec. Au regard de cette « victoire sur soi », qu’appelait et qu’exigeait l’éthique héroïque – chez Sévère comme chez Pauline – il n’y a ici que deux vaincus.

 

Et, c’est précisément au moment où la Maîtrise s’avère impossible sur le plan humain qu’elle va tenter de se projeter sur le plan divin et que les « saintes fureurs » de Polyeucte vont succéder, dans la progression de la pièce, au roman d’amour de Pauline et de Sévère.

 

Acte III

 

On apprend que Polyeucte s’est converti et qu’il n’a pas hésité à renverser les idoles. Néarque a été supplicié, mais on apprend que Polyeucte n’a pas été ébranlé par ce supplice.

 

Polyeucte représente les forces suprêmes du héros pour se récupérer au-delà de l’État et pour retrouver un absolu éternel.

Chef de la noblesse arménienne, issu du sang des rois, par son adhésion au christianisme, il renverse l’ordre et la hiérarchie, détruit l’Empire annoncé par Tulle et fondé par Auguste. Dans la scène du renversement des idoles, la révolte contre les Dieux est en même temps rébellion contre la source légitime du pouvoir.

Quand Pauline rappelle à Polyeucte l’axiome de l’éthique aristocratique : « Vis pour servir l’État » c’est toute la dialectique de l’héroïsme qu’ébranle la réponse de Polyeucte :

 

« Je dois ma vie au peuple, au prince, à sa couronne ;

Mais je la dois bien plus au Dieu qui me la donne

Si mourir pour son prince est un illustre sort

Quand on meurt pour son Dieu quelle sera la mort ! »

 

Le héros, en mettant Dieu au-dessus de l’État, retrouve volontairement la solitude qui avait menacé d’ensevelir Horace mais pour s’en faire un tremplin et tenter d’accomplir une dernière fois, son propre salut, tout seul.

 

De quel Dieu s’agit-il ? A quelle image de l’homme le Dieu de Polyeucte se réfère-t-il ? La réponse est claire :

 

« Le Dieu de Polyeucte et le Dieu de Néarque

De la terre et du ciel est l’absolu monarque

Seul être indépendant, seul maître du destin »

 

« Absolu monarque », « seul être indépendant », « seul maître », Dieu, c’est le héros cornélien qui se met soudain à exister, le projet héroïque irréalisable qui se réalise.

La théologie cornélienne, ce n’est pas « Dieu fait homme », ni même « l’homme fait Dieu », mais très exactement, « le héros fait Dieu ». Dès lors le mouvement vers Dieu n’est rien d’autre que la reprise, portée cette fois à l’absolu, du mouvement intime de l’héroïsme.

 

Si Polyeucte suit scrupuleusement le principe premier de l’héroïsme, tel qu’il est posé dans Le Cid, il en reprend le mouvement tel qu’il se poursuit dans Horace.

L’appel du divin, qui porte l’âme vers « le Seigneur des seigneurs » tend à définir parmi les héros (ici les chrétiens) une sur-aristocratie. Le martyr sera pour Polyeucte l’occasion de se donner une destinée hors-série.

 

« C’est une impiété qui n’eut jamais d’exemple »

 

Le bris des idoles dans le temple n’a rien d’un élan spontané, d’un transport de la foi : comme dans le cas de Camille face à Horace, la provocation chez Polyeucte est préméditée.

Voici le compte-rendu de la scène :

 

« (…) des mystères sacrés hautement se moquaient

Et traitaient de mépris les Dieux qu’on invoquait

Quoi ! lui dit Polyeucte en élevant sa voix,

Adorez-vous des Dieux ou de pierre ou de bois

Ici dispensez-moi du récit des blasphèmes »

 

 

Actes IV et V

 

Polyeucte se prépare à recevoir la visite de Pauline et fait mander Sévère. Il se prépare à cette rencontre par une méditation qui dit adieu aux biens terrestres et exalte le bonheur céleste.

Polyeucte avant de mourir va vouloir donner Pauline à Sévère pour pouvoir à l’instant suprême triompher d’eux et de lui-même.

 

« Mon amour par pitié cherche à vous soulager

Il sait quelle douleur dans l’âme vous possède

Et sait qu’un autre amour en est le seul remède »

 

Étrange pitié qui traite autrui comme une chose qu’on peut léguer

 

« Possesseur d’un trésor dont je n’étais pas digne

Souffrez avant ma mort que je vous le résigne »

 

Pauline ressent comme il se doit l’outrage :

 

« Tigre, assassine-moi du moins sans m’outrager

Que t’ai-je fait cruel pour être ainsi traitée »

 

L’affrontement ultime de Polyeucte et Pauline n’est autre que l’opposition inexpiable des valeurs du sentiment et des valeurs de la Maîtrise que nous avons rencontrée dans le duel d’Horace et Camille.

Comme éclatait le cri farouche d’Horace : « Albe vous a nommé, je ne vous connais plus », éclate le cri final de Polyeucte

 

« Mais de quoi que pour vous mon âme m’entretienne

Je ne vous connais plus si vous n’êtes chrétienne »

 

La religion a remplacé ici le patriotisme, mais le projet fondamental de Maîtrise, les conduites qui s’y rattachent, sont les mêmes dans cette tragédie chrétienne et dans les tragédies païennes. L’affrontement de la mort, chrétienne ou païenne, débouche en fin de compte sur une éthique de la Gloire.

Le secours de la religion chrétienne prend ainsi un sens très précis qui s’insère spontanément dans la ligne d’évolution de l’héroïsme cornélien : Dieu sera ce que Rodrigue ne pouvait être pour Don Diègue, l’État pour Horace, et Rome pour Auguste ; le martyr est une assurance tous risques d’immortalité. En mourrant pour son Dieu, Polyeucte meurt exclusivement pour lui-même.

 

 

Conclusion :

 

L’analyse des premières tragédies du théâtre cornélien, que nous avons intégralement empruntée au travail critique de Doubrovski, nous permet d’illustrer cette double approche, dont nous avons rappelé le principe en exergue de cette étude.

L’analyse historique nous a permis d’expliquer la genèse de la représentation cornélienne de l’héroïsme : La motivation profonde de la création chez Corneille, – le moteur secret du théâtre cornélien -, c’est la nécessité historique pour la noblesse, dont les privilèges sont menacés à terme par le développement de la bourgeoisie, d’accepter de renoncer à son indépendance en se soumettant au pouvoir absolu de la Monarchie de Louis XIV, qui lui impose, pour conserver son rang (sa position sociale) d’accepter un compromis qui réalise l’équilibre provisoire de deux classes « dominantes ».

Mais les nobles ne peuvent accepter cette capitulation devant le pouvoir royal et le compromis qu’il leur impose qu’à condition de se dissimuler que cette acceptation (si elle sauvegarde leurs privilèges de classe), constitue réellement une mise en cause de leur « valeur » personnelle (de leur mérite), inséparable au cœur de la conscience qu’ils prennent d’eux-mêmes de leur position sociale.

Leur identité personnelle se confondait avec leur individualité sociale. Et, c’est la perte de leur individualité dont ils éprouvent tragiquement la menace.

 

La menace ne peut être conjurée qu’au prix d’un véritable processus d’idéalisation : Là où le vide menace au cœur de la conscience que les individus prennent d’eux-mêmes à ce moment de l’évolution historique (qui met en cause la pérennité de leur classe), il s’agit de conférer à l’individualité une valeur en faisant abstraction de son contenu réel : cette valeur nécessairement « idéale », c’est la représentation de l’héroïsme, qui est le secret du théâtre cornélien : Privé de tout contenu, l’héroïsme n’est que l’affirmation vaine de la valeur de l’individu, qui revêt la forme vide de la maîtrise de soi. Le héros est contraint de se prouver sans cesse sa « valeur » ; et il ne peut le faire qu’en triomphant d’abord de sa nature sensible (dans le Cid), puis en entrant dans une lutte à mort avec lui-même – avec son propre sang –à travers un autre soi-même sous la forme d’un fratricide ou sous la forme pure et simple du suicide (Horace).

Il n’est sauvé de cette dialectique qui le conduit à la mort qu’en remettant son sort entre les mains de l’Etat (Horace), puis en demandant à Dieu – à la religion- de convertir cet instinct de mort en désir d’immortalité (Polyeucte).

Nous savons, nous, qu’il ne s’agit pas d’un instinct de mort inscrit au cœur de l’individualité humaine, que l’héroïsme chercherait à surmonter, mais d’une mort sociale : de la fin prochaine d’une forme historique d’individualité condamnée par l’histoire. La tentation et l’idéal de l’héroïsme répondent à la prise de conscience de cette menace, appréhendée comme un vide, dont l’individu sait qu’il ne saurait être comblé qu’à travers sa participation à l’histoire.

 

Voilà qui nous permet de comprendre la valeur « éternelle » de l’œuvre, en l’occurrence du théâtre cornélien.

La dialectique du héros telle qu’elle a été mise en œuvre par Corneille est « reprise », ressuscitée, réinventée par Malraux dans sa vie et son œuvre. A une période où la montée d’une nouvelle classe sociale semble bien mettre en cause, sinon la domination, du moins la croissance de la bourgeoisie, c’est une nouvelle fois, mais de façon bien plus radicale, que les individus ( les penseurs qui appartiennent à cette classe) éprouvent la menace sous la forme d’une prise de conscience : la perte de l’identité, le vide de la conscience de soi. L’expérience est vécue comme l’épreuve de la solitude, et pensée, à travers la réflexion pascalienne, comme la découverte du « gouffre intérieur ». « Mais, que faire d’une âme s’il n’y a ni Dieu ni Christ ? ». Comment ne pas reconnaître en cet abîme qui sépare l’individu de lui-même – l’homme de l’être – le sens de la condition humaine ? La mort n’est-elle pas notre destin, qui menace la vie de non-sens ?

Pour celui qui veut échapper à l’Absurde, il n’est d’autre solution que de « jouer sa vie sur un jeu plus grand que soi » : le champ de l’Histoire. C’est cette tentative qui constitue l’éthique malrucienne de l’héroïsme, présente au cœur de sa vie et de son œuvre. L’Espoir naît de cette rencontre avec l’Histoire qui comble le vide de la conscience de soi par l’illusion de la fraternité. Mais l’histoire ne peut que décevoir celui qui cherche en elle un recours contre la solitude et une échappatoire au non-sens de l’existence. L’illusion fait long feu. Et, comme Cinna, Malraux va achever l’aventure de l’héroïsme en se faisant le plus fidèle soutien du Général De Gaulle, un pouvoir qui prétend au nom de la Nation instaurer l’équilibre en faisant de l’Etat l’arbitre entre les classes antagonistes.

C’est encore une fois l’histoire qui résout la contradiction que l’individu, sous la forme de l’idéal « héroïque », tentait en vain de surmonter : Comment l’individu, encore épris de lui-même,- en quête de son identité (d’une individualité « monadique », que tout met en cause) – pourrait-il prétendre « se réaliser» en dominant une histoire que les hommes ne maîtrisent pas ? Comme le projet aristocratique, le projet « individualiste », où s’exprime encore l’idéal de la bourgeoisie conquérante, est voué à l’échec, quand, par le mouvement de l’histoire, l’idéal de la fraternité s’est incarné dans la solidarité de classe.

Il ne reste plus à celui qui se voulait le héros d’une aventure capable de transformer sa vie qu’à se faire le héraut d’un Souverain – aussi grand qu’éphémère-, qui se prétend maître de l’Histoire comme de l’Univers au mépris de l’espoir des millions d’hommes qui veulent changer la vie.

Ne peut-on soupçonner que celui qui fut le chantre de cet Espoir des hommes, comme Cinna, eut, à la fin de sa vie - « sanglante et vaine »-, conscience de la trahison ?

 

La « découverte » de l’héroïsme par Corneille ou par Malraux s’ouvre sur une vérité plus profonde qui rend compte de la valeur « éternellement » renouvelée de leur oeuvre: Si l’héroïsme a son séjour au cœur de l’homme et ne manquera pas de l’avoir toujours, c’est, bien sûr, parce que les hommes ont besoin de l’histoire pour donner sens à leur vie, mais c’est en même temps parce que l’histoire a besoin du courage des hommes pour accoucher de l’avenir.

Si tout homme peut devenir un héros, c’est parce que l’individualité humaine ne se réalise jamais qu’à travers une histoire qui dépasse infiniment l’horizon d’une vie individuelle.

L’héroïsme est-il autre chose que l’horizon d’une histoire qui transforme la vie d’un homme en devenir de l’humanité ?

 

 

 

 

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