La société française de 1945 à 1990

 
 

La société française de 1945 à 1990

 

 

Introduction

 

Ampleur de la transformation sociale et de l’espace quotidien de la vie des Français, plus bouleversé en 40 ans qu’en plusieurs siècles.

 

 

A Comparaison

 

1. En 1946

 

Etat de la France à peu près égal à la France d’avant-guerre :

-Dans les campagnes : domination de la polyculture, chevaux, charrues, villages centrés autour de l’église, la mairie, l’école.

-Les villes n’ont pas changé depuis les grands événements du second Empire, à l’exception de quelques immeubles de briques aux portes des grandes villes.

-Banlieues : celles décrites par Céline, enchevêtrement de voies ferrées, usines, et pavillons en meulière.

-automobiles encore rares, le cheval n’a pas disparu.

-Les appartements sont exigus et ne disposent pas du confort le plus élémentaire ; on lave le linge dans une grande lessiveuse galvanisée.

-Paysage industriel sans changement (voir les descriptions de Zola dans Germinal)

 

2. 40 ans après

-Espace rural dévoré par la ville et toutes ses tentacules.

-Confort domestique, les paysans sont trois fois moins nombreux et les gens des villes ont acheté des maisons de campagne. Les paysans sont devenus des entrepreneurs et sont intégrés à l’économie marchande.

-L’automobile a tout dévoré : autoroutes, parkings, pompes à essence marquent tous les paysages.

-Les grandes surfaces encerclent les villes.

-Les vieilles usines du XIX° siècle de briques et de poutrelles d’acier ont disparu, les terrils sont gazonnés, les mineurs ont disparu

-Grands ensembles multipliés pour loger les populations de l’exode rural et les immigrés.

-Les villes ont été à nouveau éventrées pour permettre le ruissellement automobile.

-Les vieilles dames ne sont plus en noir, mais participent aux « clubs de troisième âge ».

-La télévision est dans tous les foyers.

-Le latin n’est plus l’apanage de la culture de l’élite.

 

 

Conclusion

La nouvelle génération vit la plus radicale ouverture à la modernité que la société française est connue dans toute son histoire.

B. Les imaginaires sociaux :

 

La société française contemporaine est caractérisée par la confrontation d’imaginaires sociaux qui surplombent la diversité des partis politiques, des syndicats, des associations et des églises. 

-L’imaginaire gaulliste : Cet imaginaire occulte la société, ses différentes couches sociales derrière la Nation, qui est l’unité des citoyens français ; les organisations professionnelles (syndicats) sont considérées comme des féodalités.

La « participation » -intéressement des salariés- ( pourcentage - modeste - au bénéfice des entreprises mobilisée pendant cinq ans sur un fond d’épargne) est prônée comme le remède infaillible aux conflits sociaux. On affirme le rôle irremplaçable de l’Etat, seul capable de mobiliser l’énergie nationale.

-L’imaginaire marxiste représenté par les mouvements de gauche, en particulier le parti communiste, véhicule une toute autre image : d’un côté, le pouvoir et le patronat qui sont des alliés objectifs pour exploiter « les couches laborieuses », de l’autre, l’ensemble des travailleurs, au sein desquels la classe ouvrière est détentrice d’une mission historique. (L’avant-garde contre l’exploitation capitaliste).

-L’imaginaire pacifié : représenté par le livre de Valery Giscard D'Estaing : la démocratie française ; dans ce livre, VGE soutient que l’évolution de la société, loin de conduire au face à face de deux classes antagonistes, doit se traduire par l’expansion d’un immense groupe central porteur des valeurs modernes, et capable d’intégrer toutes les couches de la population.

Trois pôles : réformisme, apaisement des conflits, unification autour des classes moyennes.

-D’autres imaginaires sont véhiculés par certains sociologues :

1. Ceux qui décrivent la disparition progressive des inégalités régionales et sociales, au profit d’une société de masse modelée par les médias et nivelée par les loisirs.

2. D’autres au contraire qui voient un éclatement du corps social où s’opposeraient des minorités en exil : les immigrés, les chômeurs, ou les minorités culturelles.

 

C. Les étapes de l’évolution

 

-Du lendemain de la guerre à la fin des années 50, premier choc de la modernité entre l’ancien et le nouveau.

-Les années 60, temps des grandes mutations, croissance, consommation, bouleversement des mentalités.

-Depuis le milieu des années 70 : Société dans la crise ou crise de la société ?

 

D.Les chiffres

 

1. Croissance de la population

1946 : 40.3 millions

1990 : 56.6 millions

S’explique par

-Taux de natalité de 14 à 21 pour 1000

-Diminution de la mortalité de 15 à 9 pour 1000

Et mortalité infantile de 50 à 8 pour mille.

-Immigration 1.7 à 3.6. millions

 

Nota : Cet accroissement de la population se ralentit à partir du milieu des années 60, en raison notamment de la chute de la fécondité.

 

2. Répartition population rurale et urbaine en millions

-1931 

-Rurale 20

-urbaine 21

-1990

-Rurale 15

-Urbaine 41.

 

3. Répartition des couches sociales et population active

-Population active

-Croissance de la population active en 1954 19 millions, en 1990 25 millions.

-Multiplication des salariés en 1954 64% et en 1990 85% des actifs.

-Couches sociales en millions

-Paysans de 5 à 1.7 millions

-Petits commerçants de 1.2 à 0.8 millions

-Artisans de 0.75 à 0.57 millions.

-Cadres et employés

-Cadres supérieures et professions libérales de 0.5 à 1.8

-Cadres moyens de 1.1 à 3.2

-Employés de 2 à 4.5

-Stabilité relative du monde ouvrier

-Ouvriers de 6.5 à 8.2

-Structure de la population active en 1990

-Agriculture 1.25

-Industrie et travaux publics 6.7

-Services 15.2

 

 

 

* *

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre I : La société en 1950,

après 20 ans de lutte entre la tradition et la modernité

 

 

I. Un désarroi national et social

 

1. Le repli démographique et la xénophobie

 

-Le recensement en 1946 enregistre un nombre d’habitants identique à celui du début du siècle, soit environ 40 millions. Cette stagnation est due non seulement aux effets de la Première Guerre Mondiale (les « classes creuses » arrivent à l’age adulte dans les années 30), mais aussi au comportement malthusien qui s’étend dans les couches de la population. Le modèle dominant est la famille de 1 ou 2 enfants. Giraudoux dans son livre Pleins Pouvoirs (1939) attribue cette situation à la mentalité des Français, caractérisée par le goût de l’épargne, l’exaltation de la petite entreprise et de la petite propriété, enfin une culture qui privilégie le latin à la gymnastique

-« Le Français devient rare » écrit Giraudoux, dénonçant l’immigration étrangère échappée des ghettos polonais ou roumains qui « menace l’intégrité française ». En fait, en 1931, la France compte 3 millions d’immigrés, soit 7% de la population, composés essentiellement d’Italiens, de Polonais, d’Espagnols et de Belges. Se développe dès cette date un important mouvement xénophobe sur la base de la crise alimentée par les Ligues et les organisations nationalistes. De 1934 à 1935, les Polonais du Nord sont renvoyés dans leur pays ; en 1939, les combattants espagnols chassés par la victoire de Franco sont installés dans les camps du midi. De nombreuses mesures sont prises pour protéger le travail français (loi de 1932). La politique de Vichy (statut des Juifs d’octobre 1940), s’inscrit dans ce grand mouvement de xénophobie.

 

2. Les ankyloses rurales

 

Au XX° siècle, les paysans ont commencé à quitter les campagnes, la population active agricole qui représentait 42% de la population active en 1921, n’en représente plus que 36% en 1936.

-Pendant toute cette période on assiste à un renforcement de l’exploitation familiale. exploitation entre 10 et 30 hectares, aux dimensions d’une famille. A la veille de la guerre, le monde paysan reste peu intégré à la société industrielle, et la modernisation ne pénètre que faiblement dans les campagnes. On ne compte que 30 000 tracteurs. Les paysans produisent essentiellement pour leur propre consommation.

-La vie quotidienne paysanne est partagée entre les traditions et la modernité. La maison paysanne ne change guère dans sa structure. La vie est réglée par le calendrier agricole (moisson, vendange) et la vie religieuse.

 

 

 

 

3. La sclérose bourgeoise

 

Dans son livre A l’échelle humaine, Léon Blum décrit sévèrement la « bourgeoisie qui régie la France depuis un siècle et demi ».

-La bourgeoisie en France tient encore à la terre, à la boutique et à la rente, elle est crispée sur son patrimoine et elle vit le Front Populaire comme une atteinte à ses droits et une menace à sa supériorité légitime. Face à la crise, c’est le repli sur le marché colonial qui assure la survit des entreprises. Menacée, la bourgeoisie entend maintenir l’essentiel de son mode de vie et de ses pratiques culturelles : sa conception de la famille et de l’école

Si les bourses permettent l’ascension sociale de quelques fils du peuple les cloisons restent étanches entre l’enseignement primaire et un enseignement secondaire réservés aux enfants de la bourgeoisie. Les effectifs masculins des lycées n’ont pas progressés des années 1880 aux années 1930 (humanités au centre de la culture). Les classes moyennes ont intériorisé les valeurs dominantes qui imprègnent l’ensemble de la société.

-La classe dirigeante est difficile à saisir ou à masquer. Elle est assimilée par l’imaginaire collectif aux « 200 familles » (200 plus gros actionnaires de la Banque de France qui succède au Mur de l’argent de l’époque du Cartel des gauches).

-le pouvoir politique est partagé entre les professions libérales, les boursiers de l’Etat, les professeurs, représentant davantage la petite et moyenne bourgeoisie que la grande.

 

 

Conclusion

Tout se passe comme si la société française était « bloquée » quand l’explosion économique va faire craquer le corps social.

 

 

II. La conjoncture de la libération

 

 

1. Rationnement, pénurie et misère.

 

-Effets de la guerre : 600 000 morts, 74 départements touchés, désorganisation des transports, pénurie des produits de consommation entraînant la hausse des prix.

 

2. Préambule du changement

 

-Discours du Général De Gaulle du 12 septembre 1944 : « favoriser l’esprit d’entreprise en faisant en sorte que l’intérêt particulier soit toujours contraint de céder à l’intérêt général et que les grandes sources de la richesse commune soit exploitées non pour le profit de quelques uns, mais pour l’avantage de tous ».

-Ordonnance du 4 octobre 1945 : institution de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gains.

-Préambule de la constitution de 1946 :

Droit pour chacun de travailler et d’obtenir un emploi

Droit de défendre ses intérêts par l’action syndicale en adhérent au syndicat de son choix

Droit de grève dans le cadre des lois qui le réglemente,

Elections de délégués du personnel dans les entreprises pour participer à la détermination des conditions de travail et à la gestion des entreprises.

La nation garantit à tous, notamment à l’enfant à la mère et au vieux travailleur la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.

Conclusion : Une véritable rupture dans le langage dominant de la société : exaltation du « travailleur » (pour la première fois employé dans une constitution), producteur essentiel des richesses et dévalorisant aux yeux de l’opinion le rôle de la bourgeoisie (« les patrons au piquet »).

 

La société de la III° République sert de contre modèle à la société que l’on entend construire : D’Alfred Sauvy, sociologue, de René Dumont à Pierre Mendès-France, l’accord est unanime pour condamner une société malthusienne et affirmer la volonté de se donner les moyens du progrès et de l’expansion.

-Mesures :

Rappel des grandes décisions prises de 1944 à 1946.

Nationalisations qui étendent le service public.

Mise en place d’un plan permettant à l’Etat la prise en main de la reconstruction économique

Institution de la sécurité sociale et des allocations familiales.

Création des comités d’entreprises élus par les salariés.

 

L’important est que le corps social en 1945 fait sienne ces thèmes de la modernisation ses thèmes qui lui paraissent riches de la modernité. Le journal Combat, journal de Raymond Aron, Bourdet et Camus, De la Résistance à la Révolution : mais, quelle révolution ? Que vaut ce consensus confronté aux évolutions de la société française.

 

 

III. Les Forces du Changement social

 

A. Le monde ouvrier

 

« Mes camarades », c’est le premier mot employé par Pierre Lefaucheux, président de la Régie Renault nationalisée, à ses ouvriers. Epoque du grand prestige de Maurice Thorez, dont la biographie s’intitule de façon significative « fils du peuple. »

 

1. La constitution de la classe ouvrière

 

-Historique

Au XIX° siècle, depuis les débuts de la grande industrie, les ouvriers ne se sont que très lentement dégagés des structures artisanales, rurales ou urbaines. Non seulement pour des raisons de développement économique, mais aussi parce que l’usine symbolisait pour les élites traditionnelles dominantes le risque de subversion sociale, et parce que les travailleurs de la terre et de l’atelier la considéraient comme un « bagne ». La III° République s’est appuyé sur le monde rural et celui des classes moyennes auxquelles étaient promises les apparences de la vie bourgeoise, mais le monde ouvrier était exclu de la « synthèse républicaine ». Les mouvements sociaux de la Belle Epoque, traduisent l’enfermement du monde ouvrier.

-Bastions d’ouvriers

Cependant, le monde ouvrier se constitue et s’enracine régionalement dans des bastions industriels tels que le Nord et le Pas-de-Calais, domaine de la mine et du textile, la Lorraine, minière et sidérurgique, la banlieue parisienne, et ses grandes usines de métallurgie et de transformation (automobiles), la région lyonnaise, pôle chimique, les grands ports, avec toutes les activités de manutention et les industries alimentaires de transformation des produits importés.

-L’organisation scientifique du travail

Une partie du patronat comprenant l’importance des innovations technologiques et de l’organisation scientifique du travail, concourt d’une certaine façon à la constitution de la classe ouvrière, en privilégiant les Ouvriers Spécialisés au détriment des Ouvriers Qualifié (ou professionnels) et en faisant appel à la main d’œuvre immigrée. (En 1940, les étrangers représentent près de la moitié des mineurs dans le Pas-De-Calais et quasi-totalité en Lorraine.)

 

Au lendemain de la guerre, les ouvriers représentent quelques 6 millions de travailleurs, soit un tiers de la population active. En 1954, ils n’ont progressé que de 500 000 personnes depuis 1931, mais les grands bastions industriels se sont constitués, et en même temps les figures emblématiques de la classe ouvrières : le mineur, le métallo, le docker, l’ouvrière du textile, le cheminot.

 

2. La lutte sociale renforce la cohésion ouvrière

 

La cohésion ouvrière est fondée, d’une part, sur les structures industrielles, et d’autre part sur l’hérédité professionnelle qui assure son homogénéité (Les trois-quarts des fils de mineur deviennent mineurs) Mais il est un troisième facteur pour expliquer l’homogénéisation du monde ouvrier et son importance dans l’imaginaire social : c’est la lutte sociale et politique.

-Ce sont les grèves de 1936, puis la grève générale de novembre 1938, pour défendre les acquis du Front Populaire contre la répression patronale. La participation ouvrière aux luttes de la Résistance, et enfin les grandes grèves de l’automne 47 et 48. C’est au cours de ces luttes que le syndicalisme français devient un syndicalisme de masse en même temps que le parti communiste se transforme en un grand mouvement représentant la classe ouvrière.

La CGT réunifiée en 1936 atteint 4 millions d’adhérents et près de 5 millions en 1946.

Le PCF qui ne comptait que 40 000 militants en 1934 et 300 000 en 1937, atteint 819 000 en 1946.

 

Les organisations représentatives du monde ouvrier donnent une image de la classe qui la conforte dans son existence. Le combat social ainsi exalté permet au monde ouvrier d’avoir désormais une histoire. Les victoires des luttes ouvrières : conquête sociale de 1936, grandes lois de la libération confortent l’audience des organisations ouvrières, et renforcent son unité par son attachement aux conquêtes sociales.

 

3. Les grèves de 1947 et 1948

 

En mai 1947, les ministres communistes sont éliminés du gouvernement Ramadier, mais le monde ouvrier, fort de son histoire, a dorénavant une identité ; cependant, les événements de 1948 provoquent la scission syndicale ; deux syndicats deviennent dominants : la CGT-FO, de Léon Jouhaux, auxquels appartiennent majoritairement des fonctionnaires et des employés, et la CGT de Benoît Frachon qui renforce son implantation ouvrière. Les conflits sociaux de 1947-1948, s’inscrivent dans un contexte difficile : inflation, difficulté d’approvisionnement, marché noir, problèmes de logement, faiblesse des salaires. Mais ils traduisent en même temps la volonté de la classe ouvrière et de ses organisations d’affirmer son identité, malgré le tournant politique qu’est l’éviction des communistes. Ainsi s’explique la violence des mouvements sociaux.

Exemple des mouvements sociaux à Marseille. Au point de départ, difficulté sociale (vie chère), déclenchement par une hausse des tarifs de tramway, en second lieu, facteur politique : le maire communiste est battu aux élections locales par le candidat du RPF, créé récemment par le Général De Gaulle. Le troisième facteur, c’est la combativité ouvrière, liée à l’implantation importante de la CGT et du PCF dans les entreprises marseillaises, notamment dans les Aciéries du Nord. Résultat : violentes manifestations : tramways renversés, mise à sac des lieux de plaisirs, -boite de nuit, etc.-, les CRS accusés pour leur attitude complaisante envers les manifestants par le ministre de l’intérieur, Edouard Depreux, seront expurgés des policiers proches du PCF.

Deuxième exemple : grève des houillère du Nord : toute aussi violente (sabotage de l’express Paris-Tourcoing 21 morts), réprimées par le socialiste Jules Moch qui envoie les CRS et fait appel aux réservistes.

 

Conclusion : La première conséquence de ce mouvement est la scission syndicale, mais c’est principalement la dénonciation par la CGT et le PCF de l’Etat considéré comme l’instrument des trusts et de l’impérialisme américains et l’ennemi de la classe ouvrière.

 

 

4. Niveau, mode de vie et culture du monde ouvrier

 

a. Niveau et mode de vie.

-Conditions de vie encore très dure (vie chère à cause de l’inflation) : course entre les prix et les salaires.

-Il faut noter qu’au milieu des années 50, les dépenses d’alimentation représentent plus de 50% des dépenses ouvrières.

-Les conditions de logement sont très difficiles : entassement des familles à trois personnes par pièce dans les logements.

-Apparition des sans-logis que dénonce l’appel de l’abbé Pierre dans l’hiver 1954. Bidonvilles de Nanterre et de la Seine-Saint-Denis. Ce n’est qu’à la fin des années 50 que la construction des grands ensembles commencera à modifier la situation.

 

b. Culture ouvrière

L’identification du groupe se réalise au travers de valeurs culturelles nouvelles qui prennent leur source dans la lutte des masses, comme le souligne en juin 1947 Laurent Casanova membre du comité central du PCF. Trois exemples :

-Le mineur de fond célébré par les poèmes d’Aragon et le metallo de Billancourt.

-André Stil, journaliste de l’Humanité, publie un recueil de nouvelles : Le mot mineur, camarades.

-Le film de Louis Daquin Le point du jour, magnifie la grève des mineurs de 1948.

-Exposition en 1951 par le peintre Fougeron : Le pays des mines.

 

 

B. La croissance démographique, le Baby boom

 

Le retournement démographique est daté par tous les démographes au milieu des années 60. Le Général De Gaulle obtient « les 12 millions de beaux bébés » qu’il réclamait lors de la Libération.

Sans parler des causes pour l’instant, il faut souligner :

-L’ampleur du phénomène : taux de natalité : 15% en 1936, 20% entre 1946 et 1958. accroissement de la population : 40,1 millions en 1946, 45 millions à la fin des années 50.

-La première conséquence : C’est l’augmentation du nombre de jeunes dans l’ensemble de la population. Les moins de 20 ans = 29% en 1936, 33% en 1962. L’effet de cette augmentation du nombre de jeunes alors que la population active n’augmente pas, c’est la charge de plus en plus lourde que la société doit supporter. C’est aussi une véritable mutation nécessaire de l’enseignement, primaire d’abord, secondaire ensuite, à cause de l’afflux d’enfants.

 

 

C. Les campagnes en mouvement

 

1. Les chiffres

L’exode rural, qui a commencé en 1936 s’accélère au lendemain de la guerre, de 1946 à 1954, le monde rural perd un million d’actifs. Cet exode est d’abord celui des salariés agricoles qui cherchent des emplois industriels mieux rémunérés, puis des jeunes filles.

Le fait important c’est la pénétration de la technique dans le monde rural, qui est initiée par les discours des dirigeants. René Dumont en 1946, dans Le problème agricole français milite pour « une agriculture instruite, équipée, modernisée et productive. » Le premier plan Monnet met l’accent sur les investissements nécessaires pour la mécanisation de l’agriculture - qui bénéficie des crédits de plan Marshall.

 

2. Les progrès techniques, la mécanisation de l’agriculture

Les campagnes se motorisent, 1950 : 137 000 tracteurs, 1958 : 558 000, 1965 : 1 million. Ce moment est décisif : c’est la voie ouverte à une intégration de l’agriculture dans l’économie nationale : consommation de produits industriels, autosuffisance de la production, avec même un excédent de surplus pour l’exportation.

 

3. Une nouvelle génération

 

Cette mutation est l’œuvre d’une nouvelle génération agissante, représentée par Michel Debatisse, auteur d’un livre intitulé : La révolution silencieuse, le combat des paysans, invitant le monde agricole à entrer dans la modernité.

Cette génération a été formée, par la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) qui se réclame de l’idéologie des aumôniers jésuites et du personnalisme d’Emmanuel Mounier. En 1956, Michel Debatisse crée le CNJA (Comité National des Jeunes Agriculteurs) affilié au syndicat qui regroupe les exploitants agricoles : FNSEA (Fédération Nationale des Exploitants Agricoles)

 

4. Mais…

Mais malgré ces efforts, les petits exploitants ne peuvent toujours pas faire face aux investissements indispensables. Pour la première fois en 1953, dans le midi Languedocien, puis dans le centre, à l’appel du Comité de Guéret les tracteurs barrent les routes. Entre 60 et 62, on assistera de nouveau à des manifestations de grande envergure. La FNSEA deviendra, dans la période suivante l’interlocuteur des gouvernements successifs, introduisant le monde paysan dans la vie politique.

 

 

D. Changement et résistance

 

1. La France change :

 

a. Les Français consomment plus qu’ils n’épargnent

-L’industrie automobile (qui s’intéressait aux classes les plus aisées), pour la première fois, met en œuvre une production de masse qui parie sur la consommation populaire. 1946 : La régie Renault présente la 4 chevaux. Citroën suit le même chemin avec la production de la 2 chevaux. L’industrie automobile, symbole de l’individualisme d’une élite, engage la France dans la voie américaine d’une consommation plus populaire. Mais le changement est modeste : seulement 7% des ouvriers achètent des voitures neuves.

-Dans l’habillement, les traditions commencent à céder la place aux nouveautés : En 1949 apparaît le « prêt-à-porter ».

-En 1957, ouverture du premier salon des Arts ménagers.

-La place des loisirs augmente, avec la troisième semaine de congés payés instituée en 1956 par le gouvernement de Guy Mollet.

-Quelques modifications des modes vie : 1954 : lancement du Tiercé, créé par les sociétés de Course. Le microsillon remplace les 78 tours, on s’émerveille sur les premiers stylos à bille.

 

b. Les classes moyennes se transforment, c’est alors que l’on voit apparaître, au lieu de l’ingénieur en blouse blanche, le profil du cadre. La publicité remplace la réclame. On emprunte aux Etats-Unis les mots de marketing et de management.

 

c. Changement dans le monde politique : l’Ecole Nationale d’Administration forme des techniciens au service de l’Etat ; et l’on voit apparaître les générations d’énarques qui vont constituer le personnel politique de la V° République. (exemple Valery Giscard D'Estaing polytechnicien et énarque)

 

 

2. Limite et résistance aux changements

 

Le changement qui bouleverse la société française ne transforme ni le décor, ni les mentalités. A titre d’exemple, Antoine Pinay nommé président du Conseil en 1952, l’un des hommes les plus populaire de la IV° République, est un petit industriel de province, affichant un bon sens paysan, un refus du parisianisme et de l’intellectualisme ; significativement, il appartient au parti des Indépendants et paysans.

 

Nota : Face à la modernité, sur la base d’un même diagnostic, on peut opposer deux attitudes : le poujadisme et le mendésisme.

 

-Le mouvement poujadiste :

Né en 1953, dans le Lot avec la création de l’Union de défense des commerçants et artisans, initié et dirigé par Pierre Poujade, le mouvement poujadiste symbolise la défense de la petite entreprise indépendante, des petits commerçants, menacés par l’expansion et la croissance et étouffés par la pression fiscale ; progressant en 1954 et 1956, il évolue très vite vers un populisme qui prône l’antiparlementarisme et la xénophobie ; Jean Marie Le Pen est élu député comme candidat de ce mouvement.

 

-Pierre Mendès France et les mendésistes

Ils déplorent le vieillissement de l’économie française, et veulent moderniser la France en libérant les échanges et en permettant aux travailleurs de s’adapter rapidement à de nouveaux métiers. Ils représentent la nouvelle classe moyenne salariée et la néo-bourgeoisie éclairée des cadres et des techniciens dont l’ascension sociale repose maintenant sur l’Ecole.

 

 

 

Chapitre II : Les grandes mutations des années 60

 

 

Introduction

On peut situer l’âge d’or de la croissance française à partir de 1958. Cette période est marquée par un phénomène exceptionnel de croissance économique qui fait franchir à la France un véritable saut qualitatif et l’installe définitivement après l’ère de la pénurie puis celle de la reconstruction et des déséquilibres engendrés par les guerres coloniales dans une situation d’expansion continue. Ce tournant dans la continuité de l’histoire nationale provoquée par la croissance, marque les années 1958-1974. Les effets sur la société, sur les modes de vie, les comportements des individus, et les valeurs auxquelles ils adhèrent sont à tel point marquants que la France du début des années 1970 apparaît plus éloignée que celle de 1945 que celle-ci pouvait l’être du XIXe siècle.

 

-Préparées par la IV République, ces mutations décisives s’effectuent sous l’autorité du Général De Gaulle jusqu’en 1969, puis sous la présidence de Georges Pompidou de 1969 à 1974. L’ambition du Général De Gaulle est celle-la même qui animait Pierre Mendès France : moderniser la France. mais, le Général sait parer l’ambition économique des couleurs du patriotisme. La France doit être une France économiquement compétitive, mais il faut pour cela lutter contre les rigidités et les privilèges comme le souligne la commission Ruef-Armand ; dès 1959, le plan Jeanneney prévoit l’abandon des secteurs de production non rentables, et après le ministre de l’agriculture opte pour une agriculture productiviste, intégrée à l’économie nationale.

-Georges Pompidou accentue le choix industriel : la France doit devenir un véritable pays industriel. Politique qui s’accompagne du lancement de grands projets tel que le complexe sidérurgique de Fos-sur-Mer, construit à partir des années 70. Cette politique entraîne

*une très rapide croissance économique et la constitution de grands groupes industriels

*Une élévation générale du niveau de vie des Français et une consommation de masse.

* une mutation des cadres de vie par l’exode des campagnes et l’urbanisation.

*une mutation profonde du travail des Français et de leur vie quotidienne.

-Cependant dans les 15 années qui vont de la guerre d’Algérie à la crise, les événements de mai 1968 marquent une césure ; elles révèlent un divorce entre la modernité économique et le système qu’elle a mis en place, et les aspirations des Français, notamment de la jeunesse et de la classes ouvrière ;

-Après la crise de 1968, l’élan modernisateur se confirme. Alors que, politiquement, la réaction est conservatrice (chambre introuvable avec une majorité absolue). L’Etat se donne dorénavant comme tâche d’aider le corps social à supporter le choc de la modernisation économique (capitaliste). En 1969, Jacques Chaban Delmas, nommé premier ministre, promet aux Français une « nouvelle société » ; de 1969 au milieu des années 70, l’Etat multiplie les tentatives pour faire aboutir les grandes négociations contractuelles entre le patronat et les syndicats.

La décennie 1959-1970 qui représente la période de la République gaullienne est celle au cours de laquelle le PIB a connu sa croissance la plus spectaculaire. Cette croissance se prolongera jusqu’en 1974 avec des taux d’environ 7%. Cette croissance s’inscrit dans un phénomène de conjoncture mondiale que la France n’a pas crée, mais dont elle a profité.

 

 

A. La politique gaullienne

 

1. Le rôle de l’Etat

 

Les grandes réformes de structure de la Libération ont mis entre les mains de l’Etat par les nationalisations des leviers qui lui permettent de jouer un rôle majeur dans la vie économique et financière : source d’énergie, moyens de transports collectifs, appareils de crédit avec la Banque de France.

La planification fait de la puissance publique le principal maître d’œuvre de la modernisation économique et de l’équipement national : on crée un ministère du Plan dont Jean Monnet prend la tête.

Un plan de croissance (1962-1965) est élaboré prévoyant une croissance annuelle de 5,5% du PIB, et insiste sur la nécessité de réserver aux équipements collectifs une importante part des ressources pour préparer la France à affronter la concurrence internationale.

 

2. Le temps de la modernité s’accompagne d’une ouverture de la France sur le monde.

 

Le choix européen s’affirme dans les années 50, le traité de Rome instituant la CEE sera signé en 1957. L’Europe remplace les colonies comme partenaire commercial privilégié de la France. Cette substitution pose de réels problèmes car il ne s’agit plus d’un marché à peu près réservé où la France se trouvait en position de quasi-monopole ; cette ouverture exige un dynamisme commercial pour faire face à un marché hautement concurrentiel.

L’Etat s’ouvre vers l’extérieur, abandonne le protectionnisme frileux de l’ancienne économie française, accepte les concurrences.

 

3. La politique en faveur des entreprises

 

La logique européenne et l’effondrement de l’Empire combinent leurs effets pour rendre inéluctable le choix de la concurrence que font les milieux industriels et financiers les plus dynamiques, avec l’aide de l’Etat qui fait de la compétition économique l’un des objectifs de sa politique. L’Etat cherche à substituer aux investissements publics des investissements privés par l’allègement des charges fiscales des entreprises. La priorité va au secteur industriel capable d’affronter la concurrence internationale.

 

Conclusion

L’internationalisation de l’économie française débouche à la fois sur une remarquable accélération des échanges extérieurs et sur une restructuration géographique de ceux-ci. Les exportations qui représentaient en 1958 moins de 10% du PNB de la France dépassent 17% en 1970. Le maître mot de la politique gouvernementale (qui doit restructurer l’économie) sera de favoriser désormais la constitution de groupes de dimension internationale à capitaux français, pouvant investir, innover, être dynamiques et compétitifs au niveau international.

 

4. Le processus de la croissance:

La concentration des entreprises et l'intervention du capital financier.

 

L’agent essentiel du dynamisme espéré est l’entreprise dont on attend un esprit de conquête et la réalisation de profits qui sont sa raison d’être et lui fourniront les moyens de l’innovation technique, de la modernité de la gestion et une nouvelle agressivité commerciale.

Pour atteindre cet objectif, on compte sur la concentration des entreprises, facteur essentiel d’amélioration de la productivité. L’Etat favorise à partir de 1959 cette concentration des entreprises, en prenant des dispositions pour faciliter sa mise en œuvre. La fin des années 1960, voit une rapide accélération des fusions : dans l’industrie, elles atteignent dans les années 1966-1972 un nombre moyen annuel de 136.

Tous les secteurs de l’économie sont touchés par le processus de concentration, inséparable de la modernisation des entreprises, dans le secteur bancaire, les fusions s’opèrent.

- C’est le secteur industriel qui constitue le lieu privilégié du mouvement de concentration. Les nécessités internationales, l’intérêt des dirigeants d’entreprise et l’action de l’Etat se combinent pour aboutir à l’absorption des entreprises de taille moyenne par des firmes géantes, à la disparition des petites entreprises mal adaptées à la concurrence : l’industrie chimique est entre les mains de trois géants internationaux (Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain) ; l’automobile est dominée à la fin des années 1960 par quatre groupes (Renault, Citroën, Peugeot, Simca).

 

- Le secteur de la distribution est aussi touché. C’est le résultat de l’évolution économique et des transformations de la vie quotidienne sous le double effet de l’urbanisation galopante et du développement de l’automobile qui fait naître les supermarchés et hypermarchés. En 1969, la banlieue parisienne compte 253 établissements de ce type... Cette modernisation est le résultat d’une croissance des profits des entreprises de 1969 à 1972 et d’une augmentation des revenus bruts des ménages de plus de 10% en moyenne annuelle de 1959 à 1973.

 

La décennie gaullienne représente donc une période de spectaculaire bouleversement des structures économiques de la France sous l’effet de la croissance et de l’ouverture internationale qui l’accompagne. « La France des petits » cesse d’être le modèle valorisé par la propagande officielle et l’opinion, au profit de notions neuves empruntées au vocabulaire américain de l’expansion économique. La croissance de la production, la rentabilité, l’investissement, la productivité, la compétitivité deviennent des thèmes majeurs qui font prime dans le discours dominant.

.

5. Une conséquence : la grande expansion du secteur tertiaire

 

Le développement du secteur et des emplois tertiaires est très rapide pendant les années soixante. En France, le secteur tertiaire occupe 34% de la population active en 1946 et plus de 50% à la fin des années soixante-dix. Les trois-quarts des emplois nouveaux des années soixante ont été crées dans ce secteur et surtout dans la banque, les institutions financières et les assurances qui connaissent la plus grande progression (+158 % )de 1954 à 1975, puis les télécommunications, les administrations publiques, les commerces et transports.

C’est dans le secteur tertiaire que s’emploie plus de 66% des femmes qui travaillent. Le secteur tertiaire participe à la fin des années soixante pour plus de 50% de la production nationale.

 

 

B. Les mutations sociales

ou : «  Le bouleversement des structures socioprofessionnelles. »

 

Voici l’évolution de ces catégories de 1954 à 1975 :

- Les agriculteurs exploitants représentent 20,7 % de la population active en 1954 ils ne sont plus que 7,7 % en 1975.

- Les salariés agricoles sont de 6 % en 1954, ils ne sont plus que 1,8 % en 1975.

- Les patrons (des entreprises en nom propre, individuels) de l'industrie et du commerce passe de 12 % en 1954 à 8,7 % en 1975.

- Les cadres supérieurs et professions libérales qui représentaient 2,9 % de la population active en 1954 représentent 6,3 %en 1975.

- Les cadres moyens qui représentaient 5,8 % représentent 13,8 %.

- Les employés qui représentaient 13,8 % , représentent 16,6 %

- Les ouvriers qui représentaient 33,8 % représentent 37 %.

 

C'est l'explosion de la catégorie des cadres supérieurs qui sont multipliés par deux, des cadres moyens par plus de deux, des employés par plus de la moitié,.

 

Il faut compléter ces données statistiques par les observations suivantes :

1- Le nombre des ouvriers, s’il demeure très important, stagne en pourcentage de la population active de 1962 à 1975.

 

2- Les vaincus de la croissance sont les paysans et petits patrons. En 1954 ils forment encore 26,7 % de la population active et en 1975 ils ne représentent que 10% de la population active.

 

3- « Entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, qui subissent l'une et l'autre de profondes transformations, s'interpose un ensemble hétérogène de groupes intermédiaires qu'on rassemble par commodité sous le nom de classe moyenne salariée qui comprend les catégories en très rapide expansion des cadres supérieurs et professions libérales, mais surtout des cadres moyens et des employés. »

C’est sans doute la mutation sociale la plus importante : Si la « classe ouvrière » constitue encore le noyau dur des salariés, qu’on appelait significativement les « travailleurs », de fait le travail salarié, qui constitue la base de l’économie capitaliste, s’étend à l’immense majorité de la population. Là où les producteurs indépendants : paysans, petits entrepreneurs, commerçants, ne subissaient qu’indirectement les lois du système, leur disparition au profit d’une immense population de catégories salariées signifie l’extension considérable du périmètre de l’exploitation directe de cette majorité par le capitalisme.

 

 

C. La « société de consommation »

 

Cette exceptionnelle croissance économique entraîne une élévation générale du niveau de vie des français. Elle marque l’entrée décisive de la société française dans l’ère des loisirs et de la consommation de masse. 

 

De la consommation alimentaire aux biens d’équipement

 

C’est en 1963 que s’ouvre à Sainte-Geneviève-des-Bois le premier hypermarché Carrefour. Le cadi des grandes surfaces est le symbole de l’époque, permettant des transporter les produits du magasin au parking, et devient une silhouette familière des banlieues.

Les Français consomment dans les années 1960 : la part des revenus consacrée aux dépenses d’alimentation diminue : de 34% à 27 %, alors s’accroissent les dépenses de logement, de santé et de loisirs. L’Institut National de la Consommation est créé en 1966 ; et, selon le titre du livre de Galbraith (traduit en 1961), la France entre dans L’Ere de l’opulence.

La consommation des ménages s’accroît en moyenne de 4,5% par an entre 1959 et 1973, entretenant un vif courant d’expansion dans quatre secteurs privilégies : la santé, le logement ; les transports et les loisirs.

La croissance française est très largement fille de la consommation.

 

Biens d’équipement

 

De 1960 à 1975 le revenu national disponible par habitant a presque doublé. La très rapide croissance de la production permet une multiplication des produits disponibles ; l’indicateur le plus concret de cette évolution est la diffusion des quatre produits symboles de ce nouvel âge : le réfrigérateur, l’automobile, la télévision et la machine à laver le linge. En 1965 plus de la moitié des ménages français disposent d’un réfrigérateur, en 1966 d’une automobile et de la télévision, en 1968 d’une machine à laver le linge. Encore au début des années 1960 ces biens de consommation sont répartis de manière très inégalitaire, mais progressivement leur diffusion s’étend à l’ensemble de la société. En 1970 plus de 70% des ménages de contremaîtres et d’ouvriers qualifiés disposent d’une automobile. De 1960 à 1975, le nombre des véhicules automobiles en circulation passe de 5 à 15 millions. Le premier tronçon de l’autoroute du Sud est inauguré en 1960 et Georges Pompidou célèbre son achèvement au début des années 1970.

Mais c’est surtout la diffusion de la télévision qui marque cette période : en 1968 il y a moins d’un million de récepteurs, en 1973 il y en a 11 millions ; la télévision pénètre dans tous les foyers.

 

Les logements

 

Les logements neufs se multiplient ; ils disposent dorénavant du confort; rappelons qu’en 1954, 17,5% des logements seulement étaient équipés d’une salle de bains ou de douches : le pourcentage atteint 70% en 1975.

Entre 1954-55 et la fin des années 60, la période est celle de la construction des grands ensembles ; il s’agit de construire vite et au meilleur coût pour faire face à la pénurie de logements. Ce sont des cités comme la cité des « 4 000 » à la Courneuve qui comporte plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de logements (en l’occurrence 4 000).

Entre 1969 et 1972, à la place d’un village de mille habitants, on construit à Grigny les 4 900 logements de « La Grande Borne ». Au total, 190 ensembles de plus de 1000 logements. Ouvriers et employés constituent 70% des habitants.

La critique de ces grands ensembles deviendra un lieu commun à partir des années 70.

Au début des années 50, on ne construit encore en France que 5 000 logements par an ; c’est à partir des années 60 que le rythme s’accélère jusqu’à 400 000 logements par an à partir de 1965.

 

Les loisirs

 

Un sociologue publie en 1962 un essai intitulé « Vers une civilisation des loisirs ». De cette époque date l’épanouissement du club Méditerranée, ». la multiplication des résidences secondaires et la pratique du week-end. La question des loisirs est un chapitre important de la société de consommation.

 

 

D. Le bouleversement des cadres de vie

 

1. L’aménagement du territoire

 

a. Les mouvements de population

La première conséquence de l’industrialisation ce sont de grands mouvements de population. Ce sont d’abord les mouvements de l’exode rural, puis l’accélération de l’immigration (voir plus haut), puis le retour des rapatriés d’Afrique du Nord qui sont plus d’un million.

Ces mouvements de population ont pour résultat la croissance rapide des villes. Entre les recensement de 1954 et 1975, la population des villes de plus de 5000 habitants s’accroît de treize millions de personnes.

Le gouvernement prend en charge l’aménagement du territoire par la création de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) qio doit coordonner les différentes activités de l’Etat dans le domaine des implantations industrielles, des équipements collectifs, du logement et de l’urbanisme.

Dans un premier temps, c’est la création des communautés urbaines regroupant plusieurs communes (Bordeaux, Lyon, Lille)

A partir de 1965, c’est la création des « villes nouvelles ».

Au début des années 75, l’effort porte sur les villes moyennes ; pour palier la pénurie de logement, se mettent en place des sociétés d’HLM qui sont financées par des avances de la Caisse des dépôts et consignations (une banque de l’Etat).

 

b. La politique de l’Etat

 

-Dès 1958 sont crées des ZUP (Zones à urbaniser en priorité), permettant de prévoir la mise en place des équipements (transports, écoles, …) nécessaires à l’implantation de logements neufs. Enfin, à partir des années 60, on lance la rénovation des vieux centres urbains tels que le déplacement des Halles transférées de Paris à Rungis, permettant la construction du centre Beaubourg, ou encore le centre de la Part-Dieu à Lyon, le centre de Mériadec à Bordeaux. Ce réaménagement des centres-villes a pour conséquence l’évolution de la population des centres-villes : entre 1962 et 1975, tous les arrondissements de Paris ont perdu leur population ouvrière au profit des cadres supérieurs et des profession libérales. (processus de gentrification).

 

E. Les crises sociales

 

Les mutations de l’appareil productif, les bouleversements rapides des conditions de vie et travail, les déplacements de population témoignant de l’ampleur des évolutions entraînent des conflits sociaux.

 

1. Les colères rurales

 

Même si, dès 1953 à l’appel du comité de Guéret les paysans barrent les routes, les grandes manifestations du monde rural se placent au début des années 60 : (En juin 1961, occupation de la préfecture de Morlaix et extension des troubles à toute la Bretagne.) Les moyens consistent à barrer les routes pour alerter l’opinion et à attaquer les sous préfectures pour alerter l’Etat. L’attaque des bâtiments publics (choux-fleurs déversés, lait répandu dans les cours des sous-préfectures) révèle une mutation du monde rural qui reconnaît l’Etat comme son interlocuteur. Les paysans manifestent ainsi la prise de conscience du rôle qu’ils jouent dans l’économie nationale en mobilisant la nation et en prenant l’Etat à parti.

 

2. Les mineurs en grève

 

Ces mouvements sont le résultat de la politique de modernité qui procède à la liquidation progressive des secteurs industriels non rentables, tel que le charbon, l’acier, puis le textile. La France de l’automobile et du pétrole dit adieu à la France du charbon. Deux exemples :

-Decazeville : le plan Jeanneney de 1959 prévoyait la réduction de la production de charbon et la fermeture des puits de Decazeville promettant des mesures de reconversion pour les mineurs. Dès les premiers licenciements, 800 mineurs se mettent en grève, réclamant la retraite à 55 ans, des avantages médicaux et sociaux, et un nouvel emploi sans changer de région. Le mouvement est soutenu non seulement dans la région, mais aussi par l’opinion publique, pour laquelle les « gueules noires » restent symboliques du monde ouvrier et de l’effort de redressement entrepris au lendemain de la guerre.

-La grève des mineurs de 1963 dans le bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

 

Ces grèves témoignent de l’ébranlement que connaît l’ancienne classe ouvrière, attaquée dans ses plus importants bastions.

 

3. Les événements de mai 1968

 

Voir cours. H. de France 1945-1971.

Le Général De Gaulle qui s’estime désavoué par le rejet du référendum qu’il a lancé sur la question de la décentralisation quitte le pouvoir après le scrutin d’avril 1969 ; il gardera le silence jusqu’à sa mort en 1970. Pompidou reprend le flambeau. En fait, les mesures de Grenelle sonnent le glas de la politique restrictive instaurée en 1963. La croissance s’accélère, les entreprises sont dopées par la forte demande et aidées par des baisses d’impôt.

 

Conclusion : Incertitudes sociales au début des années 70

 

La croissance se poursuit, les grands projets continuent comme la mise en chantier de Fos-sur-Mer, autoroutes, les grands aménagements urbains, etc.

Mais de multiples conflits sociaux, l’apparition du chômage, l’inflation, alourdissent ce climat.

-L’agitation étudiante persiste. Des manifestations lycéennes ont lieu contre la loi Debré qui veut aménager le régime des sursis d’incorporation au service militaire.

-Dans cette même période, on assiste aux manifestations pour l’abrogation de la loi de 1920 qui condamne pénalement les méthodes anticonceptionnelles et l’avortement.

-En 1973 c’est l’affaire LIP qui passionne l’opinion publique ; entreprise que des ouvriers tentent de gérer eux-mêmes, soutenus par la CFDT (qui développe la théorie de l’autogestion).

-Pierre ¨Mesmer qui a remplacé Jacques Chaban Delmas en 1972 reste ferme sur une ligne conservatrice. Ainsi, au terme d’une exceptionnelle période d’expansion, tout se passe comme si les Français ne parvenaient pas à digérer des mutations sociales qui ont été subies plutôt que désirer.

 

 

 

 

 

Chapitre III : La société depuis le milieu des années 1970

 

 

I. La crise et ses conséquences sociales

 

La période peut se résumer ainsi : chômage et nouvelle pauvreté, consommation globale maintenue, inquiétude sécuritaire et poussée du nationalisme, déficit de la culture ouvrière, progrès de l’informatisation.

 

1. Le temps de la crise

-La crise c’est d’abord le ralentissement de la croissance globale, le retour de l’inflation, l’augmentation rapide du chômage. Elle touche principalement les industries les plus anciennes : charbon, métallurgie lourde (sidérurgie, plus chantiers navals), textile.

-Le chômage qui n’avait pas cessé de s’étendre depuis la fin des années 60, s’est brutalement aggravé depuis 74. 1974 : 500 000, 1975 : 1 million. 1981 : 2 millions : il pénalise en premier lieu les femmes, les jeunes, les travailleurs non qualifiés.

 

2. La consommation

-Malgré la crise les Français continuent à consommer. Nouvelles immatriculations de véhicules dès 1975. Augmentation des achats de télévisions, magnétoscopes, chaînes de haute fidélité.

 

3. Les fractures sociales

a. En dehors des inégalités sociales, le fait nouveau, c’est le développement de la délinquance produit de la pathologie urbaine et du chômage. De 1973 à 1984, croissance importante de la délinquance et de la population carcérale.

Le thème de l’insécurité domine dès ce moment le discours politique et explique pour une part la montée en 1980 du Front National de Jean Marie Le Pen, qui représente 10% du corps électoral.

b. la crise accélère le démantèlement des grands bastions industriels : la période voit l’achèvement d’une évolution fondamentale : la dislocation de la classe ouvrière traditionnelle, construite et stabilisée depuis les années 30 jusqu’aux années 50. La conséquence c’est la perte progressive d’audience du PCF, qui, en cette période, ne saura pas s’adapter à cette mutation sociale.

 

4. Informatisation de la société

Informatisation de la société, c’est le titre du rapport commandé par le président de la République en 1976 à Simon Nora et Alain Minc. L’informatique cesse d’être chère, lourde et réservée à une élite. Révolution qui selon les auteurs irrigue la société comme le fit l’électricité.

Conséquences :

-Accroissement de la productivité dans le secteur industriel par une plus grande efficacité des méthodes et des contrôles.

-Développement de l’activité des services et des activités de l’information au détriment des secteurs primaires et secondaires qui voient une forte diminution de leur main d’œuvre.

Le problème est posé par les auteurs : allons-nous vers une société qui utilisera des techniques pour renforcer les mécanismes d’autorité et de domination, ou au contraire, qui accroîtra l’adaptabilité, la liberté et la communication entre les citoyens ?

 

5. Le nouveau rôle de l’Etat.

La place et le rôle de l’Etat dans cette société est un des grands thèmes de cette période. La victoire de la gauche en 1980 semble marquer l’apogée de l’Etat protecteur et incitateur (nationalisations, lois sociales, etc.) comme si s’accomplissaient les espoirs placés depuis la Libération dans « l’Etat-Providence », seul capable d’instaurer la justice sociale, l’égalité et de protéger les plus démunis contre l’arrogance des puissants.

Mais en ces années 80, tout se passe comme si l’Etat avait atteint une forme de limite, et devait entamer son désengagement.

Ce que l’on a appelé la crise des idéologies, la renonciation aux modèles et aux utopies, est signe de ce désengagement ; C’est le néo-humanisme des droits de l’homme qui l’emporte.

Au plan économique ressurgit l’idée d’un néo-libéralisme qui annonce le thème d’une économie sociale de marché.

Quand on y regarde de près, il n’y a pas contradiction entre les grands espoirs soulevés par la victoire du « peuple de gauche » en 1981, et cette mise en cause non encore avouée de l’Etat-Providence, car le mot d’ordre « changer la vie », n’a plus le sens d’un « changer le monde » qui s’adresserait à la collectivité mais d’une libération des aspirations individuelles.

 

 

II. La société de Valery Giscard D'Estaing à François Mitterrand

 

 

  1. Une « société décrispée »?

 

Valery Giscard D'Estaing qui remplace Pompidou en 1974 veut présider une France décrispée dont le mot d’ordre serait : « gouverner, c’est réformer ».

 

  1. Le pouvoir et les citoyens

 

Il s’agit d’éviter les affrontements en traduisant les évolutions de la société dans la législation.

-Des signes : création d’un ministère des réformes, Jean Jacques Servan Schreber ; création d’un ministère de la qualité de vie, création d’un secrétariat à la condition féminine (Françoise Giroux). 

-Un style : Valery Giscard D'Estaing regagne l’Elysée à pieds le jour de son intronisation comme président ; modification de la Marseillaise ; utilise la télévision comme moyen de communication avec les Français auxquels il veut s’adresser directement. Il va même jusqu’à s’inviter dans certains foyers de la France profonde pour jouer de l’accordéon auprès du feu, en pull-over. C’est le passage « l’âge des foules », animée par des certitudes idéologiques, à « l’âge des masses » : collection d’individus autonomes.

 

  1. La loi et les mœurs

 

Les lois promulguées dès les débuts du septennat de Valery Giscard D'Estaing correspondent bien à la volonté de faire coïncider la législation avec les mentalités et les mœurs.

-Loi du 5 juillet 1974 : abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans. la novation consiste en ceci, alors que jusqu’à présent on était considéré adulte à partir du moment où l’on entrait dans le marché du travail : désormais l’on reconnaît l’autonomie de la jeunesse, même lorsqu’elle vit encore dans le foyer familial. Importante mutation qui modifie. A partir de ce moment la jeunesse acquiert une identité propre.

-Loi du 17 janvier sur l’IVG -présenté par Simone Weil ; par cette loi, le législateur renonce à imposer une morale et à peser sur les comportements individuels. C’est une étape décisive dans le processus de sécularisation de la société. Cette loi provoque la réaction des catholiques traditionalistes qui fondent des associations tel que « Laissez-les vivre », et deccs gaullistes tel que Michel Debré, avançant des considérations éthiques et démographiques (France forte, etc.)

-Loi du 11 juillet 1975, simplifiant les procédures du divorce, instaurant le divorce par consentement mutuel et faisant disparaître le terme de tort ou de faute justifiant juridiquement la séparation. Ces deux lois manifestent le retrait de l’Etat et la reconnaissance de la liberté et l’intimité des individus.

-Il faudrait encore citer les lois concernant les handicapés et l’abaissement de l’âge de la retraite des travailleurs manuels et les textes généralisant la sécurité sociale.

-Enfin, la loi Haby de juillet 1975, qui réforme l’enseignement secondaire pour instaurer l’égalité des chances entre les enfants.

 

Cette politique conforte la construction de l’Etat-Providence : entre 1970 et 1980, les prélèvements obligatoires passent de 35 à 41% du PIB. Mais, elle révèle en même temps les limites des possibilités de réformes, qui se heurtent à l’opposition d’une majorité conservatrice. La décrispation et les réformes pénètrent les problèmes de la vie quotidienne et individuelle sans que soit engager aucune réforme de structure. Les conflits du travail vont réapparaître.

 

3. La situation des travailleurs

 

Edmond Maire secrétaire de la CFDT, publiant en 1977 un livre sur « Les Dégâts du Progrès », souligne les conséquences du progrès technique sur les conditions de travail et de vie des salariés. De nouveaux et importants conflits sociaux apparaissent dans cette période, mais ils sont de nature différente des luttes sociales traditionnelles. Ce sont essentiellement des conflits qui sont le fait des OS protestant contre l’exploitation consécutive à la déqualification du travail. Dans l’industrie ce sont les grèves des OS de Renault au Mans contre le travail à la chaîne ; c’est chez Péchiney et chez Usinor c’est la mise ne cause du travail posté. Mais les grandes grèves se développent maintenant dans le secteur tertiaire. Longue grève des employer des PTT qui assurent le tri postal. Grève des employés de banque, où l’introduction de l’informatique aboutit à une déqualification croissante des tâches. Ainsi les conflits du travail ne sont plus seulement liés aux revendications salariales ; elles mettent en cause les conditions de travail et portent sur la qualité de vie dans l’entreprise. Dans ce mouvement la CFDT joue un rôle important, tandis que la CGT reste sur le terrain des revendications de salaire.

 

4. L’émergence des minorités

 

Ce sont les revendications féministes, les manifestations des prostituées et les défilés des écologistes auxquels il faut ajouter les agitations régionalistes corses et bretonnes.

Le thème principal de la période, c’est le droit à la différence.

 

On assiste ainsi à un déplacement des forces sociales : ce qui est en mouvement dans la société, ce ne sont plus de grands groupes antagonistes, mais les revendications d’individus qui n’aspirent plus seulement à exister à travers le groupe ou la classe sociale, mais qui réclame un droit individuel à la reconnaissance social et au bonheur personnel.

 

 

B. 1981 : François Mitterrand, la gauche AU pouvoir,

un autre projet social ?

 

a. Le retour du refoulé

L’élection de François Mitterrand en mai 1981, et les débuts de son septennat se présentent, après la « société décrispée » qui voulait estomper les clivages, comme un retour en force de l’histoire ;

-Signes : manifestation du 10 mai place de la bastille, cérémonie du Panthéon, François Mitterrand dépose une rose sur la tombe de (Jaurès, Victor Schoelcher, Jean Moulin). Choix symbolique de Pierre Mauroy comme Premier Ministre, homme du nord, fils d’un instituteur, acteur du front populaire, militant syndical. C’est la victoire du « peuple de gauche » !

-Premières mesures : Abandon de l’extension du camp militaire du Larzac, en réponse à la mobilisation des paysans écologistes (derrière José Bové), augmentation du SMIG de 10%, relèvement des allocations familiales, projet de création de 55 000 emplois publics.

 

b. Le projet

La nouvelle majorité entend prendre en compte à la fois les revendications traditionnelles des salariés et les aspirations nouvelles du corps social.

Il s’agit, 1. d’accroître le rôle de l’Etat-Providence, pour en faire l’instrument d’une redistribution sociale, afin de préparer « la rupture avec le marché », 2. de changer la vie, c'est-à-dire de libérer les forces de création individuelles. Jusqu’en 1983, heure de la pause, les socialistes incarnent simultanément ces deux cultures.

 

c. Quid des réformes ?

-L’impôt sur les grandes fortune (qui excèdent 3 millions de francs), reste symbolique parce que l’assiette en est réduite et qu’il ne touche que 1% des Français, soit 200 000 personnes. Mais le symbole est important, il manifeste dans la gauche française la passion de l’égalité : « faire payer les riches ».

-Autres mesures dans la filiation du Front Populaire

*5° semaine de congés payés

*Retraite à 60 ans

*Semaine de 39 heures

*Nationalisations (pour affirmer le rôle de l’Etat dans le changement économique et social).

Ce sont ces mesures que Michel Rocard a désignées comme « archaïques ».

 

- Mesures novatrices :

*Loi de décentralisation de mars 1982 : transfert de pouvoir et de compétence de l’Etat aux collectivités territoriales (régions, départements, communes).

*Impulsion donnée par Jack Lang au ministère de la culture

*Suppression de la peine de mort : Badinter.

*Création de la Haute Autorité de la communication

*Lois Auroux (ministre du travail) : instaurant une démocratisation à l’intérieur de l’entreprise : droit à l’expression des salariés, restriction du droit de licenciement, contrôle de la gestion. (Opposition du patronat et du Sénat)

 

Conclusion

Dès 1983, le projet est mis sous le boisseau par Pierre Mauroy, puis en 1984 avec Laurent Fabius : l’expérience du pouvoir a transformé la vision socialiste de la société française et remis en cause les possibilités de l’Etat de modifier en profondeur les structures de la société.

 

 

 

 

III. Manifestations sociales et émergence d’une nouvelle société ?

 

 

Introduction

 

Des centaines de milliers de personnes dans les rues en 1984 pour défendre la liberté de l’enseignement  en décembre 1986, des centaines de milliers d’étudiants et de lycéens dans la rue contre la loi Devaquet sur l’enseignement supérieur, le même mois, des grèves des services publics en particulier à la SNCF ; toutes ces manifestations obligent à s’interroger sur les changements d’une nouvelle société. S’agit-il de l’émergence d’une nouvelle société ou de l’incapacité de la société française à se réformer ?

 

1. 1984, défense de la liberté de l’enseignement.

 

a. Historiquement

Depuis les années 1880, les problèmes de l’enseignement ont été au cœur des rapports entre l’Eglise et l’Etat. L’enseignement privé est en grande majorité un enseignement catholique dont on peut dire qu’après 1945, il correspond à une double réalité : D’une part, dans certaines régions comme l’Ouest de la France, l’enseignement privé est une réalité à la fois culturelle et sociale qui est enracinée dans l’histoire des familles et dans la vie locale. D’autre part, dans les villes, les écoles privées répondent au souci des catégories sociales les plus élevées d’assurer à leurs enfants une éducation correspondant à leur statut social.

 

b. La « querelle scolaire »

La « querelle scolaire » continue d’alimenter la vie politique française :

-Dès 1945, les subventions accordées par le gouvernement de Vichy à l’enseignement libre sont supprimées.

-En 1948, les débats s’engagent sur la nationalisation des écoles des Houillères.

-En 1951, la loi Barengé accorde une subvention aux familles ayant des enfants à l’école primaire qu’elle soit publique ou privées.

-En 1951 : la loi Marie accorde aux élèves des écoles privées le bénéfice des bourses publiques d’enseignement secondaire.

-En 1959, par la loi Debré, les écoles privées peuvent conclure avec l’Etat des contrats d’association : les rémunérations des maîtres possédant les diplômes de l’Education nationale sont pris en charge par l’Etat ; à la condition que les écoles privées respectent horaires et programmes nationaux et soient contrôlées par le corps d’inspection de l’éducation nationale.

-En 1971 et en 1977, à la suite de la loi Debré, les deux camps mobilisent leurs troupes. D’un côté les Laïcs, représentés par les syndicats d’enseignants, y compris la Fédération de l’éducation nationale (FEN) le syndicat national des instituteurs (SNI) ; de l’autre côté, la hiérarchie catholique qui laisse se manifester au premier plan des associations de parents d’élèves.

La laïcité est liée à une conception jacobine de l’Etat, éducateur d’une seule jeunesse, et aux restes d’un anti-cléricalisme militant. Ainsi, la victoire de la gauche en 1981, a pu apparaître comme l’arrivée au pouvoir du corps laïc.

-Le secrétaire général de la FEN est nommé au ministère du temps libre.

-Les enseignants représentent plus d’un tiers des députés de l’Assemblée, et près de 60% des députés socialistes.

 

c. La crise

Dans ses 110 propositions, le candidat François Mitterrand prévoyait un grand service public, unifié et laïc de l’éducation nationale. C’est seulement à la fin de 1983, que le ministre Alain Savary fait connaître les propositions en ce sens. Il est débordé par les pressions et les surenchères des militants laïcs et l’opposition politique se manifeste. Les tensions aboutissent en 1984 aux grandes manifestations nationales et régionales des partisans de l’enseignement privé. Le 24 juin 1984, plus d’un million de personnes dans les rues de Paris.

Le 12 juillet, François Mitterrand annonce le retrait du projet Savary. Ce conflit est significatif de l’évolution des mentalités. Alors que la culture militante -en particulier à gauche- continue à situer le problème sur le terrain historique de la querelle scolaire, en fait, le succès des manifestations pour l’école libre a un sens social. Plus que l’attachement à une école confessionnelle, ce succès traduit une méfiance vis-à-vis de l’enseignement public et de sa « dégradation ». En effet, depuis les années 60, l’enseignement secondaire est devenu un enseignement de masse. Il ne s’agit pas d’une querelle idéologique ; la bourgeoisie qui jusqu’alors répartissait ses enfants entre l’enseignement public et l’enseignement privé veut pouvoir bénéficier d’un système réservé à une élite sociale. Derrière la querelle scolaire, se révèle la volonté de la bourgeoisie de réserver une éducation spécifique à ses enfants face à la démocratisation

 

2. La jeunesse, en décembre 1986, et la loi Devaquet

 

Depuis 1968, tout a changé, on qualifie la nouvelle génération de bof’ génération = génération de l’indifférence ; loin de l’idéologie, les enfants des révolutionnaires de 1968 travaillent et se résignent à l’échec, car les deux tiers d’entre eux n’obtiennent pas le DEUG, ils s’occupent de musique et de leur bonheur personnel. La jeunesse des années 80 continue d’être ce que Edgar Morin appelait une bio-masse. Les modes d’expression semblent se réfugier dans l’apparence extérieure, le vêtement, la coiffure, et l’idéologie se réduire à la quête du bonheur personnel.

Mais pourtant cette jeunesse subit le poids écrasant du chômage. Décembre vient. Alain Devaquet propose une modernisation de l’Université : une meilleure adaptation au monde du travail, et entend pallier l’échec par la sélection. Le projet est compris seulement comme instaurant une simple sélection à l’entrée à l’Université.

Les événements :

-17 novembre, mouvement lancé à Paris XIII, Villetaneuse

-27 novembre (date de l’examen du projet de loi à l’Assemblée) 200 000 jeunes dans les rues à Paris, et 400 000 en province.

-4 Décembre, la coordination nationale étudiante organise une grande manifestation pour le retrait du projet.

-Dans la nuit du 5 au 6 Malik Oussekine meurt victime des brutalités policières.

-Nouvelles manifestations contre la répression policière sur le thème « plus jamais ça »

-10 décembre appel à la grève générale des étudiants.

-Retrait du projet le 10 décembre par René Maunoury.

Ces événements appellent une série d’interrogations :

1. Un recul du pouvoir, qui fait dire au sociologue Michel Crozier qu’il est difficile de réformer la société par décret.

2. Si les luttes sociales et le militantisme traditionnels semblent avoir disparu, la société civile montre qu’elle est capable de s’organiser sur des objectifs et pour un temps limités.

3. Les manifestants ont remis à l’ordre du jour au travers du refus de la sélection le thème de l’égalité qui sera repris comme égalité des chances.

4. Après la mort d’Oussekine, les manifestants ont remis à l’ordre du jour les droits de l’homme contre le racisme et contre la réforme du code de la nationalité (lancée à cette époque).

 

Conclusion :

Après l’adieu au marxisme et au prolétariat, classe prométhéenne, dans la société de la consommation et du loisir mais aussi du chômage, la liberté individuelle, le refus des contraintes du pouvoir deviennent les nouvelles valeurs.

 

3. Les autres mouvements sociaux : cheminots et instituteurs

 

a. Les cheminots

La grève de la SNCF au mois de décembre 1986 est instructive ; en effet :

-Les syndicats pourtant puissants à la SNCF sont débordés par la base qui crée, comme les étudiants, des coordinations nationales et locales.

-Les revendications, si elles n’excluent pas les aspects salariaux, concernent les conditions de travail et s’opposent à la prétention de la direction de la SNCF de modifier les statuts en introduisant une règle d’avancement par le mérite.

 

b. Quelques semaines plus tard, manifestations des instituteurs contre la décision du ministre de renforcer les pouvoirs des directeurs dans les écoles primaires. Là aussi, création d’une coordination et méfiance vis-à-vis du syndicat hégémonique des instituteurs (SNI Syndicat National des Instituteurs).

 

 

Conclusion

Les mouvements sociaux ne sont plus porteurs d’un message révolutionnaire. De même les revendications ne sont plus seulement salariales où comme on le disait en 1968 « alimentaires » ; ce sont les conditions de vie, la liberté et le bonheur individuel qui sont à l’ordre du jour.

Pour autant, les conflits sociaux traditionnels ne sont pas éteints. Au printemps 1987, la CGT organise de grands défilés de protestation et de défense de la sécurité sociale avec l’appui des dirigeants du PCF. Le mouvement social comme contestation concrète de la société avec sa hiérarchie et sa culture, n’a pas disparu, même si les masses manifestent leur revendication sur un autre terrain ; celui de la liberté et du développement personnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Analyses de la société

 

 

 

 

 

Chapitre I. Les étrangers dans la société française

 

 

Introduction

Pendant cette période 1945-1990, les immigrés sont entrés en France pendant les Trente Glorieuses ; Jusqu’à la crise, leur nombre n’a cessé de croître. C’est quand ce nombre s’est stabilisé que leur présence a commencé à faire problème.

 

 

1. Les étrangers depuis 1945.

 

a. Définition et chiffres

 

Rappelons que en dehors des immigrés naturalisés sont Français :

-Par filiation, tout enfant dont l’un des parents est français (enfant né d’un couple mixte).

-Tout enfant né en France (droit du sol) lorsque l’un de ses parents y est né. Jusqu’en 1962, où l’Algérie est française, les enfants nés en France d’un parent né en Algérie.

-Tout enfant né en France devient automatiquement français le jour de sa majorité (sauf refus).

Evaluation, statistique : entre 3.700 000 et 4.220 000.

 

Nota :

-L’immigration n’est pas un phénomène récent, elle représente toujours à peu près 6 à 7% de la population française.

-Plus du tiers de la population française actuelle est d’origine étrangère à la première, deuxième ou troisième génération.

 

b. Les vagues d’immigration.

 

Dans les années 50 et 60, l’appel à la main d’œuvre étrangère s’explique par l’insuffisance de la population active française.

Dans une première période, l’immigration est d’origine européenne. En 1954, 1.4millions sur 1.7 millions. Un tiers italien, le reste, espagnol et polonais. En 1975, 2.2 millions sur 3.5 millions, avec une majorité de Portugais et d’Espagnols.

A partir de 1975, jusqu’à la fin de la période, l’immigration est issue d’Afrique du Nord (près de 800 000 Algériens) et d’Asie.

 

 

2. L’intégration et ses problèmes.

 

a. Polonais et Italiens, intégration réussie. 

Les Polonais venus dans l’entre-deux-guerres comme mineurs dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Lorraine ne se sont pas renouvelés et leur nombre a diminué.

De même, les Italiens sont moins nombreux en 1982 qu’en 1975.

 

Nota : L’intégration réussie s’explique en premier lieu par le pouvoir d’assimilation de l’école républicaine, mais aussi, à travers le militantisme syndical et politique des immigrés. Exemple de la Seyne-Sur-Mer.

 

b. L’intégration en panne.

Problématique : Le problème de l’intégration aujourd’hui est-il dû à une incapacité de la France à intégrer comme autrefois les populations immigrés ou à un changement de la nature de l’immigration ? (maghrébine et sub-saharienne) ?

 

Premier constat : L’immigration n’est plus seulement une immigration de travail, mais elle s’accroît du regroupement des ménages. En 1982, parmi les Algériens, 62% sont des hommes. Parmi ceux-ci, Algériens, mais aussi Marocains et Tunisiens, les enfants de moins de 15 ans représentent 30% de cette population.

Deuxième constat : Sur 3.400 000 étrangers, 1.500 000 sont actifs dont 67% sont des hommes employés comme ouvriers (en particulier des manœuvres) et 17% des femmes faisant partie du personnel de service.

Troisième constat : La population immigrée est essentiellement industrielle et urbaine (36% en Ile-de-France, dont 17% dans la Seine-Saint-denis). Les autres concentrations sont dans le Nord, la région lyonnaise et la région méditerranéenne.

 

c. Les débats

-L’augmentation du nombre des immigrés et les problèmes de leur intégration sont à l’origine des succès du Front National.

-La nouvelle majorité élue en 1986 propose une réforme du code de la nationalité substituant à la nationalité par le sol le choix explicite de la nationalité française par les enfants d’immigrés à leur majorité. exigeant le choix de la nationalité par les enfants nés en France

-Un grand débat s’instaure entre ceux qui estiment que l’identité française est menacée par l’afflux des immigrés et ceux, regroupés dans des associations telles que S.O.S Racisme (touche pas à mon pote) qui défendent l’idée d’une France multiculturelle.

Conclusion :

La crise et les difficultés économiques aggravent sans aucun doute les réflexes xénophobes ; on a pu accuser l’école de ne plus remplir sa fonction assimilatrice, mais ne faut-il pas attribuer les difficultés de l’intégration à la ghettoïsation des populations ; par ailleurs frappées prioritairement par le chômage ? Sans doute le déclin du travail industriel et la crise de la culture ouvrière, qui avait permis aux étrangers de s’intégrer dans la société français, sont une autre raison des difficultés de l’intégration.

Chapitre II. Le travail et les structures de la société

 

 

I. Population active et secteur d’activité

 

1. Evolution d’ensemble

 

La population active (toute personne de plus de 15 ans occupant ou cherchant un emploi)

-De la guerre aux années 60, la population active est relativement stable : 19 millions. On enregistre une augmentation à partir de 1968 : 20,3. 1975 : 20.7. 1990 : 25.2. Cette augmentation à partir des années 60, s’explique en grande partie par l’arrivée à l’âge du travail des générations du baby boom.

-Répartition

*Femmes : 34.6% => 40.7% en 1982

*Chômeurs : 1968 : 400 000 ; 1982 : 2 millions ; 1987 : 2.5 millions

 

2. Le temps de travail

 

Fait important : Diminution de la durée du travail.

Si l’on tient compte de l’allongement de la durée des études, de l’abaissement de l’âge de la retraite, de la diminution de l’horaire hebdomadaire, mais aussi de l’allongement de la durée moyenne de vie, on arrive à ce constat : un Français consacre à la vie professionnelle une fraction progressivement restreinte de son existence : 1/3 de son temps vécu au début du siècle, environ 10% aujourd’hui.

Ce constat est paradoxal et inexact. Les analyses concernant la place de plus en plus réduite occupée par le travail, notamment par rapport au XIXe siècle, ont également fleuri pendant les années 1990, souvent dans le sillage des théories développées par Joffre Dumazedier. S’appuyant sur d’importants travaux historico-statistiques (Marchand et Thélot, 1990) qui mettaient en évidence que l’on était passé en deux cents ans d’une moyenne de 3 000 heures de travail par an et par individu en âge de travailler à un peu plus de 1 600, soit une diminution de presque moitié de la durée de travail, un certain nombre d’auteurs ont développé l’idée selon laquelle le temps de travail ne serait plus le principal temps structurant, ce rôle incombant désormais au temps libre : nous ne consacrerions plus au travail qu’une part réduite de notre temps de vie (moins de 15%) ; de plus en plus, l’essentiel des relations sociales et personnelles se développerait hors du monde du travail ; la vie sociale qui, hier encore, était dominée par les rythmes de travail, se structurerait progressivement autour des rythmes de temps libre, de loisirs, de vacances.

Mais un certain nombre d’éléments issus des enquêtes sur l’Emploi du temps des Français (I.N.S.E.E., 2002) amènent à nuancer ces analyses. Certes, si l’on ne considère que les grandes masses et les moyennes pour l’ensemble de la population âgée de quinze ans et plus, le temps de travail est bien le quatrième temps de la vie quotidienne, derrière le temps physiologique, prédominant, qui occupe la moitié des vingt-quatre heures (12 h 40), le temps libre (4 h 31) et le temps domestique (3 h 26). Mais ne considérer que les moyennes revient à ignorer non seulement :

-l’allongement de la durée de vie

-l’allongement du temps de retraite ou de préretraite

-la réduction de la population active (la part de la population en emploi à l’âge actif a diminué de 70,2% en 1974 à 61,5% en 1998),

-mais aussi la diversité des situations d’activité dans lesquelles se trouvent les différentes catégories de la population totale considérée (qui inclut les étudiants, les retraités, les personnes au foyer...).

À bien examiner celles-ci, on constate en effet que, durant ces dix dernières années, le temps de travail des actifs occupés, notamment à temps complet, a en fait augmenté, tandis que l’accroissement moyen du temps de loisir concernait d’abord en volume les chômeurs, dont la qualité de loisir est évidemment très différente de celle des actifs : « la progression du chômage est la première des causes du renversement du gradient socio-économique du temps libre » (Chenu, Herpin, 2002). Contrairement aux pronostics de Joffre Dumazedier, on n’assiste donc pas à une extension générale du temps de loisir, mais à un déplacement de la charge de travail vers les catégories sociales les plus qualifiées.

 

 

3. Les grands secteurs d’activité

 

Répartition :

*Travail agriculteur : (salariés ou exploitants) en 1945 6 millions, en 1982, 1.7 millions ; soit 7% de la population active.

*Seconde catégorie : patrons de l’industrie et du commerce, y compris artisans : diminution sensible 12 à 7% dans la période qui nous occupe.

*Ouvriers : effectifs globalement stable : 1/3 de la population active

*Salariés du secteur tertiaire : Forte augmentation ; employés : De 16% à 33%.

*Cadres supérieurs et profession libérale : forte augmentation : de 3 à 8%.

 

Conclusion

Effondrement du nombre de travailleur ruraux effritement des travailleurs indépendants, essor des employés et des cadres.

 

II. Les catégories

 

A. Les paysans

 

1. Répartition : 3 catégories

-Les exploitants (fermiers ou propriétaires)

-Les aides familiaux (conjoints, enfants)

-Les salariés

 

2. Evolution de 1954 à 1981

-Les exploitants passent de 37 à 47%.

-Aides familiaux de 53 à 46%

-Les salariés 10 à 7%.

 

Remarque :

=> Au total, les actifs agricoles sont passés de 6 millions à 2.5 millions, les aides familiaux ont diminué à cause du départ des jeunes (50%).

 

3. Transformation des structures

-Le nombre des exploitants a fortement diminué et la taille des exploitations s’est accrue : les gains de productivité sont considérables en raison de la mécanisation et des fertilisants. Blé : de 18 à 52 quintaux par hectare.

-Efforts d’équipement très important, pour la plus grande part financés à crédit : la dette des paysans passe de 11 milliards en 1960 à 180 milliards en 1982.

 

Trois observations :

-Plus de 30% des agriculteurs ont une seconde activité (artisans, petits commerçants, ouvrier)

-Les propriétaires ne pèsent plus sur le monde rural à cause des réformes du fermage.

-L’amortissement des emprunts représente plus de 30% des charges d’exploitation.

-En même temps les prix des produits sont désormais déterminés à Bruxelles.

 

 

B. Les ouvriers

 

1. Définition et classification

 

Les ouvriers ne se confondent pas avec les travailleurs d’usine ; un peu plus de la moitié est dans l’industrie, 1/6 dans le bâtiment, 1/3 dans les secteurs tertiaires (entretien, surveillance, manutention, conditionnement)

Leur nombre passe de 6.5 millions en 1954 par un maximum historique de 8.5 millions en 1975, diminuant chaque année de 200 000 à partir de cette date.

 

2. Catégories

 

-OQ ou OP (ouvrier qualifié ou professionnel, c'est-à-dire ayant reçu une formation couronnée par un certificat d’aptitude, accord des échelons, (OP1, OP2, OP3… OQ1…)

-Les OS (ouvrier spécialisé), travailleurs interchangeables dans le processus de production. Leur nombre augmente considérablement avec dans certains secteurs (électronique) un fort pourcentage de main d’œuvre féminine.

-Dans le processus de production, était prépondérant en 1945, le couple OQ-manœuvre ; à la fin de la période, il s’agit d’une hiérarchie dans laquelle les OS représentent le plus grand nombre.

-Dans l’industrie, en 1982, les OQ représentent 1.6 millions, et les OS 2.4 millions. Dans les entreprises nouvelles, secteur des biens de consommation, 70% des emplois créés sont des OS.

-Dans la période, croissance rapide de la main d’œuvre immigrée de 1954 à 1975, de 1.7 à 4.1 millions.

De même, augmentation de la main d’œuvre féminine, dont 79% sont des OS.

 

3. Les entreprises

-Après une croissance sensible de la taille des entreprises dans les Trente Glorieuses, le tissu économique se compose en majorité d’entreprises de moins de 10 ouvriers. Ces petites et moyennes entreprises à direction familiale, travaillent en sous-traitance des grandes entreprises.

 

 

C. Les travailleurs non salariés

 

1. Composition hétérogène

 

-Patrons des entreprises industrielles et commerciales, qu’ils soient gros ou petits, industriels ou artisans. Dans cette catégorie on classe tous ceux qui sont dans la production sans être salariés.

-Les professions libérales : notaire, médecin, avocat, comptable, etc.

-Artisans et petits commerçants

 

2. Répartition en milliers

 

1954 1982

 

Industriels : 86 71

Gros commerçants : 183 210

Artisans : 734 573

Petits commerçants : 1 274 869

Professions libérales : 163 328

 

 

Observations

Diminution des artisans, forte diminution du petit commerce qui s’explique par l’évolution de l’économie. Augmentation des professions libérales, qui s’explique, en particulier, par le développement du secteur médical et paramédical, mais aussi par le développement du secteur technique (ingénieur conseil en organisation, en informatique, en étude économique) ; et enfin le secteur des professions sportives, éducatifs et artistiques. Le taux de féminisation de ses professions augmente de 21 à 28%.

 

D. Les employés

 

Les employés sont des salariés qui accomplissent des tâches d’exécution dans le secteur tertiaire ; l’INSEE distingue les employés de bureau et les employés de commerce. Ce secteur a fortement augmenté de 2 millions en 1954 à 4.7 en 1982, avec une féminisation croissante. Cette croissance s’explique par l’évolution de l’économie : développement dans la période des grandes administrations publiques (Sécu) des magasin grande surface et des services (assurance, tourisme, etc.)

 

Observation : La nature des tâches s’est profondément transformée ; comme dans le secteur ouvrier on assiste à une déqualification des tâches ; un exemple : celui des dactylo ; qui dès la fin du XIX° siècle, avec le développement de la machine à écrire doivent faire l’apprentissage du métier, et peuvent développer leur carrière en devenant secrétaire (Qualification de sténo-dactylographe) ; après la guerre, apparaissent des pools de dactylo. Enfin, dans ce secteur, mais aussi dans les autres, la multiplication des consoles d’ordinateur déqualifie une part importante de ce travail.

 

Conclusion :

On peut se demander si cette évolution des formes de travail dans le secteur tertiaire ne rapproche pas une grande partie des employés du monde ouvrier. Aux OS de l’industrie électronique et des chaînes de montage correspondent les OS du clavier, des caisses enregistreuses et des guichets.

 

 

E. Les cadres

 

1. Catégorie

 

L’INSEE distingue :

-Les cadres du secteur public : professeur du secondaire et du supérieur, cadres administratifs de catégorie A et de catégorie B, qui ont des fonctions de direction ou de responsabilités (C et D sont des agents d’exécutions)

-Les cadres moyens : techniciens, cadres administratifs, sdsalariés des services médicaux et sociaux, instituteurs.

 

Dans la période de 1954 à 1982, on assiste à une forte augmentation de ces catégories. Cadres supérieurs de 430 000 à 1.600 000. Cadres moyens de 1.100 000 à 3 250 000 ; soit en pourcentage de la population active, de 8 à 20%. Globalement leur nombre est passé de 1 à 3 millions. Cette croissance s’explique par l’évolution des structures de l’économie, qui multiplie les fonctions de conception, d’étude, de direction, et d’encadrement, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Ces cadres supérieurs sont formés par de grandes écoles X-mines (Polytechnique, + école des mines) dans le secteur de l’industrie en particulier, grandes écoles de commerce, pour les cadres des entreprises, gestion et marketing.) L’ENA pour les tâches de l’Etat.

 

2. Autres catégories

 

-Le clergé de 171 000 en 1954 à 61 en 1982.

-L’armée et la police (ne bouge pas pendant la période)

-Les personnels de services (ou gens de maisons, domestiques), forte diminution, de 321 000 en 1954 à 215 000 en 1982. ce personnel étant remplacé par des entreprises spécialisées dans le nettoyage des bureaux en particulier.

-Or par suite de la multiplication des métiers du loisir et du tourisme., ces catégories de personnel des services progressent de 1 millions à 1.5 millions,

 

 

III. La modification des structures sociales

 

Problème :

La place dans le processus de production ne permet-elle pas de déterminer la hiérarchie sociale ? De ce point de vue, on peut décrire trois grandes catégories sociales, en fonction de leur position dans le processus productif :

-ceux, possédants ou salariés, qui assurent la direction et l’encadrement des entreprises.

-le groupe des classes moyennes qu’il faut sans doute redéfinir.

-le groupe des salariés rivés aux tâches de production.

Mais ne faut-il pas créer une quatrième catégorie, celle des couches les plus défavorisées, les employés à temps partiel où les « travail précaire » (dont le travail ne permet de subvénir à leurs besoins élémentaires) d’une part, les chômeurs d’autre part ?

 

1. Les évolutions

 

Premier constat :

La catégorie des salariés qui renvoyait jusqu’alors au monde ouvrier, s’est considérablement développée, en particulier par l’accroissement du nombre des cadres et des employés.

 

Deuxième constat

Ne faut-il pas revenir sur la définition du statut de salarié. Jusqu’alors, depuis le XIX° siècle, le salaire était synonyme d’aliénation ; l’ouvrier rémunéré à l’heure, à la journée ou à la tache, selon l’analyse de Marx, vendait sa force de travail.

Aujourd'hui les « conquêtes sociales » ont considérablement augmenté les revenus indirects : couverture médical, allocation familiale, indemnité journalière de maladie ou de chômage ; prestation d’invalidité et retraite ; ce que l’on appelle les transferts sociaux (organisés par l’Etat), se sont considérablement accrus de 3% des revenus d’un ménage en 1930, à 16% en 1950 ; ils atteignent 35% en 1983. C’est cette part de revenus qui est prise en compte pour calculer la hausse générale du niveau de vie des Français : En 23 ans de 1960 à 1983, le revenus moyen par habitant a doublé. Cette évolution devrait modifier profondément la condition du salarié, dans la mesure où elle lui assure la sécurité d’un revenu mensuel et la protection sociale. Mais force est de constater que cette évolution sociale n’a pu en rien changer les inégalités et les clivages. On est amené à distinguer des couches dirigeantes, des couches moyennes et des couches défavorisées.

 

IV. Les inégalités sociales

 

1. Evolution des revenus

 

Pour mesurer les disparités, il ne suffit pas d’analyser l’évolution des salaires bruts, mais il fait tenir compte des revenus réels des ménages : nombre de salariés dans le ménage, nombre d’enfants, importance des revenus sociaux.

Dans un premier temps, jusqu’au début des années 60, la masse salariale croît ; le salaire est multiplié par plus de 2 alors que le coût de la vie est multiplié par 1.5% ; mais les écarts entre les salariés s’aggravent : les augmentations de salaires bénéficient principalement aux cadres et aux OQ.

 

2. La mobilité sociale

 

La mobilité sociale qu’on peut définir comme la circulation des individus dans la hiérarchie sociale, abstraction faite de la mobilité structurelle due aux évolutions des structures. (exemple réduction du monde rural), présente les mouvements d’ensemble suivants :

-Dans le monde rural, seul 1/10 des agriculteurs n’est pas fils de paysan.

-Dans le monde ouvrier, près de la moitié des fils d’ouvriers sont eux-mêmes ouvriers.

-C’est dans les classes moyennes, en raison même de leur développement que la mobilité sociale est la plus grande. Un fils d’employé peu devenir cadre, tout au moins dans le principe.

-Dans les classes dirigeantes, l’hérédité sociale est très forte ; la plupart des enfants dont le père exerce une profession libérale sont cadres, chefs d’entreprise ou exerce eux-mêmes une profession libérale.

 

 

Conclusion

Les raisons de cette hérédité sociale, même si elles sont primordialement économiques, sont assurées par ce que Pierre Bourdieu appelait la reproduction sociale, à savoir la transmission du capital culturel. Au total les mécanismes de reproduction sociale n’ont guère changé depuis la guerre. Si les transformations économiques expliquent le recul de certains groupes sociaux (paysans, travailleurs, indépendants) et les progrès de certaines autres couches (classes moyennes), les inégalités subsistent.

 

Nota : le rôle de la reproduction sociale ;

L’école détermine de plus en plus les positions sociales futures.

-Jusqu’aux années 60, on avait pour l’essentiel affaire à un système scolaire clairement ségrégatif. D’un côté une école pour les enfants des catégories populaires ; de l’autre une école réservée aux catégories bourgeoises, éventuellement petit lycée, lycée et enseignement supérieur.

-Depuis la mise en place du « collège unique », qui a préparé et permis la montée de la vague lycéenne dans les années 80, nous avons affaire à un système scolaire, qui, théoriquement, promet l’égalité des chances. Mais de fait, on assiste à un véritable tri social par la transmission culturelle au sein de la famille et par le choix de l’école. Ainsi, au débuts des années 1990, dans les écoles d’ingénieurs, l’écart entre les chances d’accès entre les enfants d’ouvriers et de cadres va de 1 à 25 ; pour les écoles de commerce de 1 à 73. L’élite scolaire est bien le produit d’une élite sociale et de plus en plus.

 

 

3. Niveau de vie et inégalités sociales

 

La multiplication du nombre des salariés, constituant une importante classe moyenne, oblige à remettre en cause l’analyse des structures sociales par Marx au XIX° siècle :

On ne peut plus opposer un prolétariat constitué par la classe ouvrière à une bourgeoisie détentrice des moyens de production. Cependant les inégalités restent flagrantes, et s’aggravent même entre les classes privilégiées et les classes défavorisées. Pour mesurer cette persistance voire cette aggravation des inégalités, il faut suivre l’évolution du salariat.

 

a. L’âge d’or du salariat : 1950-1975 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale,: le capitalisme a besoin, pour fonctionner, d’une demande forte et régulière, ce qui implique une intervention de l’État.

En matière salariale, cela se traduit par une double mutation.

D’une part, l’instauration de mécanismes de protection sociale qui aboutissent à faire financer par les entreprises (directement ou par le biais de l’impôt) des revenus sociaux en sus des salaires directs.

D’autre part, la fixation d’une sorte de norme salariale minimale, par la loi (c’est le salaire minimum), par le contrat (généralisation des conventions collectives, incitation à la recherche d’accords interprofessionnels, comme ceux qui concernent l’indemnisation du chômage par exemple)

Le « modèle fordiste » désormais triomphe. L’ensemble de ces règles, dont une partie transite par des mécanismes de marché et une autre partie par la contrainte légale, aboutit à ce que, dans l’ensemble, la masse salariale évolue à peu près au rythme des gains de productivité. La demande progresse donc à l’allure du changement technique, et le pouvoir d’achat des salariés s’élève sensiblement.

On peut qualifier cette période – 1950-1975 – d’âge d’or du salariat. La société salariale paraît triompher

Même les salariés les moins bien lotis bénéficient d’une progression de leur pouvoir d’achat sans équivalent à l’échelle historique. On assiste, presque à vue d’œil, à la constitution d’une vaste « classe moyenne », qui n’a plus grand-chose à voir avec le prolétariat du siècle précédent, même si, dans les deux cas, le revenu dominant, sinon unique, est un salaire. Même si, pour certains, le point de départ était tellement faible, même après vingt ans de croissance, le revenu demeure modeste, parfois tout juste suffisant, reste que, pour deux tiers ou trois quarts des actifs, la société salariale se traduit par une amélioration sensible des conditions d’existence, un revenu qui progresse de façon régulière, et l’espoir qu’il continuera à en être ainsi dans le futur. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’éradication de la misère devenait possible.

 

A la fin de la période, les observateurs tel que René Lenoir dans son livre de 1974 Les Exclus indiquent qu’il faut remplacer le terme de pauvreté qui renvoie à la misère par celui d’exclusion, qui lui apparaît comme le produit où la reproduction de handicaps sociaux soit économique ou culturel, soit de comportements tel que l’alcoolisme ou la drogue, soit de déficience physique ou psychologique (handicapés physiques ou mentaux). Dans ces conditions, il appartient à l’Etat de prendre en charge ces handicaps.

 

b. La nouvelle pauvreté

 

Mais avec la crise, un retour de la pauvreté se développe sous la forme de ce que l’on a appelé la nouvelle pauvreté. Cette expression recouvrant plusieurs réalités :

-En premier lieu, l’augmentation continue et galopante du chômage qui devient structurel.

-L’absence d’intégration des travailleurs immigrés qui constituent une part importante du chômage. Les salariés employés à temps partiel ou les travailleurs précaires auxquels les revenus ne permettent pas d’assurer leur subsistance. C’est un fait de plus en plus prégnant : des salariés qui travaillent ne peuvent pas vivre de leur travail.

-Les chômeurs de plus de 50 ans « en fin de droits » généralement des salariés licenciés ou mis à la retraite anticipée.

-Les jeunes qui n’entrent dans le marché du travail qu’après 5 ou 6 ans de galère.

-Les familles monoparentales, notamment pour les femmes, dont le salaire ne permet de faire face aux besoins du foyer.

-Les ménages abusés par les facilités de crédits, qui se sont endettés.

-Enfin, les handicapés dont René Lenoir a analysé les différentes catégories d’exclusion.

La pauvreté présente un caractère multidimensionnel : elle découle fondamentalement d’un processus cumulatif. Nous la définirons comme l’accumulation de handicaps (de défauts, de déficits) résultant d’inégalités faisant système, c’est-à-dire tendant (pour la plupart du moins) à se renforcer réciproquement.

Ainsi des situations défavorables au sein de la division sociale du travail, se traduisant par des travaux déqualifiés et/ou des emplois instables, s’accompagnent presque toujours de faibles rémunérations et par conséquent d’un faible niveau de vie. Elles valent à ceux qui les exercent une morbidité et une mortalité supérieures à la moyenne. Ceux-ci n’accèdent de surcroît que difficilement à de bonnes conditions de logement. Ils n’ont pratiquement aucune chance de bénéficier d’une promotion par le biais de la formation professionnelle continue et leurs loisirs se réduiront à peu de chose. Dans ces conditions, la scolarité de leurs enfants est hypothéquée dès le départ ; ils se trouvent privés des conditions matérielles, relationnelles, affectives qui permettent la construction d’un projet de vie ; et le risque est grand qu’ils se retrouvent dans la même situation que leurs parents. En un mot, le handicap appelle le handicap : celui qui subit les effets des inégalités sociales sous un angle déterminé risque fort de les subir sous d’autres angles.

 

Au total,

1. Entre 1984 et 1994 le pouvoir d’achat moyen des ménages d’ouvriers non qualifiés a baissé en termes réels, leur valant de connaître une paupérisation absolue

2.Les exclus et les nouveaux pauvres représentent une part de plus en plus importante de la société actuelle ; pour l’INSEE, il faudrait classer 20% des familles parmi les pauvres. On peut mesurer l’importance du phénomène par l’accroissement du volume des dépenses de protection sociale qui de 1970 à 1983, est passé de 158 à 1172 milliards de francs.

Entre 1970 et 1995, le nombre de prestataires de l’un des huit minima sociaux a augmenté de plus de 40 p. 100, tandis que la population totale couverte par ces dispositifs a doublé, s’élevant à près de 6 millions de personnes, en gros le dixième de la population de la France.

 

c. Les inégalités sociales

 

Mise à part l’apparition et le développement de la nouvelle pauvreté, la croissance n’a pas éliminé les inégalités. Et la « question sociale » n’a pas disparu avec l’émergence de la classe salariale. Si l’on définit, comme Alexis de Tocqueville, l’idéal démocratique comme la tendance à l’égalisation des conditions, force est de constater que l’évolution des deux dernières décennies du XXe siècle va nettement à l’opposé, c’est-à-dire dans le sens de la persistance, voire de l’aggravation des inégalités. Voici trois exemples pris en France parmi bien d’autres possibles :

-Les inégalités de revenu : entre 1982 et 1992, la part dans le revenu national distribuable des revenus patrimoniaux (ou revenus du capital) est passée de 10 % à 17%, celle du travail indépendant est passée de 12% à 10% et celle du travail salarié est passée de 65% à 61%.

-L’allongement de l’espérance de vie : entre la période 1960-1969 et la période 1980-1989 : L’espérance de vie à 35 ans d’un manœuvre (qui était de 34,2 ans dans la première période) s’est accrue de 1,5 an, celle d’un chef d’entreprise de 3 ans. L’espérance de vie des cadres et professions libérales, qui était déjà de loin la plus forte, a encore creusé le fossé qui les sépare du manœuvre, étant donné que de 41,7 ans dans la première période, elle est passée à 44 ans pendant la seconde période.

-La représentation politique : entre 1981 et 1997, le pourcentage des ouvriers membres de l’Assemblée nationale est passé de 4,5 % à 0,7 %; celui des cadres et des professions intellectuelles supérieures dépasse régulièrement 70 % tout au long de la période. D’une façon générale, les catégories populaires et moyennes (ouvriers, employés, professions intermédiaires, artisans, commerçants) sont largement sous-représentées ; alors qu’elles constituent 80% de la population active, elles ne fournissent que 6,6% de la représentation nationale en 1997. Inversement les chefs d’entreprise, les professions libérales et les cadres administratifs de la fonction publique (comprenant notamment les hauts fonctionnaires) sont fortement surreprésentés, puisqu’ils constituent moins de 3% de la population active, mais de 40 à 50% des députés selon la période.

Le constat :

Pendant la période de forte croissance de l’après-guerre (1950-1975), les inégalités ont eu tendance à persister ou à se déplacer : certains signes montraient qu’une réduction semblait engagée à certains moments (en particulier entre 1968 et 1975) sur certains plans (l’échelle des salaires par exemple). Depuis lors, l’évolution s’est nettement accélérée, en particulier au cours des décennies 1980 et 1990. Phénomène qui peut s’observer dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse des revenus, du patrimoine, de l’emploi, du logement, de l’école, des usages sociaux du temps, de la maîtrise de l’espace public, etc.

Alors que le produit intérieur brut (P.I.B.) n’a cessé de s’accroître et a augmenté de 90%, alors que la France est -en 1990- en termes réels, presque deux fois plus riche qu’elle ne l’était avant l’ouverture de la crise. Dans cette société de plus en plus riche, le nombre des personnes pauvres, munies de ressources insuffisantes ou même démunies de toute ressource, n’a pourtant cessé d’augmenter. De ce point de vue, l’information statistique a confirmé, au cours de ces dernières années, ce que l’observation quotidienne pouvait apprendre à chacun. Ainsi, entre 1970 et 1995, le nombre de prestataires de l’un des huit minima sociaux a augmenté de plus de 40%, tandis que la population totale couverte par ces dispositifs a doublé, s’élevant à près de 6 millions de personnes, en gros le dixième de la population de la France ; alors qu’entre 1984 et 1994 le pouvoir d’achat moyen des ménages d’ouvriers non qualifiés a baissé en termes réels, leur valant de connaître une paupérisation absolue.

Cette contradiction apparente s’explique aisément par l’aggravation des inégalités de répartition de la richesse nationale. Ainsi, entre 1984 et 1994, l’écart entre le niveau de vie moyen d’un ménage de membres de professions libérales et celui d’un ménage d’ouvriers non qualifiés est-il passé de 2,9 à 4,2.

 

Les causes

 

Les inégalités sociales ne sont jamais que des effets de surface résultant de l’action de structures profondes. Elles résultent en particulier des rapports de production, des rapports de classes ou de la division du travail. Une véritable politique de réduction des inégalités doit donc s’attacher à transformer ces structures profondes. Cela n’a, pour l’essentiel, jamais été le cas pendant les dernières décennies.

Les politiques néo-libérales de gestion de la crise économique qui se sont succédé de manière quasi continue, à partir des années 1980, qu’elles aient été conduites par des gouvernements s’affirmant de gauche ou par d’authentiques gouvernements de droite, ont aggravé les inégalités

Ces politiques récessives, partant de l’idée que la crise est essentiellement due à une insuffisance de l’offre, du fait d’un coût salarial trop élevé, ont eu sinon pour objectif du moins pour effets : le développement du chômage, de la précarité et de la flexibilité de l’emploi, la baisse des salaires réels, un démantèlement rampant des systèmes publics de protection sociale destiné à en alléger le coût ; mais aussi une évolution du partage de la valeur ajoutée plus favorable au capital, un envol des taux d’intérêt réels et des bénéfices spéculatifs, une déréglementation progressive ou brutale des différents marchés, favorable à l’épanouissement de la liberté des plus forts qui a pour contrepartie un asservissement accru des plus faibles.

Avec pour conséquences contradictoires :

- un ralentissement de la hausse du pouvoir d’achat de la masse salariale globale, coïncidant avec une augmentation souvent importante des revenus non salariaux, notamment des revenus des placements financiers ;

- le développement des poches de misère dans des banlieues populaires, la multiplication des « nouveaux pauvres » –    vivant de la mendicité et de la charité dispensée par les associations caritatives –, faisant pendant à la multiplication des golden boys, opérateurs boursiers déployant leur génie spéculatif sur des marchés financiers rendus, par leur action, de plus en plus incontrôlables,

- enfin, un affaiblissement de la capacité régulatrice des États, en même temps qu’un renforcement du pouvoir de l’argent ou, plus exactement, du capital.

 

La mise en œuvre de ces politiques a signifié la rupture du compromis fordiste, qui avait fourni le cadre socio-institutionnel de la croissance économique entre 1950 et 1975, compromis dont les termes ont été à la fois imposés par le mouvement ouvrier et acceptés par la frange éclairée du patronat. Par divers mécanismes contractuels ou législatifs, ce compromis avait institué la répartition des gains de productivité entre capital et salariat, puis entre l’ensemble des catégories sociales, sous la forme d’une hausse de leur pouvoir d’achat ou d’une généralisation de la protection sociale. En dépit d’inégalités persistantes, cette répartition avait contribué à réduire les écarts sociaux. C’est à cette dynamique que la rupture de ce compromis a mis fin. Les politiques néo-libérales ont eu pour but d’en démanteler l’armature institutionnelle, opération nécessaire à la liquidation des acquis sociaux. L’aggravation récente des inégalités sociales est donc la conséquence directe de cette rupture.

 

Illustrons l’inefficacité de ces politiques par quelques exemples

1.une plus grande socialisation du revenu national ne peut pas suffire à réduire les inégalités : d’une part, la structure et la nature des prélèvements (impôts directs et indirects, cotisations sociales) sont en réalité fort peu progressives ; d’autre part, les allocations versées aux plus démunis restent dérisoires et les plus favorisés bénéficient davantage de cette socialisation qu’eux, notamment en raison de l’usage spécifique qu’ils font de l’école (et en particulier de l’enseignement supérieur) ou des institutions culturelles ; ils n’assument qu’en faible partie le coût de ces services publics et équipements collectifs, dont ils sont pourtant les principaux voire quelquefois les seuls bénéficiaires..

2.La réduction du temps de travail ne résout pas le problème d’un chômage, qui est structurel, mais, avec la flexibilité du travail, conduit à une diminution du pouvoir d’achat. En effet, dans la perspective néo-libérale, toute compensation salariale étant évidemment exclue , le coût salarial doit baisser en proportion du temps de travail pour ne pas compromettre la compétitivité des entreprises et l’ampleur des profits. La réduction du temps de travail aboutit ainsi en fait non pas à créer de nouveaux emplois mais à partager les emplois existants, autrement dit à partager le chômage et la pauvreté, par exemple sous la forme d’une généralisation du temps partiel contraint. Un mouvement inacceptable pour les salariés titulaires de salaires bas ou moyens, dont la situation s’aggraverait, et qui tourne le dos à l’objectif de réduction des inégalités.

 

Chapitre III. Les organisations socioprofessionnelles, et les conflits sociaux

 

I. Les syndicats de salariés

 

Autorisés en France depuis 1884, les syndicats ont pour mission la défense intérêts professionnels de leurs adhérents. La période considérée de 1945 à 1990 est caractérisée par un paradoxe : la faiblesse continue de la syndicalisation des salariés, et dans le même temps, la croissance du rôle des syndicats dans la vie sociale.

 

1. Caractères généraux

 

a. Le taux de syndicalisation depuis la guerre n’a pas dépassé 25% pour descendre jusqu’à 20% des salariés français ; encore est-il que cette moyenne recouvre de profondes disparités à titre d’exemple, 80% des instituteurs, 50% des professionnels du livre.

Mais cette faiblesse constante de la syndicalisation qui reste à expliquer n’empêche pas le rôle accru des syndicats dans la vie de l’entreprise et la vie nationale.

 

b. Le rôle accru des syndicats

 

-Dans l’entreprise

*Les syndicats sont représentés de droit (deux tours d’élection) dans les comités d’entreprise qui gèrent des sommes importantes : 1% de la masse salariale. Leur rôle est d’abord de gérer les œuvres sociales de l’entreprise (cantines, crèches, colonies de vacances, centre sportif, etc.) mais ils ont aussi un pouvoir de contrôle de la gestion de l’entreprise qui sera renforcé par les lois Auroux ; (nomination d’un expert comptable indépendant, etc.) ; enfin, dans les entreprises importantes, ces syndicats disposent de comité de permanents rémunérés (exemple des 600 personnes chez Renault).

*Depuis 1968, la loi reconnaît l’existence de la section syndicale qui choisit librement les délégués (qui sont déchargés de travail et protégé contre les licenciements abusifs)

 

-Au plan national

*Les syndicats participent à la gestion des caisses de sécurité sociale et certains ont créé des sociétés mutuelles d’assurance telle la MGEN (Mutuel Générale de l’Education Nationale) et la MAIF (assurance automobile). Depuis 1968, ils participent également à la gestion paritaire des Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce).

*Depuis la fin des années 60, les syndicats participent aux négociations salariales avec les pouvoirs publics et les organisations patronales.

*Depuis la fin des années 60, ils sont représentés au Conseil économique et social.

 

 

2. L’évolution

 

a. De la libération à la guerre froide 1944-1947.

*Le syndicalisme se reconstitue après la guerre. La CGT, réunifiée dans la Résistance, réunit une tendance majoritaire proche du PCF dirigée par Benoît Frachon qui est secrétaire général de la CGT et une tendance réformiste avec Léon Jouhaux qui s’organise autour du journal Force Ouvrière. La CGT, en 1946, est forte de 5 500 000 membres ;

A côté de la CGT, deux syndicats, la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) et la CGC (Confédération Générale des Cadres).

*Au lendemain de la guerre, ils participent à la vie politique et à l’effort de reconstruction :

-Marcel Paul, fédération des électriciens, est ministre de la production industrielle.

-Les syndicats participent à toutes les commissions du Plan.

-Mais, en 1947 l’exclusion des communistes par le gouvernement Ramadier va entraîner la scission syndicale.

 

b. La division du mouvement syndical

 

-La scission

 

*La prise en main par la CGT des grèves violentes de 1947 provoque la scission ; en avril 1947, les réformistes, avec Léon Jouhaux, créent la CGT-FO (Force Ouvrière) qui affirme son attachement à la charte d’Amiens de 1906, c'est-à-dire à l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des partis politiques.

*La FEN (Fédération de l’Education Nationale) refuse la scission, acceptant les tendances en son sein.

*La CGT reste cependant le syndicat dominant, obtenant 40 à 50% des suffrages aux élections de la sécurité sociale. Elle perd une partie de ses adhérents (plus d’1.5 millions), en raison du fait ou sous prétexte que elle est la « courroie de transmission » du PCF, (ses secrétaires successifs seront tous membres du bureau politique du PCF. Benoît Franchon (jusqu’en 1967), Georges Séguy (de 1967 à 1982), Henry Krasucki (à partir de 1982), puis Vianet et Bernard Thibault.)

 

-Les autres syndicats

*La CGT FO, 700 000 adhérents en 1960, implantée dans le secteur tertiaire (assurances, banques et fonction publique).

*La CFTC se transforme et à partir de 1961 sa tendance moins réformiste se sépare pour constituer la CFDT (Confédération Français Démocratique du Travail) avec à sa tête Eugène Descamps (puis Edmond Maire).

 

Conclusion

Excepté en 1958 avec la création des Assedic, on peut dire que dans la période de 1948 à 1960, les syndicats ne jouent pas un rôle décisif.

 

 

3. Du milieu des années 60 à la crise

 

La CGT et la CFDT concluent un pacte d’unité d’action en 1965, s’oppose aux ordonnances sociales de 1967, et, en mai 1968, apparaissent comme les deux organisations syndicales représentatives du mouvement social. L’une atteignant deux millions d’adhérents (la CGT), l’autre (la CFDT) 1.5 millions.

*Les rapports entre CGT et CFDT deviennent conflictuels après Mai 1968 ; la première, méfiante à l’égard du mouvement étudiant, adopte une position qu’on a dite « ouvriériste », tandis que la seconde se veut l’héritière des idées de mai 1968.

*Edmond Maire, à partir de 1971 multiplie les contacts avec tous les courants de la nouvelle gauche et prône la gestion démocratique de l’entreprise au travers de l’autogestion.

*A partir de 1969, et des secousses de Mai 1968, le patronat prend conscience qu’il ne faut pas refuser la concertation avec les syndicats, et le gouvernement présidé par Jacques Chaban-Delmas -gaulliste de gauche, conseillé sur le plan social par Jacques Delors- lance l’idée de l’économie concertée, incitant à la mise en place de conventions collectives par branche.

 

4. Les syndicats depuis la crise

 

Les difficultés du syndicalisme n’apparaissent vraiment qu’au début des années 80 ; les effectifs des deux principaux syndicats (CGT, CFDT) diminuent. En effet, la CGT a perdu ses assises à la suite de la désagrégation des grands bastions industriels ; la CFDT, est mise en porte-à-faux par le gouvernement de gauche.

Ce sont les syndicats réformistes comme FO, avec son secrétaire général André Bergeron, et la CFTC qui résistent le mieux à la crise.

Entre 1981 et 1986, la gauche au pouvoir mettra en place les lois Auroux, qui renforcent l’influence du syndicat dans l’entreprise.

Cette faiblesse des syndicats et leur division renforcent l’importance de syndicats autonomes qui défendent des intérêts corporatifs, (exemples, les syndicats de la RATP et de la Police (Alliance)

 

 

Nota : Les Lois Auroux

 

Les lois Auroux transforment les relations sociales au sein des entreprises, au moins dans les textes sinon toujours dans les faits :

- elles créent des délégués du personnel, élus par l'ensemble des salariés, et qui suppléent aux autres institutions représentatives du personnel (délégué syndical ou comité d'entreprise) en cas d'absence dans l'entreprise ;

- elles créent le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui remplace le Comité d’hygiène et de sécurité et la commission d’amélioration des conditions de travail du comité d’entreprise

- elles fixent les pouvoirs disciplinaires du chef d'entreprise et limitent très précisément le règlement intérieur ; celui-ci ne peut pas porter atteinte aux libertés individuelles et collectives ;

- de même, soucieux de mieux protéger les personnes victimes de discrimination dans le cadre de la vie professionnelle, un nouvel article du Code du Travail (L122-45) prohibe la sanction ou le licenciement d’un salarié fondé sur “son origine, son appartenance à une ethnie, une nation ou une race”...

- Elles rendent obligatoire dans chaque entreprise une négociation collective annuelle sur les salaires, la durée et l'organisation du travail.

 

II. Les autres organisations professionnelles

 

1. Les organisations agricoles

 

Dès le lendemain de la guerre, se constitue la CGA (Confédération Générale Agricole) dont l’une de ses composantes la FSNEA (Fédérations Nationale des syndicats d’exploitants agricoles) joue le rôle essentiel. Aux côtés de la FSNEA, comme son aile moderniste, se forme le Centre National des Jeunes Agriculteurs (SNJA) ; jusqu’aux années 80, la FSNEA jouit d’un quasi monopole syndical et se donne pour tâche de défendre les prix et les revenus agricoles au niveau national, en se faisant le seul interlocuteur du gouvernement, notamment de Jacques Chirac ministre de l’agriculture. Michel Rocard ira jusqu’à mettre en place, malgré la création d’autres syndicats, la pratique d’une sorte de co-gestion avec la FSNEA.

 

2. Les groupements patronaux

 

*En 1946, se constitue le CNPF (Conseil National du Patronat Français) qui regroupe un ensemble d’organisations régionales et de fédérations nationales industrielles. Il joue le rôle d’un groupe de pression conservateur et ses positions figées ne seront pas remises en cause, malgré les tentatives de réformateurs qui créent le Centre des Jeunes Patrons.

*L’ouverture progressive des organisations patronales est provoquée par les événements de Mai 1968 ; se multiplient alors les grandes négociations entre l’organisation patronale et les centrales syndicales. Cette ouverture est facilitée par l’influence dans l’organisation patronale des patrons-managers qui ne sont pas issus des dynasties familiales, mais font partie de la même élite que les hauts fonctionnaires de l’Etat, créant des liens entre les conseils d’administration des grandes sociétés et les cabinets ministériels.

*Le monde de la petite entreprise, plus rebelle au dialogue social, crée la Confédération Générale des PME (CGPME), qui représente un patronat patrimonial (qui possède l’entreprise), voulant préserver l’autorité des chefs d’entreprise et méfiant à l’égard des interventions de l’Etat.

 

III. L’Etat et les relations sociales

 

*L’Etat apparaît en France comme le régulateur des relations sociales, depuis les accords Matignon de 1936, les grandes réformes de la Libération, les accords de Grenelle en 1968 et les Lois Auroux en 1982. C’est l’importance du secteur contrôlé par l’Etat -que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises nationalisées- qui lui confère un rôle moteur dans l’initiative sociale (exemple, le rôle pilote joué par la régie Renault).

*Si l’Etat est au centre des relations sociales, les partenaires sociaux manifestent toujours une méfiance vis-à-vis de ses initiatives : le mouvement syndical est réticent parce qu’il porte encore les marques de ses origines révolutionnaires et parce qu’il s’affirme porteur d’un projet de société (pour la CGT, changement des structures, pour la CFDT, démocratisation de l’entreprise par l’auto-gestion).

*Les forces patronales sont méfiantes pour d’autres raisons : elles défendent leur indépendance, prônant le libéralisme contre l’intervention de l’Etat.

 

Cependant l’antagonisme entre le patronat et les organisations syndicales qui conduit le plus souvent à l’absence de tous dialogue exigera jusqu’à nos jours l’intervention de l’Etat pour éviter les conflits sociaux.

 

 

 

 

Chapitre IV. Familles, femmes et générations

 

 

I. Les comportements démographiques et la famille

 

1. Traditions et transitions jusqu’aux années 60

 

a. La dimension de la famille

Après la guerre, au modèle caractérisé par la relative importance du célibat et le mariage tardif se substitue le mariage généralisé et précoce (22 à 24 ans). La taille moyenne famille oscille désormais entre 2 et 3 enfants.

 

b. Une politique de la famille

 

Le code de la famille du 20 juillet 1939 marque le début d’une politique de la famille que tous les gouvernements ont poursuivie.

Suivi par le gouvernement de Vichy qui instaurera la fête des mères, par les gouvernements de la libération qui pénaliseront les célibataires et les ménages sans enfants en favorisant les familles par la mise en place du quotient familial.

En 1945-46 sont mises en place, avec la sécurité sociale, les principales mesures : allocations familiales dès le deuxième enfant, pendant toute la durée de la scolarité obligatoire, allocation logement, prime à la naissance (dans les premières années de mariage). Ces mesures sont destinées à favoriser les femmes qui restent aux foyers, et elles sont complétées par l’allocation de salaire unique. Cette politique de la famille favorisant la natalité est approuvée par toutes les couches sociales, à l’exception d’une fraction de la bourgeoisie, malthusienne qui craint de voir « les prolétaires se multiplier comme des lapins ».

 

 

Conclusion

Jusqu'en 1960, le modèle bourgeois de la famille reste dominant ; la place d’une mère est au foyer. Peu nombreuses sont les femmes des milieux aisés qui travaillent. Le fondement de l’union reste l’institution du mariage, la famille est pratiquement le seul lieu de reproduction, les relations intrafamiliales sont fortement hiérarchisées, la société exerce toujours sur les moeurs une étroite pression morale ; la sexualité reste un sujet tabou (fille-mères montrées du doigt)

 

2. Grande mutations des comportements depuis les années 60.

 

a. Les familles sont plus réduites :

Jusqu’en 1972, le nombre des mariages et des naissances restent élevés, mais le taux de nuptialité, et le taux de reproduction diminue sensiblement à partir des années 70. Un exemple : en 1947, 47% des familles ont trois enfants et en 1982, 29%. La famille se resserre, le nombre des enfants est désormais inférieur à deux, les familles où l’enfant est unique augmentent, les familles nombreuses sont plus rares. Les différences régionales s’estompent, qui en 1960 permettaient encore d’opposer une France du Nord féconde à une France du Sud malthusienne.

Mais si le croissant fertile du Nord a tendance à disparaître, des différences notables marquent le poids des traditions régionales ; les plus forts taux de reproduction se trouvent à l’Ouest, Morbihan , Vendée ; les plus faibles à Paris : 1.5. La principale explication du phénomène semble bien résider dans l’allongement de la durée des études, mais surtout dans une autre conception du travail chez les femmes, qui y voient une possibilité d’autonomie voire d’épanouissement personnel.

 

b. la limitation volontaire de grossesse

Alors que jusqu’alors les femmes ne savaient limiter leur fécondité que par des méthodes « naturelles » (méthode Ogino), cette période est déterminante pour la conquête par les femmes de la maîtrise de leur fécondité par les moyens modernes de contraception (pilule, stérilet). Dès les années 50 commence à se dessiner le mouvement en faveur de l’abrogation de la loi de 1920. La contraception est à l’ordre du jour : en 1956, est créé le Mouvement français pour le planning familial par le docteur Weill-Hallé. Le sujet est abordé dans les journaux féminins, surtout par Marie Claire, où l’on se réfère encore à la méthode Ogino. Ce mouvement rencontre l’intransigeance de la hiérarchie catholique, alors que dès 1962, 40% de ceux-ci sont favorables à l’utilisation des méthodes modernes.

C’est en décembre 1962, qu’est voté la loi Neuwirth reconnaissant le droit à la contraception. Mais il faudra six ans pour que passent les décrets d’application. De même, la loi sur l’avortement, discuté en 74, promulgué en 75, ne passera que grâce à l’appui des députés de gauche et du gouvernement Chirac.

C’est à partir de cette date que se créent des associations de catholiques intégristes comme « Laissez-les vivre » qui vont lutter contre le vote de la loi, puis contre son application, par des interventions intempestives, voire violentes.

-La diffusion des méthodes contraceptives ne progresse que lentement, ce qui explique le nombre toujours important des avortements.

 

c. Une révolution des mœurs ?

 

-Sexualité

Anecdote : mouvement de Nanterre en mai 1968, attribué à l’interdiction des visites féminines dans les résidences universitaires. Mise à part cette anecdote, on assiste à une révolution accélérée des mentalités concernant la sexualité : objet jusqu’alors du sujet conjugal ou de la grivoiserie, elle devient progressivement un moyen d’épanouissement personnel. Le docteur Simon écrit en 1972 : « Déculpabiliser le sexe et ses plaisirs voilà une des grandes tâches de la jeunesse en cette fin de siècle ». Des aspects visibles de cette libération des mœurs s’expriment dans les nudités affichées et dans l’affirmation des minorités sexuelles (homosexualité). Les Français sont passés d’une société qui enfermait la sexualité dans un cadre institutionnel à une société où elle apparaît parfois comme un bien de consommation parmi d’autres. De cette mutation témoigne le film de Roger Vadim (1956) qui met en scène Brigitte Bardeau dans toute sa nudité ou celui de Louis Mall dans les Amants avec Jeanne Moreau en 1958.

 

Malgré les groupes religieux ou politiques qui se scandalisent de cette société permissive la libération sexuelle progresse, notamment avec les jeunes dont la sexualité est de plus en plus précoce et libérée.

 

-La transformation du couple.

La famille traditionnelle n’a pas disparu, mais le couple n’est plus cette cellule stable dont on disait naguère qu’elle était indispensable à l’existence même d’une société. La maîtrise de la fécondité qui dépend de la femme a permis de rééquilibrer les rôles dans le couple contemporain. Dans ces couples, l’enfant n’est plus une fatalité, mais un choix.

Le problème est posé par les moralistes, qui nourrit les débats contemporains sur l’individualisme : le corps social peut-il fonctionner sans morale collective, l’affectivité peut-elle régler les conduites ?

 

 

II. Les femmes à la conquête de l’autonomie

 

En 1945, la situation des femmes dans la famille n’a guère changé ;

-Elle est soumise à son mari pour le choix du domicile conjugal.

-Elle ne possède pas la libre disposition des biens acquis par son travail qui est considéré comme un revenu d’appoint.

-Elle est mobilisée par les tâches ménagères ; (linge lavé à la main, parquet encaustiqué)

 

Les transformations sont progressives :

-la femme n’aura le droit de vote qu’à partir de 1944 ;

-Ce n’est qu’à partir des années 60 que les prises de conscience aboutissent à des réformes réelles.

 

1. Le travail des femmes

 

a. L’école

La mixité n’est généralisée que dans les années 60, au moment où le taux de scolarisation des filles rejoint celui des garçons. C’est à partir des années 70, qu’elles sont plus nombreuses dans les lycées que les garçons ; en 1986, elles représentent 60% des bacheliers.

Mais elles sont omniprésentes dans certaines séries (notamment les séries littéraires et les séries des baccalauréats techniques F et G)

Première fille à Polytechnique à la fin des années 1970.

Elles sont principalement orientées non plus seulement vers les métiers de la couture mais toujours dans l’enseignement professionnel. Qui les prépre à des postes de l’exécution du secteur tertiaire (dactylographie, etc.)

 

b. Taux d’activité

-Le taux d’activité pour les femmes de plus de 15 ans a toujours été important en France (36% en 1954, et 46% en 1990).

-De 1946 à 1970, elles sont employées dans le secteur tertiaire, dans la fonction publique, dans l’enseignement et les métiers de la santé.

-Les femmes employées dans l’industrie occupent des emplois non qualifiés dans des secteurs en expansion comme l’électronique.

-Les grands corps de l’Etat restent essentiellement masculins, de l’ordre de 5% au Conseil d’Etat et à la Cour des comptes.

-Augmentation des effectifs féminins : en 1962 38%, en 1990 68%.

 

2. Le féminisme

 

a. Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir

-Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, paru en 1949, donne un nouvel essor au féminisme français. La thèse repose sur l’analyse existentialiste ; selon la formule « on ne naît pas femme, on le devient », ce qui signifie que le statut des femmes n’est en rien l’expression d’un fait biologique.

-Elle s’attaque à tous les grands principes de la morale chrétienne, monogamie, indissolubilité du mariage, fidélité réciproque, acte sexuel lié à la procréation. Tous ces principes, pour Simone de Beauvoir constituent l’aliénation propre de la femme, et un mode spécifique d’exploitation qui ne sont pas les mêmes que ceux de l’ouvrier.

 

b. Les mouvements féministes

-Avant mai 1968, de nombreuses associations avaient soulevé le problème de l’aliénation féminine, mais elles ne parviennent pas à mobiliser l’opinion publique. Des journaux comme Elle (dirigée par Françoise Giroud) et Marie Claire participent à ce mouvement mais ils ne s’adressent qu’aux couches aisées de la population. La presse féminine populaire (Nous deux, Confidence) est une presse du cœur qui véhicule l’image traditionnelle de la femme attendant le prince charmant.

-Les événements de 1968 entraînent une radicalisation du mouvement ; le MLF (Mouvement de Libération de la Femme) s’emploie à analyser la spécificité de la condition féminine et à fixer pour objectif de la transformer. Très vite le mouvement se scinde avec la création du groupe des féministes révolutionnaires qui veulent « tout chambarder » et organisent des manifestations contre la fête des mères (1971) ou pour dénoncer des crimes commis contre les femmes. Elles réclament la liberté des femmes hors mariage, le droit de reconnaître ou non le père biologique de l’enfant ; la suppression de ce qu’elles appellent « l’appropriation privée du corps des femmes par les hommes ».

-Dès le début des années 70, Giselle Halimi fonde l’association Choisir et écrit en 1973 La cause des femmes. Elle se donne pour but de faire abroger la loi de 1920 condamnant pénalement l’avortement. Peu avant, avait paru le manifeste des 343 (des femmes connues, des intellectuelles, des artistes défiait la loi en affirmant avoir elles-mêmes avorté). Au procès de Bobigny -adolescente accusée d’avortement- Giselle Halimi alerte l’opinion publique.

- A partir des années 80, le féminisme s’essouffle, quelques femmes apparaissent au premier plan, journalistes, vedettes des médias, etc., mais ce ne sont que quelques femmes dans un monde dominé par les hommes.

 

c. Conquête législative et action politique.

-En 1936, trois femmes sont sous-secrétaire d’Etat. Alors même qu’elles n’ont pas encore le droit de vote.

-Ordonnance du 21 avril 1944, droit de vote aux femmes.

-35 femmes élues à l’Assemblée Constituante. Longtemps, leur comportement électoral reste conservateur.

-1965, loi accordant aux femmes la faculté de gérer ses biens propres et d’exercer une profession sans le consentement de son époux.

-En 1970 seulement, la notion d’autorité parentale est substituée à celle d’autorité paternelle.

-Et en 1975, le droit lui est accordé de choisir le domicile conjugal.

-En 1974, Giscard D’Estaing impose à Chirac la nomination de Françoise Giroud comme secrétaire d’Etat à la condition féminine, chargée de favoriser l’accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité dans la société française, et à éliminer la discrimination dont elle peuvent faire l’objet.

-En 1976, lui succèdera Monique Pelletier, et après 1981, Yvette Roudy.

-En 1981, le nombre des femmes élues à l’Assemblée nationale s’élève à environ 30.

Conclusion

La libération des mœurs a transformé la place de la femme et lui a donné une certaine autonomie sans que la société soit capable d’instaurer une véritable égalité.

 

III. Jeunes et vieux

 

1. Les générations

 

La forte progression de la natalité d’après-guerre, le baby boom, explique le rajeunissement de la population dans les années 60. Le vieillissement de la population s’il est visible, n’apparaîtra dans toute son ampleur que lorsque les générations nées après 1945 dépasseront l’âge de 60 ans.

-La transformation de la famille, la généralisation de l’école pour une durée plus longue, ont modifié le rôle des différentes générations et leur place dans la société. Une des grandes nouveautés de la période, c’est la constitution de classes d’âge en groupes autonomes, avec leur comportement spécifique, leur mode de vie et leur mentalité. C’est ainsi que se développent « des solidarités horizontales » rassemblant les générations -associations, etc.- qui s’accompagnent de l’affaiblissement des structures verticales et hiérarchiques de la famille. Désormais le temps de vie de chacun s’articule en trois moments, le temps de l’apprentissage et de la formation (qui se prolonge), le temps de l’activité et le temps de la retraite.

 

2. Naître et mourir, une existence médicalisée

 

a. L’allongement de la durée de vie

L’espérance de vie est un indicateur plus précis de l’évolution de la mortalité que le taux de mortalité qui varie suivant la structure par âge de la population.

 

Espérance de vie

 

 

Hommes Femmes

 

1935 56 ans 62 ans

 

1946 60 ans 65 ans

 

1965 67 ans 75 ans

 

1990 71 ans 80 ans

 

 

 

Ce n’est pas le moment de la mort qui a reculé, mais les risques de disparaître prématurément ; cela concerne aussi bien la diminution de la mortalité infantile (qui était la plus importante) que celle des personnes âgées.

-L’allongement de la durée moyenne de vie a des conséquences importantes sur les structures sociales, mais aussi sur les mentalités : la mort et même la maladie ne sont plus considérées comme une fatalité, mais comme un scandale.

 

b. La santé

 

Les progrès de la médecine et la sécurité sociale ont transformé la vie des Français. En même temps, le poste santé dans le budget de l’Etat et des Français n’a cessé d’augmenter. La sécurité sociale s’est peu à peu généralisée, s’étendant en 1961 aux salariés agricoles et en 1966 aux professions non salariées. Les médecins sont dit « conventionnés » qui ont conclu des accords avec la Sécurité Sociale. Les Français adhèrent à des mutuelles pour compléter les remboursements de la Sécu. Les hôpitaux ont été réformés par l’ordonnance de 1958 créant les CHU (Centre Hospitalier Universitaire, (où l’apprentissage de la médecine est rattaché à certains hôpitaux.)

Les difficultés de la sécurité Sociale relèvent de plusieurs facteurs :

-Le vieillissement des populations qui a accru les maladies cardio-vasculaire et les cancers.

-Les accidents de la circulation

-Les risques liés aux modes de vie (alcool, tabac)

 

c. L’inégalité devant la mort

 

L’espérance de vie est inégale selon les catégories socioprofessionnelles, elle recouvre à quelques exceptions prês la hiérarchie des revenus. Ces écarts sont dus principalement aux conditions de travail et de vie suivant les milieux socioprofessionnels et aux inégalités face à la consommation médicale. Cette inégalité est aussi une inégalité entre les sexes.

L’évolution fondamentale des comportements sociaux réside non seulement dans l’attitude des individus devant la maladie et la mort, mais aussi dans leur attitude à l’égard de la médecine, dont elles attendent non seulement des soins, mais aussi, un confort de vie physique et psychique.

 

3. L’enfance

 

-Le phénomène majeur est sans doute la socialisation précoce des enfants à travers le développement de l’enseignement pré-scolaire (voir chapitre VI formation et enseignement). Ce phénomène s’explique à la fois par des raisons sociologiques, le travail des femmes, mais aussi l’absence des grands-mères pour garder les enfants. Elle s’explique aussi par une attitude nouvelle, une évolution de la famille qui confie à la société le soin de l’apprentissage et de la socialisation.

Les conditions de vie des enfants sont transformées par les changements du mode de vie notamment l’introduction de la télévision dans tous les foyers à la fin des années 60. Dans les années 60 les enfants regardaient l’ours débonnaire de « bonne nuit les petits », dans les années 70 ils regardent maintenant les productions Walt-Disney et le héros Goldorak, sans compter l’arsenal des films de violence. La télévision, mais aussi la bande dessinée et les nouveaux jeux, donnent aux enfants une culture et une ouverture au monde indépendante du milieu familial.

 

Conclusion

La famille joue toujours son rôle, mais non plus comme un lieu d’apprentissage, mais de plus en plus comme une communauté affective et comme une communauté de loisir.

 

 

 

 

 

4. Des vieux au troisième âge

 

Notion biologique, la vieillesse tend à devenir progressivement une notion économique ; les vieux d’autrefois forment désormais le troisième âge ; une période qui devient constitutive de l’existence, au fur et à mesure qu’elle s’allonge par l’augmentation de l’espérance de vie et l’avancement de l’âge de la retraite.

Chiffres

Plus de 65 ans : 1946 : 4.5 millions / 1968 : 6.4 millions / 1990 : 8.3 millions.

Le groupe des personnes les plus âgées (un quatrième âge ?) -plus de 85 ans- a quadruplé en un quart de siècle. 800 000 en 1990.

 

Les évolutions sont de plusieurs ordres :

-Malgré la généralisation de l’assurance vieillesse à partir de 1946, les personnes âgées deviennent en raison de l’inflation des « économiquement faibles » ;

-Au milieu des années 50, plus des ¾ d’entre elles ont un revenu inférieur au minimum vital, d’où la création en 1956 du fond de solidarité financé par la vignette automobile. Les vieux se replient dans des logements vétustes et exigus, souvent éloignés de leurs enfants, avant qu’ils ne soient contraints d’entrer dans les maisons de retraites ou dans les hospices. En effet les rapports des grands-parents avec leur descendance ont évolués au cours de la période ; dans le foyer replié sur la famille nucléaire (parents+enfants) il n’y a pas place pour les parents âgés.

-Mais dans la catégorie du troisième âge, l’inégalité ne manque pas de se manifester pour des classes aisées et la partie supérieure des classes moyennes ; pour celles-ci, la retraite devient le temps des loisirs. En 1982, 2 millions de personnes âgées sont inscrites dans quelques 15 000 clubs. Ils fréquentent les théâtres, les musées, les expositions et s’adressent aux organisations de voyage, toutes ces manifestations s’accompagnant d’une solidarité générationnelle.

 

La retraite a changé de signification ; considérée au début de la période comme un temps de repos bien mérité, elle est de plus en plus vécue comme un nouveau départ dans la vie.

 

Conclusion : L’exclusion de la mort

Toute cette évolution, comme l’ont montré les travaux de Philippe Ariès, est couronnée par la nouvelle attitude des hommes devant la mort. Les cortèges conduisant les morts du domicile à l’église, puis de l’église au cimetière ont disparu, de même les portes du domicile voilées de noir, de même les vêtements noirs (qu’elles gardaient jusqu’à la fin de leur jour) et les voiles de crêpe des veuves. Disparaissent des vitrines des teinturiers « Deuil en 24 heures » (pour teindre les vêtements). Dorénavant, la mort s’est réfugiée et cachée dans les hôpitaux. Dès les années 60, on voit apparaître les premiers funérariums comprenant hôtesses, salon de réception pour la famille, vente de fleurs, etc. Cette évolution a sa contrepartie ; le deuil n’est plus pris en charge par la société, il est vécu comme un événement tragique personnel au sein du groupe familial.

 

Chapitre VI. La formation et l’enseignement, les croyances et les pratiques culturelles

 

Introduction

Une étude rapide laisserait croire à un mouvement d’ensemble de la société :

-Les Français abandonneraient les formes traditionnelles d’encadrement spirituel et déserteraient les églises ;

-Au plan de la culture, l’éducation humaniste ferait place à une culture de masse liée à l’irruption des loisirs et de la consommation.

-Enfin, l’enseignement serait bouleversé par une ouverture à l’ensemble de la population.

Qu’en est-il ?

 

I. La formation et l’enseignement

 

1. L’héritage de la tradition républicaine

 

En 1945, la société française hérite d’un système scolaire bâti par la III° République.

 

a. L’école primaire

A la base du système, l’école primaire, obligatoire jusqu’à 14 ans (depuis 1936 seulement) est l’école du peuple qui conduit au certificat d’étude. Les seuls changements correspondant à la demande sociale, furent la création des écoles primaires supérieures et des cours complémentaires. Le primaire constitue ainsi un monde clôs : seuls les éléments les meilleurs sont sélectionnés par les instituteurs, qui, grâce aux bourses les dirigent vers d’autres enseignements.

 

b. L’enseignement secondaire

L’enseignement secondaire est réservé à un petit nombre. Il existe dans les lycées des petites classes qui permettent aux enfants des élites d’accéder à l’enseignement secondaire sans passer par les écoles primaires.

Jusqu’en 1930, les effectifs des lycées ne dépassent pas 200 000 élèves, et les bacheliers 10 000 ; Il faut attendre 1936 pour que l’on crée dans les lycées des sections modernes (échappant aux humanités)

 

c. L’enseignement supérieur

Il se caractérise par la coexistence des universités et des grandes écoles. A la veille de la guerre, le nombre d’étudiants ne dépasse pas 75 000. Ainsi, la bourgeoisie maintient par ce système les moyens de se reproduire : une culture élitiste, construite autour des humanités.

Dès avant la guerre, la gauche revendique l’école unique : la suppression des cloisonnements entre l’école du peuple et l’école des notables ; les seules réformes jusqu’à la fin des années 50 sont la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, décidée par Jean Zay, et la progressive gratuité de l’enseignement secondaire.

2. L’explosion scolaire

 

Vers 1950, moins du quart des jeunes de 10 à 17 ans sont scolarisés. Ils seront 75% en 1980. Cette explosion s’explique -en particulier pour l’enseignement primaire- par la croissance démographique de l’après-guerre (baby boom).

Mais le développement et les réformes de l’enseignement secondaire sont entreprises avant l’arrivée des enfants du baby boom dans les classes secondaires et nous renvoient donc aux mutations de la société à partir des années 60.

 

a. L’enseignement primaire

-L’urbanisation et la croissance du travail féminin entraînent le développement de l’enseignement préscolaire : les maternelles passent de 9 000 avant la guerre à 2.6 millions en 1975.

-Le nombre des écoles élémentaires est quasiment le même en 1948 qu’au début du siècle (70 000). Les effectifs évoluent avec la vague démographique jusqu’à 5 millions à la fin des années 1970.

-En 1959, la scolarité obligatoire est portée à 16 ans. L’école primaire est désormais banalisée, elle n’est plus l’école du peuple, mais l’école de tous. La profession d’instituteur est dévalorisée et en même temps féminisée, l’instituteur n’a plus le rayonnement social qu’il avait au temps de la communale. Le contenu de la formation se modifie, on adjoint aux apprentissages de base des activités d’éveil : une nouvelle pédagogie.

 

b. L’enseignement secondaire

L’exode rural, l’urbanisation, l’évolution de l’économie et les mutations exigent l’allongement du temps scolaire.

- Comment transformer un enseignement jusque là réservé à une élite en un enseignement de masse ? La croissance démographique aggrave les problèmes quand la vague du baby boom atteint l’enseignement scolaire.

-Les effectifs passent de un million en 1951 à 5 millions en 1979-80.

-15% de bacheliers d’une même classe d’âge, au début de la période (en 1950) et plus d’un tiers au milieu des années 80.

 

Les problèmes soulevés par cette mutation expliquent la succession des réformes de l’enseignement :

-La prolongation de la scolarité jusqu’à 16 ans -décidée en 1959- oblige à regrouper dans une école moyenne unique tous les enfants. Les filières sont supprimées qui juxtaposaient l’enseignement primaire (école élémentaire + cours complémentaire) et l’enseignement secondaire pour être regroupées dans les lycées de la 6ème au baccalauréat.

-1963 : réforme Fouchet ; à l’intérieur du lycée, on distingue des sections différentes qui reproduisent les anciennes filières : deux sections de types lycée (classique et moderne) conduisant au baccalauréat ; et une section courte. jusqu'à la 3ème., sanctionnée par le BEPC.

-Entre 1963 et 1975, date de la réforme Haby se mettent place les collèges d’enseignement secondaire. A l’intérieur de ces collèges, on met en place une ségrégation entre les classes « parking » ou de transition concernant les enfants des catégories sociales les plus défavorisées et celles qui conduisent les élèves des classes moyennes à l’entrée en seconde au lycée.

-En 1975, la réforme Haby supprime les différentes sections des CES pour répondre à un désir d’égalité formelle. Ainsi, les élites sociales ont rétabli les stratégies qui leur permettent de donner à leurs enfants les possibilités de ne pas être submergées dans un enseignement ouvert à tous. A l’intérieur des lycées, le choix des langues vivantes et l’option pour les sections mathématique (section C) conduisant aux classes préparatoires aux grandes écoles renforcent la ségrégation.

 

c. L’enseignement supérieur

Dans les années 60, l’enseignement supérieur doit affronter un brusque afflux d’étudiant. Chiffres : nombre d’étudiants multiplié par 10 entre 1950 et 1980 (de 100 000 à un million). Les structures du supérieur ne sont pas adaptées à cet afflux. Les deux systèmes concurrents que sont les universités et les grandes écoles vont servir de base à la ségrégation. Dans les années 70, 90% dans les universités, 10% dans les classes préparatoires. S’ajoutent à ce système dans les années 70 la création des IUT (Institut Universitaire de Technologie et les BTS Brevet de Technicien Supérieur, préparés en deux ans)

 

3. Crise de l’école ou crise de la société ?

 

L’ambition de l’école formulée dans la réforme Haby, en juillet 75, consiste à lui assigner non plus seulement la préparation à la vie professionnelle mais aussi l’éducation de l’homme et du citoyen ; enfin on lui assigne également pour but d’être l’instrument de l’égalité des chances. Désormais l’école a un triple rôle : la famille disparaît comme lieu essentiel de socialisation, l’instruction était publique, l’éducation devient nationale.

 

a. L’école et l’égalité des chances

La démocratisation et l’égalité des chances sont des thèmes récurrents, mais en même temps l’école est dénoncée comme favorisant la reproduction sociale et perpétuant les inégalités. De fait, tous les chiffres montrent que la démocratisation est très lente.

N’est-ce pas dire que l’école ne peut effacer les inégalités, mais qu’elle reflète les structures de la société en s’adaptant tant bien que mal à son évolution ?

 

b. Mai 1968

La croissance des années 60 remet en cause l’ordre traditionnel de l’école ; les jeunes ne veulent plus reproduire les valeurs des générations précédentes ; l’école doit devenir un lieu convivial qui assure l’épanouissement de tous. Et elle ne saurait être considérée comme l’instrument destiné à fabriquer des travailleurs. Ainsi, à partir de Mai 1968, s’achève la vieille idéologie dont l’école était porteuse depuis Jules Ferry ; le système scolaire avait alors une mission claire d’acculturation, à la fois diffusion des savoirs de base, et d’une morale laïque, facteur d’intégration sociale. Pierre Chevènement, ministre en 1984, essaiera en vain de ranimer la flamme républicaine. On a pu direction que la société était malade de son école, il vaudrait mieux dire que l’école est malade de la société.

 

II. Les croyances

 

1. L’évolution du phénomène religieux

 

On peut tracer à grand trait l’évolution du phénomène religieux en partant du catholicisme, religion dominante jusqu’à la fin de la période qui nous concerne.

 

a. Très longtemps en France, le catholicisme a été un phénomène de mentalité, c'est-à-dire un ensemble de pratiques inscrit dans la vie quotidienne, structurant naturellement les groupes sociaux et permettant l’insertion de l’individu au sein des communautés. On naissait et on mourrait catholique ; l’espace commun, celui des villages en particulier était un espace religieux (église au centre du village) ; A tel point que le non-pratiquant était exclu de la communauté, a-social.

 

b. Progressivement au XIX° siècle -plus tardivement dans certaines régions comme l’Ouest- la religion qui était un phénomène de mentalité devient un phénomène d’opinion. La République cherche à construire un espace républicain, des valeurs : progrès, humanisme militant, et une morale se posent en concurrentes des valeurs et de la morale catholique. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la société française appartient encore aux deux temps de cette évolution.

 

c. L’évolution décisive est celle de la seconde partie du XX° siècle ; la croyance disparaît pratiquement comme phénomène de mentalité, elle subsiste comme phénoméne d’opinion dans des groupes désormais minoritaires. Et, pour l’ensemble de la population, elle devient un phénomène culturel. Les pratiques sociales qui se sont développées (culture de masse, loisir, etc.) sont des pratiques individuelles qui n’impliquent aucune vision du monde.

Certes, il reste une imprégnation culturelle judéo-chrétienne, mais cette culture ne s’incarne plus dans un ensemble de pratiques.

 

2. L’évolution du catholicisme et des catholiques dans la société française

 

a. Effondrement de l’appareil clérical dû en particulier au tarissement des vocations ; Début des années 50, un millier de nouveaux prêtres ordonnés chaque année, depuis la fin des années 70, 100. (sans compter les prêtres qui ont quitté l’état clérical).

 

b. A partir du milieu des années 60, une nouvelle génération de prêtres post-conciliaires ;

Le concile de Vatican II -de 1962 à 1965- a réalisé l’aggiornamento de l’Eglise, rejetant les aspects les plus visibles de la présence cléricale dans la société : abandon de la soutane par les prêtres ; disparition progressive de grandes processions (exemple : la Fête-Dieu). Plus grande austérité des cérémonies, et introduction de la langue vulgaire à la place du latin dans la liturgie. Ces prêtres semblent se fondre dans le corps social, et abandonnent aux laïcs de nombreuses tâches (par exemple le catéchisme).

 

c. L’insertion de l’Eglise dans la société

 

-Au début de la période

*L’Eglise se présente non seulement dans le cadre traditionnel de la paroisse, mais dans des mouvements d’actions catholiques. Depuis les années 30, grande vitalité et rôle majeur dans la société française, de la JAC, la JOC, JEC (Jeunesse agricole catholique, jeunesse ouvrière catholique, jeunesse étudiante chrétienne). Ces mouvements ont formé les militants qui ont constitué les éléments catholiques de la Résistance ; ce sont eux qui ont été les agents de la modernisation des campagnes françaises. Ce sont eux qui ont fourni de nombreux responsables du MRP, exemple Georges Bidault.

Cet engagement social est pris en charge par l’Eglise de France.

*L’épiscopat français, prenant conscience des phénomènes de déchristianisation autorisent quelques prêtres dans le cadre de la Mission de France à vivre de leur travail ; c’est l’expérience des prêtres ouvriers qui travaillent dans les usines, militent dans les syndicats, etc. Expérience connue du grand public par le livre de Gilbert Cesbron : Les Saints vont en enfer. En 1953, le pape met fin à l’expérience, craignant la compromission des prêtres dans un engagement syndical et/ou politique.

*Peu à peu, au seuil des années 50, les Catholiques se sont intégrés à la vie de la cité, agissant désormais selon la formule de Maritain, non plus en tant que chrétiens mais en chrétiens.

 

-Tout change dans les années 60

Progressivement dans la société, l’Eglise catholique n’occupe plus que des îlots reconnue plutôt que écoutée.

Par ailleurs, elle est divisée : un noyau très actif de traditionalistes et d’intégristes qui luttent contre les acquis de Vatican II, souvent proches de l’extrême droite, et particulièrement actif (exemple contre l’avortement). D’autre part, des Chrétiens progressistes, très actifs dans les luttes politiques, regroupés autour de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien. Ils se fondent progressivement dans des courants laïcisés ; c’est ainsi que les militants de la CFTC, souhaitant l’abandon de la référence chrétienne fondent la CFDT.

 

d. L’évolution des pratiques religieuses

 

C’est la sociologie religieuse qui permet de mesurer l’adhésion des Catholiques aux pratiques de la religion.

-La majorité des Français sont baptisés et se disent catholiques à près de 80% encore à la fin de la période, mais ils ne manifestent aucune pratique. Les pratiquants réguliers sont de moins en moins nombreux suivant les régions : en moyenne, à la fin de la période, pas plus de 10 à 15%. Les seules pratiques restent liés aux grands événements familiaux (Baptêmes, mariages, obsèques). 30% seulement d’obsèques civiles en 1983.

 

Conclusion

Ainsi la pratique catholique est devenue un phénomène minoritaire dans la société française. Le catholicisme n’imprègne plus le corps social.

 

3. Des minorités religieuses

 

a. Les Protestants

 

Environ un million, notamment dans l’Est, le midi et la région parisienne. Détenteurs d’une histoire, plus ouverts que les Catholiques aux évolutions de la société, ils représentent un des réseaux qui structurent la société française par une culture commune.

 

b. Les Juifs

 

-Les Juifs parfaitement intégrés en France, y compris les juifs de la dernière vague, voient leur communauté s’accroître par l’arrivée de 300 000 Juifs Séfarade d’Afrique du Nord à partir de 1960. Ils sont aujourd’hui 600 000. Résidant pour la plus grande partie en région parisienne.

-Ils entretiennent un lien particulier avec l’Etat d’Israël ; on assiste au renouveau du judaïsme par la redécouverte de la mémoire commune ; elle se manifeste par l’apprentissage de l’hébreu et un retour aux pratiques religieuses traditionnelles.

 

c. Les Musulmans

 

-2.8 millions. L’Islam est devenue la seconde des grandes religions de la société française ; que les fidèles soient français ou étrangers, la communauté est caractérisée par un attachement à la pratique de la religion qui se manifeste par la multiplication des lieux de prières. (plus de 400 en 1980)

 

4. Autres formes de croyances

 

a. Les voyants et voyantes

Ils sont 30 000 et reçoivent 8 millions de consultations par an.

 

b. Horoscope et astrologie

Introduits dans les médias, illustrés par Madame Soleil sur Europe 1 plus de 15 000 appels téléphoniques quotidiens.

 

c. Les sectes dont l’audience est grandissante à partir des années 1970.

 

 

 

 

 

Chapitre VIII. Culture, loisirs et communication de masse

 

I. La fin d’une époque (1945-1955) et une nouvelle période, de 1955 à 1990

 

1. L’élan de la libération

 

Les années d’après guerre retrouvent les espoirs et les aspirations du Front Populaire, après la parenthèse Vichyssoise.

a. Dans l’atmosphère productiviste de la libération, le travail doit passer avant la détente ; et les salariés devront attendre 1956 pour obtenir une troisième semaine de congé payé.

b. Cependant, l’esprit du temps impose de faire partager au peuple la culture, en même temps que l’espérance d’une nouvelle société. Sartre écrit « Nous demeurons bourgeois par notre culture, notre mode de vie, […] mais, en même temps, la situation historique nous incite à nous joindre au prolétariat pour construire une société sans classes. »

Le symbole de cette aspiration c’est le Théâtre National Populaire de Jean Vilar et le Festival d’Avignon, qui révèle Gérard Philippe dans Le Cid.

c. L’époque est celle du militantisme engagé ; à preuve :

-La multiplication des journaux quotidiens (203) y compris des journaux d’opinion (L’Humanité, Le Populaire de la SFIO, L’Aube du MRP, Franc-Tireur, Libération, mais surtout Combat (animé par Albert Camus), et la naissance du Monde de Hubert Beuve-Méry)

-Le rôle des intellectuels qui sont au premier plan de l’actualité, écrivains artistes, élèves de l’Ens, tous compagnons de route du PCF à cause en particulier de son rôle dans la Résistance. Au centre de la vie parisienne, débats entre Sartre et Camus ou entre Sartre et Raymond Aron ; le marxisme est au cœur de la réflexion.

d. Cette période est celle aussi des mouvements de jeunesse ; ceux de l’Action catholique (JAC, JOC, JEC) ; mais aussi les mouvements de jeunesse créés par les partis politiques : (L’UEC –Union des Etudiants Communistes- et la fédération Léo Lagrange crée par Pierre Maurois)

 

2. L’annonce d’une nouvelle période

 

Le climat unanimiste de la libération ne survit pas à la guerre froide ; après 1947 le prolétariat, influencé par le PCF se retrouve en marge de la vie politique et la Troisième Force, après 1947 abandonne ses velléités de changement.

 

a. La presse quotidienne évolue très vite

 

Un grand nombre de journaux quotidiens disparaissent, qui laissent place à l’immense succès du quotidien France-Soir de Pierre Lazareff qui tire à plus d’un million d’exemplaires et à la nouvelle autorité du journal Le Monde.

 

b. C’est vers le milieu des années 50 que se multiplient les signes des grades mutations culturelles : Radio 11 millions de postes en 1958, en 1955 fondation d’Europe 1 ; dans les livres Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, au cinéma, Dieu créa la femme de Roger Vadim avec Brigitte Bardot. Au niveau des loisirs, création du Club Méditerranée, création du Tiercé par le PMU, création du microsillon et du transistor.

 

En 1955, l’ère des loisirs et de la culture de masse s’annonce.

 

II. La culture et ses publics

 

 

a. Culture, cultures et culture de masse

 

De 1958 à 1969, André Malraux, ministre des Affaires Culturelles du Général De Gaulle, créant les Maisons de la Culture, se donne pour mission de mettre l’Art et la culture à la portée de tous ; mais dès le milieu des années 60 et particulièrement en 1968, cette conception de la culture est dénoncée comme l’instrument des classes sociales privilégiées. On prône la libre création culturelle, non plus une, mais des cultures.

-Alors que jusque là le cinéma représentait la culture de masse, l’apparition de la télévision, la multiplication des livres bon marché, la diffusion du disque, permet à la culture de pénétrer des milieux de plus en plus larges : elle peut maintenant être, selon l’expression d’Edgar Morin consommée.

 

Problème : Faut-il opposer la véritable culture à la culture de masse qui diffuse des produits (aussi bien la publicité que la chanson populaire ou la robe d’un couturier).

Toujours est-il que la multiplication des formes de la culture entraîne l’apparition de publics différents.

 

b. « Les trois publics »

 

-Un premier public composé de spécialistes (professeurs, professionnels de l’édition) qui constituent le « Tout-Paris » (Thèses universitaires, revues spécialisées, musique de Pierre Boulez)

-Un second public ; qu’on pourrait appeler le « grand public cultivé » ; c’est le monde des nouvelles classes moyennes, la frange de la population qui a eu accès à l’enseignement supérieur. Ce public se reconnaît dans des émissions littéraires télévisées comme Apostrophe de Bernard Pivot, dans des magazines comme L’Express ou le Nouvel Observateur ; Lecteurs des prix littéraires, public du théâtre et des expositions.

-Le troisième public est-il concerné par le « culturel » ? Un tiers des français ne lit jamais de livre (9/10) ne vont jamais au théâtre ni au concert. C’est le public de la télévision et des spectacles sportifs. Culture ou loisir ? La gauche au pouvoir avec Jack Lang va tenter de donner ses lettres de noblesse à cette nouvelle culture.

 

c. Les intellectuels

 

-Depuis l’Affaire Dreyfus, les intellectuels tiennent dans la société française une place qui traduit l’importance des débats idéologiques ; leur territoire s’étend de la dénonciation des injustices à la critique de l’idéologie bourgeoise dominante et à la promotion d’une autre société. Les plus actifs se situent dans la mouvance du PCF ;

-Après 1956 (Chars entrent à Prague et XX° Congrès PCUS), ils épousent d’autres modèles la Chine de la Révolution Culturelle et le Cuba de Fidel Castro, pendant que la guerre du Vietnam entretient l’anti-américanisme.

-Dans les années 70, le climat intellectuel se transforme au point qu’on a parlé de l’effet Soljenitsyne qui publie l’Archipel du Goulag en 1974. Après les dénonciations du stalinisme, les révélations sur la Chine de Mao, le génocide du Cambodge, la méfiance et bientôt la crise des idéologies se développent. Le temps du prophétisme est révolu. Et les intellectuels se replient sur la défense des droits de l’homme et l’aide aux associations humanitaires.

 

III. Les communications de masse

 

1. La presse écrite

 

C’est la presse quotidienne militante qui a le plus souffert, alors que des quotidiens régionaux comme Ouest-France ont résisté.

-Les magazines d’information se développent comme L’express, Le Nouvel Observateur, Le Point (1970), Le Figaro Magazine, L’Evénement du Jeudi.

-Ce sont les périodiques qui l’emportent, s’adressant à des publics spécialisés : La presse féminine, mais aussi les hebdomadaires des bricoleurs, des jardiniers du dimanche, des sportifs, des amateurs d’histoire, des philatélistes, des bridgeurs, des pêheurs à la ligne !

Pendant ce temps et dans cette période le pluralisme de la presse d’information est menacé par l’importance de plus en plus grande prise par les grands groupes capitalistes, notamment Hersant. La disparition de la presse d’opinion concourt à la crise des idéologies.

 

2. La radio et la télé

 

En 1957, 60 000 postes de télé ;

11 millions de téléspectateurs en 1973, 16 millions en 1980. etc. 93% de la population en 1984.

 

Loi de 1982, supprime le monopole de programmation, les radios libres ont été autorisées en 1981. Sont créées la 5 et Canal +, chaîne à péage. TF1 est privatisée en 1987.

 

Contrairement aux autres pratiques culturelles, la télévision comme la radio atteint, sans distinction de classe sociale, tous les Français.

Problème : ce média de masse ne condamne-il pas la culture de masse à l’uniformité et à la médiocrité ?

 

 

Chapitre IX : Les Loisirs

 

I. Le Loisir

 

1. Historiquement,

Le concept de loisir correspond à une réalité historique ; Pour qu’on puisse parler de loisir, il faut que deux conditions soient réalisées dans la vie sociale ::

– que les activités de la société ne soient plus réglées dans leur totalité par des obligations rituelles imposées par la communauté, que l’activité des individus échappe aux rites collectifs, même si les déterminismes sociaux s’exercent sur eux.

– que le travail professionnel se soit détaché des autres activités, soumis à une limite arbitraire, non naturelle, a une organisation spécifique, si bien que le temps libre est assez nettement séparé ou séparable de lui.

Ces deux conditions de la vie sociale ne se trouvent réunies que dans les civilisations industrielles Quand le loisir pénètre dans la vie rurale des sociétés modernes, c’est que le travail rural tend à s’organiser sur le mode du travail industriel et que la vie rurale est pénétrée par les modèles de la vie urbaine qui y correspondent

 

2. Définitions

De nombreuses enquêtes menées depuis l’après-guerre ont permis de préciser l’étendue et les limites du concept de loisir et de préciser les caractères spécifiques de cette réalité dans les sociétés modernes.

Il faut d’abord distinguer le loisir et le temps libre :

Le temps libre inclut le loisir mais aussi toutes les autres activités extra-professionnelles : les nécessités et obligations personnelles (nourriture, entretien, sommeil) ; les obligations et engagements familiaux, et toutes les obligations institutionnelles imposées par les organismes de base de la société.

Le loisir est le temps libéré non seulement du travail professionnel, mais encore de tout travail supplémentaire, du temps de transport nécessaire pour se rendre au lieu de travail et de toutes les autres activités extra-professionnelles 

 

3. Caractéristiques

 

Caractère libératoire

Le loisir résulte d’un libre choix, même s’il est évidemment soumis, comme tous les faits sociaux, aux déterminismes de la société. Même s’il dépend des relations sociales, donc des obligations qui naissent des groupements et organismes nécessaires à son exercice (discipline d’une équipe de sport, règlement d’un ciné-club).. le loisir implique dialectiquement ces obligations fondamentales. Il s’oppose à elles tout en les supposant. Il postule qu’elles finissent pour qu’il commence, et se définit par rapport à elles.

Caractère désintéressé

Sur le plan de la finalité le caractère désintéressé du loisir est le corollaire de son caractère libératoire. Il n’est fondamentalement soumis à aucune fin lucrative comme le travail professionnel, à aucune fin utilitaire comme les obligations domestiques, à aucune fin idéologique comme les devoirs politiques ou spirituels. Dans le loisir, le jeu, l’activité physique, artistique, intellectuelle ou sociale ne sont au service d’aucune fin matérielle ou spirituelle imposée par la société, même lorsque les déterminismes matériels et sociaux pèsent sur eux.

Caractère hédonistique

D’abord défini négativement par rapport aux obligations et aux finalités imposées par les organismes de base de la société, le loisir se définit positivement par rapport aux besoins de la personnalité, même quand celle-ci les réalise dans un groupe de son choix. Dans la presque totalité des enquêtes empiriques, le loisir est marqué par la recherche d’un état de satisfaction de l’individu, pris comme une fin en soi. Cette recherche est de nature hédonistique. Certes le bonheur ne se réduit pas au loisir, il peut accompagner l’exercice des obligations sociales de base. Mais la recherche du bien-vivre, du plaisir, de la joie est un des traits fondamentaux du loisir de la société moderne. Marthe Wolfenstein a parlé à son sujet d’une « éthique du divertissement » (fun morality).

Caractère personnel

Toutes les fonctions manifestes du loisir exprimées par les intéressés eux-mêmes répondent aux besoins de l’individu, face aux obligations primaires imposées par la société. Il est lié à la réalisation, encouragée ou contrariée, des virtualités désintéressées de l’homme total, conçue comme une fin en soi, en relation ou en contradiction avec les besoins de la société.

 

Le loisir le plus complet est celui qui peut satisfaire ces trois besoins de l’individu, ces trois fonctions fondamentales irréductibles les unes aux autres. Tout loisir qui n’offre pas ces trois genres de choix est incomplet du point de vue des besoins de la personnalité dans une société moderne.

 

Seule cette analyse permet de poser la question : la nature du travail dans les sociétés industrielles - sa réalité historique - permet-elle de répondre à cette fonction psychosociologique et, au-delà, à cette exigence de réalisation personnelle des individus ?

 

Historiquement, si l’on rappelle la réalité économique et sociale du travail depuis la révolution industrielle, jusqu’aux conquêtes sociales du XXème siècle, la réponse est sans ambiguïté : Au XIXème siècle, et au XXème encore la réduction de la durée journalière du travail, obtenue par les luttes sociales, ne fait que répondre aux nouvelles conditions d’exploitation ( travail à la chaîne etc.) qui mettent en cause la rentabilité du travail, la productivité des travailleurs.

La question du loisir ne se pose qu’à partir du moment où, historiquement se constituent les quatre formes de loisir :

- « le loisir de fin de journée »,

- «  le loisir de fin de semaine »

- « le loisir de fin d’année de travail ».

- « le loisir de fin de vie »

 

-Le loisir de fin de journée est déterminé par une durée du travail qui au cours du XIX° siècle atteignait dix heures et plus (qui a été ramenée à 9h puis 8h), sans que cette durée légale soit respectée, -chargée d’heures supplémentaires-.

-Concernant le loisir de fin de semaine, il est déterminé par la durée du travail hebdomadaire, sachant que l’évolution passe par la « semaine-anglaise » (libération du samedi après-midi ; et ce n’est qu’au cours des années 60 qu’un nombre croissant d’entreprises a supprimé l’obligation de travailler le samedi à la suite de pressions syndicales.- et cela malgré le souhait des travailleurs de travailler le samedi main pour augmenter leur revenu.

- Ce sont surtout les congés payés annuels qui ont permis l’expansion la plus spectaculaire des activités de loisir.

Avant 1936, moins de 10% des travailleurs pouvaient bénéficier de « voyages de vacances ». Le Front Populaire crée les « Congés payés » dont la durée est limitée à 15 jours. A la libération les congés payés sont portés à quatre semaines et, sous le gouvernement Maurois, en 1982 à 5 semaines.

Aujourd’hui le total de ces congés représente environ 150 jours par an sans travail professionnel pour la moyenne des travailleurs.

-Enfin la tendance au raccourcissement de la vie de travail a été longtemps considérée comme un terrain de la conquête sociale ; c’est en 1982 que l’âge légal de la retraite est fixé à 60 ans. Compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, c’est à partir de ce moment que l’on peut parler d’un loisir de fin de vie.

 

Le problème

 

Il ne fait pas de doute que l’accroissement du temps de loisir sous ses différentes formes est d’abord le signe d’un progrès des ressources matérielles et humaines qui permet de mieux satisfaire les besoins fondamentaux de la société et des individus.

 

- Mais, ce progrès global de la société ne laisse de poser plusieurs questions

 

-La diminution du temps de travail qui laisse place à plus de loisir n’est-elle pas en partie compensée par la nécessité des heures supplémentaires et par l’intensification du travail, grevé par les temps de transport et les conditions de vie de la majorité de la population (logement, etc.) ?

-La persistance et le développement des inégalités sociales ne met-elle pas en cause l’égalité de l’accès au loisir ? (Certains loisirs comme le bricolage sont en fait destinés à suppléer les coûts d’entretien qui ne trouvent pas place dans le budget de tous les ménages)

-La main mise sur cette partie du temps libre par les industries du loisir ne met-elle pas en cause la qualité même des loisirs et leur finalité : libération de la contrainte sociale, développement des activités valorisante et personnalisante ?

-Enfin, la dernière question qui est essentielle à l’avenir même de nos sociétés : Le loisir est-il destiné à ne rester qu’un divertissement, ou peut-on dire que le temps de travail est un temps résiduel qui doit laisser place à une civilisation du développement individuel fondé sur la polyvalence ?

 

II. Les loisirs

 

Dans le monde du travail, les loisirs des hommes les conduisaient au café, à une virée entre copains, à quelques manifestations sportives. Les femmes dont l’oisiveté était encore suspecte était vouée à la couture et au tricot. La diminution du temps de travail a sans doute permis à un plus grand nombre de français de se distraire et de diversifier leurs distractions.

 

1. Les vacances

Les vacances entrent dans les moeurs de la majorité de Français ; la première grande expansion des départs d’été date des années 50. En 1954, 20 millions de Français quittent une fois par an leur domicile. En 1983, ils sont 30 millions.

Mais les départs en vacances reflètent fidèlement les écarts sociaux : si 85% des cadres supérieurs et les ¾ des cadres moyens profitent des loisirs d’été, les exploitants agricoles ne partent que rarement et, à peine la moitié des ouvriers et des commerçants.

 

2. Sports et musique

 

a. Sports

La pratique du sport correspond au désir d’échapper à la vie de travail, mais aussi à une culture du corps et à la reconstruction d’autres communautés.

Fin 1970, 6 millions de Français sont titulaires d’une licence, 12 millions en 1981. Mais là encore, le choix des sports est lié à la stratification sociale, vélo, football, boxe pour les uns, tennis, ski, golf pour les autres.

b. La musique

La pratique de la musique illustre les transformations de la société ;

La pratique d’un instrument, en particulier le piano, obligatoire pour les enfants de la bourgeoisie, surtout les filles fait place à une autre pratique avec les générations nouvelles : elles connaissent la musique à travers le disque et la pratique d’un instrument n’est plus reproductible d’un modèle social, mais, avec la guitare, devient l’instrument d’un épanouissement personnel et de nouvelles communautés culturelles.

c. Le jeu

Le jeu est à la fois la conséquence du loisir, mais aussi une pratique aliénante distillant d’autant plus de rêves que la réalité du présent est difficile.

En 1933, seule la loterie nationale.

1954 : Création du Tiercé

1976 : Loto

1985 : Le loto sportif

Exemple 7 à 8 millions de joueurs réguliers pour le Tiercé.

 

En même temps qu’une activité aliénante, le jeu pratiqué en majorité par de petits joueurs, souvent en groupes développe des formes de sociabilité nouvelles ; relayées par la télévision, ils rythment la semaine ; à la fois spectacle et jeu, il s’agit d’un nouveau rite.

 

Conclusion : Le temps de travail

 

 

La question de la fin du travail est revenue en force dans le débat public français au milieu des années 1990, notamment avec la publication du best-seller de Jeremy Rifkin intitulé La Fin du travail (1996).

 

La thèse de de Jeremy Rifkin

 

Prise dans son sens le plus simple, l’expression « fin du travail » signifie que la quantité de travail humain nécessaire pour produire les biens et services dont nous avons besoin sera désormais toujours plus faible, ou encore qu’un nombre d’heures de travail toujours plus réduit permettra de faire face à nos besoins. La thèse de Rifkin est notamment que le secteur primaire et secondaire ne nécessitent désormais plus qu’une main-d’œuvre réduite, étant donné leur haut niveau d’automatisation, et qu’il en va de même pour le secteur tertiaire, sauf pour les activités à très haute valeur ajoutée et les activités relationnelles. La satisfaction de nos besoins traditionnels peut désormais être assurée avec un très petit volume de travail ; nos « nouveaux besoins » (besoin de relations, de services personnalisés, d’accompagnement, etc.) ne sont pas justiciables, par nature, du même processus de rationalisation et de développement de gains de productivité. C’est donc vers la satisfaction de ces derniers qu’il faut reconvertir notre système de production et nos travailleurs, au sein d’un système d’économie sociale.

(Sans entrer dans le détail des critiques qui ont été adressées à ces thèses, rappelons l’argument principal, théorisé par Alfred Sauvy, selon lequel les emplois détruits dans un secteur se recomposent dans un autre (théorie du déversement), mais surtout le fait que, aussi longtemps que les hommes s’inventeront de nouveaux « besoins » ou plutôt de nouveaux désirs, le travail sera sans limites, comme le seront également les modalités ou les facteurs de production toujours plus sophistiqués ou immatériels nécessaires à sa réalisation.)

 

Nouvelle structuration du temps : les données statistiques

 

Moins médiatisées que les thèses relatives à la fin du travail, les analyses concernant la place de plus en plus réduite occupée par le travail, notamment par rapport au XIXe siècle, ont également fleuri pendant les années 1990, souvent dans le sillage des théories développées par Joffre Dumazedier. S’appuyant sur d’importants travaux historico-statistiques (Marchand et Thélot, 1990) qui mettaient en évidence que l’on était passé en deux cents ans d’une moyenne de 3 000 heures de travail par an et par individu en âge de travailler à un peu plus de 1 600, soit une diminution de presque moitié de la durée de travail, un certain nombre d’auteurs ont développé l’idée selon laquelle le temps de travail ne serait plus le principal temps structurant, ce rôle incombant désormais au temps libre : nous ne consacrerions plus au travail qu’une part réduite de notre temps de vie (moins de 15%) ; de plus en plus, l’essentiel des relations sociales et personnelles se développerait hors du monde du travail ; la vie sociale qui, hier encore, était dominée par les rythmes de travail, se structurerait progressivement autour des rythmes de temps libre, de loisirs, de vacances.

 

Le temps de travail, un temps résiduel ?

 

Un certain nombre d’éléments issus des enquêtes sur l’Emploi du temps des Français (I.N.S.E.E., 2002) amènent à mettre en doute ces analyses.

Certes, si l’on ne considère que les grandes masses et les moyennes pour l’ensemble de la population âgée de quinze ans et plus, le temps de travail est bien le quatrième temps de la vie quotidienne, derrière le temps physiologique, prédominant, qui occupe la moitié des vingt-quatre heures (12 h 40), le temps libre (4 h 31) et le temps domestique (3 h 26).

Mais ne considérer que les moyennes revient à ignorer non seulement l’allongement de la durée de vie, du temps de retraite ou de préretraite et la réduction de la population active (la part de la population en emploi à l’âge actif a diminué de 70,2% en 1974 à 61,5% en 1998)

Si l’on prend en compte ces différents paramètres, on constate que, durant ces dix dernières années, le temps de travail des actifs occupés, notamment à temps complet, a en fait augmenté, tandis que l’accroissement moyen du temps de loisir concernait d’abord en volume les chômeurs, dont la qualité de loisir est évidemment très différente de celle des actifs : « la progression du chômage est la première des causes du renversement du gradient socio-économique du temps libre » (Chenu, Herpin, 2002). Contrairement aux pronostics de Joffre Dumazedier, on n’assiste donc pas à une extension générale du temps de loisirs, mais à un déplacement de la charge de travail vers les catégories sociales les plus qualifiées.

 

L’effet des trente-cinq heures

 

La réduction de la durée légale hebdomadaire du travail, notamment avec la mise en œuvre de 1998 à 2002, des trente-cinq heures, a certes introduit de profonds bouleversements et exercé une influence indéniable sur le volume d’heures travaillées : à la fin de l’année 2001, la durée collective hebdomadaire de travail des salariés à temps complet travaillant dans des entreprises de plus de dix salariés était tombée à 35,7 heures, soit une réduction de trois heures par rapport à la fin de 1996. Mais si l’on considère l’ensemble de la population salariée du secteur concurrentiel (ou privé), la durée hebdomadaire du travail n’avait baissé que d’une heure et demie. On est d’autant plus loin de la « fin du travail » avec les trente-cinq heures que la mise en place de cette réforme, inachevée, a également accru la flexibilité du temps de travail à l’œuvre depuis les années 1980. Pour comprendre la place que le travail occupe dans la vie, il faut en effet prendre en considération non seulement la quantité d’heures travaillées mais aussi l’amplitude, la répartition et les rythmes de celles-ci.

 

Réduction ou flexibilité du temps de travail ?

 

D’après les enquêtes Conditions de travail de la D.A.R.E.S. (1991, 1998), les horaires des salariés étaient devenus plus irréguliers au cours des années 1980 car les entreprises recourraient à de nouvelles formes d’organisation du travail (adaptation de l’activité à la demande, normes de qualité, etc.), induisant ainsi une plus grande flexibilité du temps de travail. Au cours de la décennie suivante, la part des salariés travaillant selon des horaires irréguliers s’est stabilisée pour les cadres et les professions intermédiaires mais, en revanche, les horaires se sont dispersés et les journées se sont allongées dans les métiers du commerce, où le rythme de travail est fortement lié à la demande de la clientèle. Dans le même temps, la part des ouvriers qui travaillent selon des horaires alternants, caractérisant le travail posté (3x8) ou en équipes, a augmenté. Les entreprises, en effet, se sont réorganisées de manière à allonger la durée d’ouverture des services ou d’utilisation des équipements. Certaines enquêtes ont mis en évidence que plus de 30% des actifs occupés sont soumis à un rythme de travail cyclique ou irrégulier ; selon d’autres, la semaine standard, déterminée par le fait d’avoir des horaires réguliers diurnes et une durée du travail proche de la moyenne (2 jours de congé consécutifs et 5 jours de travail pleins d’au moins 5 heures, pas de travail de nuit, un horaire hebdomadaire entre 35 et 44 heures) ne concernerait plus que 32% des actifs occupés à temps plein. Le passage aux trente-cinq heures a été l’occasion pour de nombreuses entreprises de mettre en place la modulation du temps de travail, qui permet d’adapter les horaires à l’activité par l’alternance de périodes hautes et basses et se traduit par une grande flexibilité de l’aménagement du temps de travail. C’est donc plus à une emprise multiforme du travail sur la vie que l’on assiste plutôt qu’à son effacement ou à sa fin.

 

Ces faits permettent de comprendre qu’aujourd’hui encore, sans doute plus que jamais, le travail apparaisse comme la forme primordiale, originaire de l’aliénation.

Mais, de quel travail s’agit-il ?

 

Le salariat : le travail aliéné

 

Le débat qui oppose le travail au loisir comme deux pôles de l’activité des hommes - inconciliables, mais qu’il faudrait concilier - repose sur une illusion.

C’est Marx qui, dans le Capital, nous permet de dénoncer l’illusion : On ne saurait comprendre l’aliénation comme l’aliénation du travail humain, pour la simple raison que «  le travail humain » n’existe pas ; plus précisément parce que le concept – l’idée abstraite – de travail est le résultat de l’aliénation.

Comme Marx l’explique en faisant la genèse de la valeur, l’idée générale de travail n’a pu naître qu’avec l’économie marchande :

L’échange, « en mettant en présence sur un pied d’égalité les uns des autres les travaux les plus divers », fait abstraction de leurs différences, pour les réduire à un caractère commun :

« L’égalité de travaux qui diffèrent toto coelo ( complètement ) ne peut consister que dans une abstraction de leur inégalité réelle, que dans la réduction à leur caractère commun de dépense de force humaine, de travail humain en général.»

 

Les travaux , tous différents quant à leur utilité sociale, ayant pour fin, pour but ( historiquement dans leur « objet » même ) la satisfaction des besoins sociaux, « équivalents », dès le moment où ils sont exécutés en vue de l’échange, avec l’apparition et le développement de l’économie marchande .

Quant à la notion abstraite de « travail humain », - l’appréhension de l’activité de production comme travail - on peut dire qu’elle n’apparaît qu’à partir du moment où les développe le salariat comme la base même du système, autrement dit lorsque que la force « humaine » de travail devient une marchandise :

 «  L’abstraction la plus simple que l’économie politique place au premier rang et qui exprime un rapport très ancien, n’apparaît pourtant, sous cette forme abstraite qu’en tant que catégorie de la société la plus moderne. »

La réduction de tous les genres particuliers de travaux à l’abstraction du travail en général suppose le complet développement de la production marchande, la société capitaliste.

 

Le travail, en tant qu’activité de production mise en œuvre par un être humain singulier, est au centre de l’aliénation, parce que c’est bien l’activité et la vie des hommes réels, qui sont en cause ; mais l’aliénation est un processus historique par lequel les forces sociales de production et les rapports sociaux des hommes se détachent d’eux pour prendre la forme de puissances étrangères qui les dominent : c’est à travers la division du travail et les rapports de classe que l’activité des êtres humains singuliers,( et non seulement le travail qui est l’activité primordiale pour vivre), leur vie tout entière - qui cesse de leur appartenir, et leur individualité se trouvent «reifiées », transformées en « choses », en même temps que la puissance collective et les rapports sociaux de production deviennent indépendants des individus.

L’aliénation est la forme historique, transitoire, que prend l’objectivation de l’activité des hommes dans leurs produits, les conditions de leur vie et leurs rapports entre eux.

 

Dans ces conditions, la dichotomie du travail et du loisir peut-elle être réellement résolue sans que le salariat - forme d’exploitation qui est à la base du système - soit lui-même mis en cause ?

 

L’évolution actuelle annonce la fin du salariat

 

Nous suivrons l’analyse d’ Yves Clot développée dans son livre « Le Travail à l’épreuve du salariat ».

Le travail tend à être aujourd’hui à la fois moins au centre, « parce que la vie personnelle en fait la partie d’un tout qui le déborde largement », et plus au centre, parce qu’il doit offrir à chacun « le pouvoir de faire quelque chose de sa vie, d’être sujet de son histoire ».

La place croissante de la science (notamment de l’informatisation) dans l’appareil productif réduit le temps de travail nécessaire et change en même temps sa nature. Marx annonçait déjà que «  le temps de travail immédiat » ne pouvait plus rester «  dans son opposition abstraite au temps libre » (Grundrisse, tome 2,p.199-200) .

 

Tout se passe comme si l’évolution du capitalisme sapait la base de son développement, mettant en cause le travail salarié : 

Par le chômage chronique de masse, la précarisation sans rivage, la mise des droits sociaux et tant d’innovations destructrices, on peut dire, selon l’expression d’Yves Clot, que le capitalisme « achève » ( met fin) le salariat ; mais il faut ajouter qu’il l’achève « par le bas »..

Il est significatif que le capitalisme aujourd’hui ait remplacé le nom de l’allocation destinée aux chômeurs : le « R.M.I. » - revenu minimal d’insertion – qui suppose la possibilité de réinsérer tout individu dans le monde du travail (le monde des salariés) par un nouveau vocable : le « R.M.A. » - revenu minimum d’activité- ; Cela révèle que le capitalisme lui-même est conduit à reconnaître qu’il n’est plus en mesure de développer le travail salarié qui est la base même de son développement.

Il n’y a pas de signe plus manifeste de la crise du capitalisme que Marx a analysée :

 

Cette évolution du travail salarié est l’un des effets de la baisse tendancielle du taux de profit : L’augmentation des investissements en moyens de production (le capital constant) destinée à augmenter la productivité du travail pour accroître la masse du profit ( en produisant toujours plus) réduit immanquablement la part de la main d’œuvre dans la production ; et le capitalisme délocalise pour diminuer encore le coût de la main d’œuvre qu’on ne saurait éliminer du procès de la production.

Dès lors le chômage n’est plus seulement une armée de réserve de travailleurs pour faire pression sur les salaires ; c’est l’exclusion pure et simple du travail et donc du procès de production – et ainsi du système social lui-même ! – d’une partie : un quantum irréductible, de la population.

C’est ce qu’on appelle le chômage structurel.

 

Mais, ce qui est un signe flagrant de la faillite du système, est en même temps l’annonce du dépassement du salariat capitaliste : Aujourd’hui les richesses produites par les progrès de productivité (liés au progrès technique des révolutions industrielles), si elles n’étaient accaparées et métamorphosées en capital financier, permettraient de réduire le temps de travail bien au-dessous des 35 heures par semaine.

Là où le mouvement contradictoire du capitalisme conduit à la négation – « l’achèvement » - du travail salarié qui est la base de son développement, on voit naître au cœur même du système, un sens nouveau de l’activité et de la vie personnelle des individus, dont le travail serait une partie, un moment, qui conduirait vers le haut, jusqu’à l’épanouissement de soi.

 

Prophétie ou prévision ? Marx écrivait :

 

« Le développement des forces productives, du travail social est la tâche historique et la justification du capital. Mais ce faisant il crée précisément sans le savoir les conditions matérielles d'un mode de production supérieur.

En aspirant sans cesse à la forme universelle de la richesse. le capital pousse le travail au-delà des frontières de ses besoins naturels. Il crée ainsi les éléments matériels du développement de cette riche individualité qui est aussi polyvalente dans sa production que sa consommation et dont le travail apparaît par conséquent non plus comme travail mais comme plein développement de l'activité elle-même.. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La société française de 1945 à 1990

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

Ampleur de la transformation sociale et de l’espace quotidien de la vie des Français, plus bouleversé en 40 ans qu’en plusieurs siècles.

 

 

A Comparaison

 

1. En 1946

 

Etat de la France à peu près égal à la France d’avant-guerre :

-Dans les campagnes : domination de la polyculture, chevaux, charrues, villages centrés autour de l’église, la mairie, l’école.

-Les villes n’ont pas changé depuis les grands événements du second Empire, à l’exception de quelques immeubles de briques aux portes des grandes villes.

-Banlieues : celles décrites par Céline, enchevêtrement de voies ferrées, usines, et pavillons en meulière.

-automobiles encore rares, le cheval n’a pas disparu.

-Les appartements sont exigus et ne disposent pas du confort le plus élémentaire ; on lave le linge dans une grande lessiveuse galvanisée.

-Paysage industriel sans changement (voir les descriptions de Zola dans Germinal)

 

2. 40 ans après

-Espace rural dévoré par la ville et toutes ses tentacules.

-Confort domestique, les paysans sont trois fois moins nombreux et les gens des villes ont acheté des maisons de campagne. Les paysans sont devenus des entrepreneurs et sont intégrés à l’économie marchande.

-L’automobile a tout dévoré : autoroutes, parkings, pompes à essence marquent tous les paysages.

-Les grandes surfaces encerclent les villes.

-Les vieilles usines du XIX° siècle de briques et de poutrelles d’acier ont disparu, les terrils sont gazonnés, les mineurs ont disparu

-Grands ensembles multipliés pour loger les populations de l’exode rural et les immigrés.

-Les villes ont été à nouveau éventrées pour permettre le ruissellement automobile.

-Les vieilles dames ne sont plus en noir, mais participent aux « clubs de troisième âge ».

-La télévision est dans tous les foyers.

-Le latin n’est plus l’apanage de la culture de l’élite.

 

 

Conclusion

La nouvelle génération vit la plus radicale ouverture à la modernité que la société française est connue dans toute son histoire.

B. Les imaginaires sociaux :

 

La société française contemporaine est caractérisée par la confrontation d’imaginaires sociaux qui surplombent la diversité des partis politiques, des syndicats, des associations et des églises. 

-L’imaginaire gaulliste : Cet imaginaire occulte la société, ses différentes couches sociales derrière la Nation, qui est l’unité des citoyens français ; les organisations professionnelles (syndicats) sont considérées comme des féodalités.

La « participation » -intéressement des salariés- ( pourcentage - modeste - au bénéfice des entreprises mobilisée pendant cinq ans sur un fond d’épargne) est prônée comme le remède infaillible aux conflits sociaux. On affirme le rôle irremplaçable de l’Etat, seul capable de mobiliser l’énergie nationale.

-L’imaginaire marxiste représenté par les mouvements de gauche, en particulier le parti communiste, véhicule une toute autre image : d’un côté, le pouvoir et le patronat qui sont des alliés objectifs pour exploiter « les couches laborieuses », de l’autre, l’ensemble des travailleurs, au sein desquels la classe ouvrière est détentrice d’une mission historique. (L’avant-garde contre l’exploitation capitaliste).

-L’imaginaire pacifié : représenté par le livre de Valery Giscard D'Estaing : la démocratie française ; dans ce livre, VGE soutient que l’évolution de la société, loin de conduire au face à face de deux classes antagonistes, doit se traduire par l’expansion d’un immense groupe central porteur des valeurs modernes, et capable d’intégrer toutes les couches de la population.

Trois pôles : réformisme, apaisement des conflits, unification autour des classes moyennes.

-D’autres imaginaires sont véhiculés par certains sociologues :

1. Ceux qui décrivent la disparition progressive des inégalités régionales et sociales, au profit d’une société de masse modelée par les médias et nivelée par les loisirs.

2. D’autres au contraire qui voient un éclatement du corps social où s’opposeraient des minorités en exil : les immigrés, les chômeurs, ou les minorités culturelles.

 

C. Les étapes de l’évolution

 

-Du lendemain de la guerre à la fin des années 50, premier choc de la modernité entre l’ancien et le nouveau.

-Les années 60, temps des grandes mutations, croissance, consommation, bouleversement des mentalités.

-Depuis le milieu des années 70 : Société dans la crise ou crise de la société ?

 

D.Les chiffres

 

1. Croissance de la population

1946 : 40.3 millions

1990 : 56.6 millions

S’explique par

-Taux de natalité de 14 à 21 pour 1000

-Diminution de la mortalité de 15 à 9 pour 1000

Et mortalité infantile de 50 à 8 pour mille.

-Immigration 1.7 à 3.6. millions

 

Nota : Cet accroissement de la population se ralentit à partir du milieu des années 60, en raison notamment de la chute de la fécondité.

 

2. Répartition population rurale et urbaine en millions

-1931 

-Rurale 20

-urbaine 21

-1990

-Rurale 15

-Urbaine 41.

 

3. Répartition des couches sociales et population active

-Population active

-Croissance de la population active en 1954 19 millions, en 1990 25 millions.

-Multiplication des salariés en 1954 64% et en 1990 85% des actifs.

-Couches sociales en millions

-Paysans de 5 à 1.7 millions

-Petits commerçants de 1.2 à 0.8 millions

-Artisans de 0.75 à 0.57 millions.

-Cadres et employés

-Cadres supérieures et professions libérales de 0.5 à 1.8

-Cadres moyens de 1.1 à 3.2

-Employés de 2 à 4.5

-Stabilité relative du monde ouvrier

-Ouvriers de 6.5 à 8.2

-Structure de la population active en 1990

-Agriculture 1.25

-Industrie et travaux publics 6.7

-Services 15.2

 

 

 

* *

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre I : La société en 1950,

après 20 ans de lutte entre la tradition et la modernité

 

 

I. Un désarroi national et social

 

1. Le repli démographique et la xénophobie

 

-Le recensement en 1946 enregistre un nombre d’habitants identique à celui du début du siècle, soit environ 40 millions. Cette stagnation est due non seulement aux effets de la Première Guerre Mondiale (les « classes creuses » arrivent à l’age adulte dans les années 30), mais aussi au comportement malthusien qui s’étend dans les couches de la population. Le modèle dominant est la famille de 1 ou 2 enfants. Giraudoux dans son livre Pleins Pouvoirs (1939) attribue cette situation à la mentalité des Français, caractérisée par le goût de l’épargne, l’exaltation de la petite entreprise et de la petite propriété, enfin une culture qui privilégie le latin à la gymnastique

-« Le Français devient rare » écrit Giraudoux, dénonçant l’immigration étrangère échappée des ghettos polonais ou roumains qui « menace l’intégrité française ». En fait, en 1931, la France compte 3 millions d’immigrés, soit 7% de la population, composés essentiellement d’Italiens, de Polonais, d’Espagnols et de Belges. Se développe dès cette date un important mouvement xénophobe sur la base de la crise alimentée par les Ligues et les organisations nationalistes. De 1934 à 1935, les Polonais du Nord sont renvoyés dans leur pays ; en 1939, les combattants espagnols chassés par la victoire de Franco sont installés dans les camps du midi. De nombreuses mesures sont prises pour protéger le travail français (loi de 1932). La politique de Vichy (statut des Juifs d’octobre 1940), s’inscrit dans ce grand mouvement de xénophobie.

 

2. Les ankyloses rurales

 

Au XX° siècle, les paysans ont commencé à quitter les campagnes, la population active agricole qui représentait 42% de la population active en 1921, n’en représente plus que 36% en 1936.

-Pendant toute cette période on assiste à un renforcement de l’exploitation familiale. exploitation entre 10 et 30 hectares, aux dimensions d’une famille. A la veille de la guerre, le monde paysan reste peu intégré à la société industrielle, et la modernisation ne pénètre que faiblement dans les campagnes. On ne compte que 30 000 tracteurs. Les paysans produisent essentiellement pour leur propre consommation.

-La vie quotidienne paysanne est partagée entre les traditions et la modernité. La maison paysanne ne change guère dans sa structure. La vie est réglée par le calendrier agricole (moisson, vendange) et la vie religieuse.

 

 

 

 

3. La sclérose bourgeoise

 

Dans son livre A l’échelle humaine, Léon Blum décrit sévèrement la « bourgeoisie qui régie la France depuis un siècle et demi ».

-La bourgeoisie en France tient encore à la terre, à la boutique et à la rente, elle est crispée sur son patrimoine et elle vit le Front Populaire comme une atteinte à ses droits et une menace à sa supériorité légitime. Face à la crise, c’est le repli sur le marché colonial qui assure la survit des entreprises. Menacée, la bourgeoisie entend maintenir l’essentiel de son mode de vie et de ses pratiques culturelles : sa conception de la famille et de l’école

Si les bourses permettent l’ascension sociale de quelques fils du peuple les cloisons restent étanches entre l’enseignement primaire et un enseignement secondaire réservés aux enfants de la bourgeoisie. Les effectifs masculins des lycées n’ont pas progressés des années 1880 aux années 1930 (humanités au centre de la culture). Les classes moyennes ont intériorisé les valeurs dominantes qui imprègnent l’ensemble de la société.

-La classe dirigeante est difficile à saisir ou à masquer. Elle est assimilée par l’imaginaire collectif aux « 200 familles » (200 plus gros actionnaires de la Banque de France qui succède au Mur de l’argent de l’époque du Cartel des gauches).

-le pouvoir politique est partagé entre les professions libérales, les boursiers de l’Etat, les professeurs, représentant davantage la petite et moyenne bourgeoisie que la grande.

 

 

Conclusion

Tout se passe comme si la société française était « bloquée » quand l’explosion économique va faire craquer le corps social.

 

 

II. La conjoncture de la libération

 

 

1. Rationnement, pénurie et misère.

 

-Effets de la guerre : 600 000 morts, 74 départements touchés, désorganisation des transports, pénurie des produits de consommation entraînant la hausse des prix.

 

2. Préambule du changement

 

-Discours du Général De Gaulle du 12 septembre 1944 : « favoriser l’esprit d’entreprise en faisant en sorte que l’intérêt particulier soit toujours contraint de céder à l’intérêt général et que les grandes sources de la richesse commune soit exploitées non pour le profit de quelques uns, mais pour l’avantage de tous ».

-Ordonnance du 4 octobre 1945 : institution de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gains.

-Préambule de la constitution de 1946 :

Droit pour chacun de travailler et d’obtenir un emploi

Droit de défendre ses intérêts par l’action syndicale en adhérent au syndicat de son choix

Droit de grève dans le cadre des lois qui le réglemente,

Elections de délégués du personnel dans les entreprises pour participer à la détermination des conditions de travail et à la gestion des entreprises.

La nation garantit à tous, notamment à l’enfant à la mère et au vieux travailleur la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.

Conclusion : Une véritable rupture dans le langage dominant de la société : exaltation du « travailleur » (pour la première fois employé dans une constitution), producteur essentiel des richesses et dévalorisant aux yeux de l’opinion le rôle de la bourgeoisie (« les patrons au piquet »).

 

La société de la III° République sert de contre modèle à la société que l’on entend construire : D’Alfred Sauvy, sociologue, de René Dumont à Pierre Mendès-France, l’accord est unanime pour condamner une société malthusienne et affirmer la volonté de se donner les moyens du progrès et de l’expansion.

-Mesures :

Rappel des grandes décisions prises de 1944 à 1946.

Nationalisations qui étendent le service public.

Mise en place d’un plan permettant à l’Etat la prise en main de la reconstruction économique

Institution de la sécurité sociale et des allocations familiales.

Création des comités d’entreprises élus par les salariés.

 

L’important est que le corps social en 1945 fait sienne ces thèmes de la modernisation ses thèmes qui lui paraissent riches de la modernité. Le journal Combat, journal de Raymond Aron, Bourdet et Camus, De la Résistance à la Révolution : mais, quelle révolution ? Que vaut ce consensus confronté aux évolutions de la société française.

 

 

III. Les Forces du Changement social

 

A. Le monde ouvrier

 

« Mes camarades », c’est le premier mot employé par Pierre Lefaucheux, président de la Régie Renault nationalisée, à ses ouvriers. Epoque du grand prestige de Maurice Thorez, dont la biographie s’intitule de façon significative « fils du peuple. »

 

1. La constitution de la classe ouvrière

 

-Historique

Au XIX° siècle, depuis les débuts de la grande industrie, les ouvriers ne se sont que très lentement dégagés des structures artisanales, rurales ou urbaines. Non seulement pour des raisons de développement économique, mais aussi parce que l’usine symbolisait pour les élites traditionnelles dominantes le risque de subversion sociale, et parce que les travailleurs de la terre et de l’atelier la considéraient comme un « bagne ». La III° République s’est appuyé sur le monde rural et celui des classes moyennes auxquelles étaient promises les apparences de la vie bourgeoise, mais le monde ouvrier était exclu de la « synthèse républicaine ». Les mouvements sociaux de la Belle Epoque, traduisent l’enfermement du monde ouvrier.

-Bastions d’ouvriers

Cependant, le monde ouvrier se constitue et s’enracine régionalement dans des bastions industriels tels que le Nord et le Pas-de-Calais, domaine de la mine et du textile, la Lorraine, minière et sidérurgique, la banlieue parisienne, et ses grandes usines de métallurgie et de transformation (automobiles), la région lyonnaise, pôle chimique, les grands ports, avec toutes les activités de manutention et les industries alimentaires de transformation des produits importés.

-L’organisation scientifique du travail

Une partie du patronat comprenant l’importance des innovations technologiques et de l’organisation scientifique du travail, concourt d’une certaine façon à la constitution de la classe ouvrière, en privilégiant les Ouvriers Spécialisés au détriment des Ouvriers Qualifié (ou professionnels) et en faisant appel à la main d’œuvre immigrée. (En 1940, les étrangers représentent près de la moitié des mineurs dans le Pas-De-Calais et quasi-totalité en Lorraine.)

 

Au lendemain de la guerre, les ouvriers représentent quelques 6 millions de travailleurs, soit un tiers de la population active. En 1954, ils n’ont progressé que de 500 000 personnes depuis 1931, mais les grands bastions industriels se sont constitués, et en même temps les figures emblématiques de la classe ouvrières : le mineur, le métallo, le docker, l’ouvrière du textile, le cheminot.

 

2. La lutte sociale renforce la cohésion ouvrière

 

La cohésion ouvrière est fondée, d’une part, sur les structures industrielles, et d’autre part sur l’hérédité professionnelle qui assure son homogénéité (Les trois-quarts des fils de mineur deviennent mineurs) Mais il est un troisième facteur pour expliquer l’homogénéisation du monde ouvrier et son importance dans l’imaginaire social : c’est la lutte sociale et politique.

-Ce sont les grèves de 1936, puis la grève générale de novembre 1938, pour défendre les acquis du Front Populaire contre la répression patronale. La participation ouvrière aux luttes de la Résistance, et enfin les grandes grèves de l’automne 47 et 48. C’est au cours de ces luttes que le syndicalisme français devient un syndicalisme de masse en même temps que le parti communiste se transforme en un grand mouvement représentant la classe ouvrière.

La CGT réunifiée en 1936 atteint 4 millions d’adhérents et près de 5 millions en 1946.

Le PCF qui ne comptait que 40 000 militants en 1934 et 300 000 en 1937, atteint 819 000 en 1946.

 

Les organisations représentatives du monde ouvrier donnent une image de la classe qui la conforte dans son existence. Le combat social ainsi exalté permet au monde ouvrier d’avoir désormais une histoire. Les victoires des luttes ouvrières : conquête sociale de 1936, grandes lois de la libération confortent l’audience des organisations ouvrières, et renforcent son unité par son attachement aux conquêtes sociales.

 

3. Les grèves de 1947 et 1948

 

En mai 1947, les ministres communistes sont éliminés du gouvernement Ramadier, mais le monde ouvrier, fort de son histoire, a dorénavant une identité ; cependant, les événements de 1948 provoquent la scission syndicale ; deux syndicats deviennent dominants : la CGT-FO, de Léon Jouhaux, auxquels appartiennent majoritairement des fonctionnaires et des employés, et la CGT de Benoît Frachon qui renforce son implantation ouvrière. Les conflits sociaux de 1947-1948, s’inscrivent dans un contexte difficile : inflation, difficulté d’approvisionnement, marché noir, problèmes de logement, faiblesse des salaires. Mais ils traduisent en même temps la volonté de la classe ouvrière et de ses organisations d’affirmer son identité, malgré le tournant politique qu’est l’éviction des communistes. Ainsi s’explique la violence des mouvements sociaux.

Exemple des mouvements sociaux à Marseille. Au point de départ, difficulté sociale (vie chère), déclenchement par une hausse des tarifs de tramway, en second lieu, facteur politique : le maire communiste est battu aux élections locales par le candidat du RPF, créé récemment par le Général De Gaulle. Le troisième facteur, c’est la combativité ouvrière, liée à l’implantation importante de la CGT et du PCF dans les entreprises marseillaises, notamment dans les Aciéries du Nord. Résultat : violentes manifestations : tramways renversés, mise à sac des lieux de plaisirs, -boite de nuit, etc.-, les CRS accusés pour leur attitude complaisante envers les manifestants par le ministre de l’intérieur, Edouard Depreux, seront expurgés des policiers proches du PCF.

Deuxième exemple : grève des houillère du Nord : toute aussi violente (sabotage de l’express Paris-Tourcoing 21 morts), réprimées par le socialiste Jules Moch qui envoie les CRS et fait appel aux réservistes.

 

Conclusion : La première conséquence de ce mouvement est la scission syndicale, mais c’est principalement la dénonciation par la CGT et le PCF de l’Etat considéré comme l’instrument des trusts et de l’impérialisme américains et l’ennemi de la classe ouvrière.

 

 

4. Niveau, mode de vie et culture du monde ouvrier

 

a. Niveau et mode de vie.

-Conditions de vie encore très dure (vie chère à cause de l’inflation) : course entre les prix et les salaires.

-Il faut noter qu’au milieu des années 50, les dépenses d’alimentation représentent plus de 50% des dépenses ouvrières.

-Les conditions de logement sont très difficiles : entassement des familles à trois personnes par pièce dans les logements.

-Apparition des sans-logis que dénonce l’appel de l’abbé Pierre dans l’hiver 1954. Bidonvilles de Nanterre et de la Seine-Saint-Denis. Ce n’est qu’à la fin des années 50 que la construction des grands ensembles commencera à modifier la situation.

 

b. Culture ouvrière

L’identification du groupe se réalise au travers de valeurs culturelles nouvelles qui prennent leur source dans la lutte des masses, comme le souligne en juin 1947 Laurent Casanova membre du comité central du PCF. Trois exemples :

-Le mineur de fond célébré par les poèmes d’Aragon et le metallo de Billancourt.

-André Stil, journaliste de l’Humanité, publie un recueil de nouvelles : Le mot mineur, camarades.

-Le film de Louis Daquin Le point du jour, magnifie la grève des mineurs de 1948.

-Exposition en 1951 par le peintre Fougeron : Le pays des mines.

 

 

B. La croissance démographique, le Baby boom

 

Le retournement démographique est daté par tous les démographes au milieu des années 60. Le Général De Gaulle obtient « les 12 millions de beaux bébés » qu’il réclamait lors de la Libération.

Sans parler des causes pour l’instant, il faut souligner :

-L’ampleur du phénomène : taux de natalité : 15% en 1936, 20% entre 1946 et 1958. accroissement de la population : 40,1 millions en 1946, 45 millions à la fin des années 50.

-La première conséquence : C’est l’augmentation du nombre de jeunes dans l’ensemble de la population. Les moins de 20 ans = 29% en 1936, 33% en 1962. L’effet de cette augmentation du nombre de jeunes alors que la population active n’augmente pas, c’est la charge de plus en plus lourde que la société doit supporter. C’est aussi une véritable mutation nécessaire de l’enseignement, primaire d’abord, secondaire ensuite, à cause de l’afflux d’enfants.

 

 

C. Les campagnes en mouvement

 

1. Les chiffres

L’exode rural, qui a commencé en 1936 s’accélère au lendemain de la guerre, de 1946 à 1954, le monde rural perd un million d’actifs. Cet exode est d’abord celui des salariés agricoles qui cherchent des emplois industriels mieux rémunérés, puis des jeunes filles.

Le fait important c’est la pénétration de la technique dans le monde rural, qui est initiée par les discours des dirigeants. René Dumont en 1946, dans Le problème agricole français milite pour « une agriculture instruite, équipée, modernisée et productive. » Le premier plan Monnet met l’accent sur les investissements nécessaires pour la mécanisation de l’agriculture - qui bénéficie des crédits de plan Marshall.

 

2. Les progrès techniques, la mécanisation de l’agriculture

Les campagnes se motorisent, 1950 : 137 000 tracteurs, 1958 : 558 000, 1965 : 1 million. Ce moment est décisif : c’est la voie ouverte à une intégration de l’agriculture dans l’économie nationale : consommation de produits industriels, autosuffisance de la production, avec même un excédent de surplus pour l’exportation.

 

3. Une nouvelle génération

 

Cette mutation est l’œuvre d’une nouvelle génération agissante, représentée par Michel Debatisse, auteur d’un livre intitulé : La révolution silencieuse, le combat des paysans, invitant le monde agricole à entrer dans la modernité.

Cette génération a été formée, par la Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC) qui se réclame de l’idéologie des aumôniers jésuites et du personnalisme d’Emmanuel Mounier. En 1956, Michel Debatisse crée le CNJA (Comité National des Jeunes Agriculteurs) affilié au syndicat qui regroupe les exploitants agricoles : FNSEA (Fédération Nationale des Exploitants Agricoles)

 

4. Mais…

Mais malgré ces efforts, les petits exploitants ne peuvent toujours pas faire face aux investissements indispensables. Pour la première fois en 1953, dans le midi Languedocien, puis dans le centre, à l’appel du Comité de Guéret les tracteurs barrent les routes. Entre 60 et 62, on assistera de nouveau à des manifestations de grande envergure. La FNSEA deviendra, dans la période suivante l’interlocuteur des gouvernements successifs, introduisant le monde paysan dans la vie politique.

 

 

D. Changement et résistance

 

1. La France change :

 

a. Les Français consomment plus qu’ils n’épargnent

-L’industrie automobile (qui s’intéressait aux classes les plus aisées), pour la première fois, met en œuvre une production de masse qui parie sur la consommation populaire. 1946 : La régie Renault présente la 4 chevaux. Citroën suit le même chemin avec la production de la 2 chevaux. L’industrie automobile, symbole de l’individualisme d’une élite, engage la France dans la voie américaine d’une consommation plus populaire. Mais le changement est modeste : seulement 7% des ouvriers achètent des voitures neuves.

-Dans l’habillement, les traditions commencent à céder la place aux nouveautés : En 1949 apparaît le « prêt-à-porter ».

-En 1957, ouverture du premier salon des Arts ménagers.

-La place des loisirs augmente, avec la troisième semaine de congés payés instituée en 1956 par le gouvernement de Guy Mollet.

-Quelques modifications des modes vie : 1954 : lancement du Tiercé, créé par les sociétés de Course. Le microsillon remplace les 78 tours, on s’émerveille sur les premiers stylos à bille.

 

b. Les classes moyennes se transforment, c’est alors que l’on voit apparaître, au lieu de l’ingénieur en blouse blanche, le profil du cadre. La publicité remplace la réclame. On emprunte aux Etats-Unis les mots de marketing et de management.

 

c. Changement dans le monde politique : l’Ecole Nationale d’Administration forme des techniciens au service de l’Etat ; et l’on voit apparaître les générations d’énarques qui vont constituer le personnel politique de la V° République. (exemple Valery Giscard D'Estaing polytechnicien et énarque)

 

 

2. Limite et résistance aux changements

 

Le changement qui bouleverse la société française ne transforme ni le décor, ni les mentalités. A titre d’exemple, Antoine Pinay nommé président du Conseil en 1952, l’un des hommes les plus populaire de la IV° République, est un petit industriel de province, affichant un bon sens paysan, un refus du parisianisme et de l’intellectualisme ; significativement, il appartient au parti des Indépendants et paysans.

 

Nota : Face à la modernité, sur la base d’un même diagnostic, on peut opposer deux attitudes : le poujadisme et le mendésisme.

 

-Le mouvement poujadiste :

Né en 1953, dans le Lot avec la création de l’Union de défense des commerçants et artisans, initié et dirigé par Pierre Poujade, le mouvement poujadiste symbolise la défense de la petite entreprise indépendante, des petits commerçants, menacés par l’expansion et la croissance et étouffés par la pression fiscale ; progressant en 1954 et 1956, il évolue très vite vers un populisme qui prône l’antiparlementarisme et la xénophobie ; Jean Marie Le Pen est élu député comme candidat de ce mouvement.

 

-Pierre Mendès France et les mendésistes

Ils déplorent le vieillissement de l’économie française, et veulent moderniser la France en libérant les échanges et en permettant aux travailleurs de s’adapter rapidement à de nouveaux métiers. Ils représentent la nouvelle classe moyenne salariée et la néo-bourgeoisie éclairée des cadres et des techniciens dont l’ascension sociale repose maintenant sur l’Ecole.

 

 

 

Chapitre II : Les grandes mutations des années 60

 

 

Introduction

On peut situer l’âge d’or de la croissance française à partir de 1958. Cette période est marquée par un phénomène exceptionnel de croissance économique qui fait franchir à la France un véritable saut qualitatif et l’installe définitivement après l’ère de la pénurie puis celle de la reconstruction et des déséquilibres engendrés par les guerres coloniales dans une situation d’expansion continue. Ce tournant dans la continuité de l’histoire nationale provoquée par la croissance, marque les années 1958-1974. Les effets sur la société, sur les modes de vie, les comportements des individus, et les valeurs auxquelles ils adhèrent sont à tel point marquants que la France du début des années 1970 apparaît plus éloignée que celle de 1945 que celle-ci pouvait l’être du XIXe siècle.

 

-Préparées par la IV République, ces mutations décisives s’effectuent sous l’autorité du Général De Gaulle jusqu’en 1969, puis sous la présidence de Georges Pompidou de 1969 à 1974. L’ambition du Général De Gaulle est celle-la même qui animait Pierre Mendès France : moderniser la France. mais, le Général sait parer l’ambition économique des couleurs du patriotisme. La France doit être une France économiquement compétitive, mais il faut pour cela lutter contre les rigidités et les privilèges comme le souligne la commission Ruef-Armand ; dès 1959, le plan Jeanneney prévoit l’abandon des secteurs de production non rentables, et après le ministre de l’agriculture opte pour une agriculture productiviste, intégrée à l’économie nationale.

-Georges Pompidou accentue le choix industriel : la France doit devenir un véritable pays industriel. Politique qui s’accompagne du lancement de grands projets tel que le complexe sidérurgique de Fos-sur-Mer, construit à partir des années 70. Cette politique entraîne

*une très rapide croissance économique et la constitution de grands groupes industriels

*Une élévation générale du niveau de vie des Français et une consommation de masse.

* une mutation des cadres de vie par l’exode des campagnes et l’urbanisation.

*une mutation profonde du travail des Français et de leur vie quotidienne.

-Cependant dans les 15 années qui vont de la guerre d’Algérie à la crise, les événements de mai 1968 marquent une césure ; elles révèlent un divorce entre la modernité économique et le système qu’elle a mis en place, et les aspirations des Français, notamment de la jeunesse et de la classes ouvrière ;

-Après la crise de 1968, l’élan modernisateur se confirme. Alors que, politiquement, la réaction est conservatrice (chambre introuvable avec une majorité absolue). L’Etat se donne dorénavant comme tâche d’aider le corps social à supporter le choc de la modernisation économique (capitaliste). En 1969, Jacques Chaban Delmas, nommé premier ministre, promet aux Français une « nouvelle société » ; de 1969 au milieu des années 70, l’Etat multiplie les tentatives pour faire aboutir les grandes négociations contractuelles entre le patronat et les syndicats.

La décennie 1959-1970 qui représente la période de la République gaullienne est celle au cours de laquelle le PIB a connu sa croissance la plus spectaculaire. Cette croissance se prolongera jusqu’en 1974 avec des taux d’environ 7%. Cette croissance s’inscrit dans un phénomène de conjoncture mondiale que la France n’a pas crée, mais dont elle a profité.

 

 

A. La politique gaullienne

 

1. Le rôle de l’Etat

 

Les grandes réformes de structure de la Libération ont mis entre les mains de l’Etat par les nationalisations des leviers qui lui permettent de jouer un rôle majeur dans la vie économique et financière : source d’énergie, moyens de transports collectifs, appareils de crédit avec la Banque de France.

La planification fait de la puissance publique le principal maître d’œuvre de la modernisation économique et de l’équipement national : on crée un ministère du Plan dont Jean Monnet prend la tête.

Un plan de croissance (1962-1965) est élaboré prévoyant une croissance annuelle de 5,5% du PIB, et insiste sur la nécessité de réserver aux équipements collectifs une importante part des ressources pour préparer la France à affronter la concurrence internationale.

 

2. Le temps de la modernité s’accompagne d’une ouverture de la France sur le monde.

 

Le choix européen s’affirme dans les années 50, le traité de Rome instituant la CEE sera signé en 1957. L’Europe remplace les colonies comme partenaire commercial privilégié de la France. Cette substitution pose de réels problèmes car il ne s’agit plus d’un marché à peu près réservé où la France se trouvait en position de quasi-monopole ; cette ouverture exige un dynamisme commercial pour faire face à un marché hautement concurrentiel.

L’Etat s’ouvre vers l’extérieur, abandonne le protectionnisme frileux de l’ancienne économie française, accepte les concurrences.

 

3. La politique en faveur des entreprises

 

La logique européenne et l’effondrement de l’Empire combinent leurs effets pour rendre inéluctable le choix de la concurrence que font les milieux industriels et financiers les plus dynamiques, avec l’aide de l’Etat qui fait de la compétition économique l’un des objectifs de sa politique. L’Etat cherche à substituer aux investissements publics des investissements privés par l’allègement des charges fiscales des entreprises. La priorité va au secteur industriel capable d’affronter la concurrence internationale.

 

Conclusion

L’internationalisation de l’économie française débouche à la fois sur une remarquable accélération des échanges extérieurs et sur une restructuration géographique de ceux-ci. Les exportations qui représentaient en 1958 moins de 10% du PNB de la France dépassent 17% en 1970. Le maître mot de la politique gouvernementale (qui doit restructurer l’économie) sera de favoriser désormais la constitution de groupes de dimension internationale à capitaux français, pouvant investir, innover, être dynamiques et compétitifs au niveau international.

 

4. Le processus de la croissance:

La concentration des entreprises et l'intervention du capital financier.

 

L’agent essentiel du dynamisme espéré est l’entreprise dont on attend un esprit de conquête et la réalisation de profits qui sont sa raison d’être et lui fourniront les moyens de l’innovation technique, de la modernité de la gestion et une nouvelle agressivité commerciale.

Pour atteindre cet objectif, on compte sur la concentration des entreprises, facteur essentiel d’amélioration de la productivité. L’Etat favorise à partir de 1959 cette concentration des entreprises, en prenant des dispositions pour faciliter sa mise en œuvre. La fin des années 1960, voit une rapide accélération des fusions : dans l’industrie, elles atteignent dans les années 1966-1972 un nombre moyen annuel de 136.

Tous les secteurs de l’économie sont touchés par le processus de concentration, inséparable de la modernisation des entreprises, dans le secteur bancaire, les fusions s’opèrent.

- C’est le secteur industriel qui constitue le lieu privilégié du mouvement de concentration. Les nécessités internationales, l’intérêt des dirigeants d’entreprise et l’action de l’Etat se combinent pour aboutir à l’absorption des entreprises de taille moyenne par des firmes géantes, à la disparition des petites entreprises mal adaptées à la concurrence : l’industrie chimique est entre les mains de trois géants internationaux (Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain) ; l’automobile est dominée à la fin des années 1960 par quatre groupes (Renault, Citroën, Peugeot, Simca).

 

- Le secteur de la distribution est aussi touché. C’est le résultat de l’évolution économique et des transformations de la vie quotidienne sous le double effet de l’urbanisation galopante et du développement de l’automobile qui fait naître les supermarchés et hypermarchés. En 1969, la banlieue parisienne compte 253 établissements de ce type... Cette modernisation est le résultat d’une croissance des profits des entreprises de 1969 à 1972 et d’une augmentation des revenus bruts des ménages de plus de 10% en moyenne annuelle de 1959 à 1973.

 

La décennie gaullienne représente donc une période de spectaculaire bouleversement des structures économiques de la France sous l’effet de la croissance et de l’ouverture internationale qui l’accompagne. « La France des petits » cesse d’être le modèle valorisé par la propagande officielle et l’opinion, au profit de notions neuves empruntées au vocabulaire américain de l’expansion économique. La croissance de la production, la rentabilité, l’investissement, la productivité, la compétitivité deviennent des thèmes majeurs qui font prime dans le discours dominant.

.

5. Une conséquence : la grande expansion du secteur tertiaire

 

Le développement du secteur et des emplois tertiaires est très rapide pendant les années soixante. En France, le secteur tertiaire occupe 34% de la population active en 1946 et plus de 50% à la fin des années soixante-dix. Les trois-quarts des emplois nouveaux des années soixante ont été crées dans ce secteur et surtout dans la banque, les institutions financières et les assurances qui connaissent la plus grande progression (+158 % )de 1954 à 1975, puis les télécommunications, les administrations publiques, les commerces et transports.

C’est dans le secteur tertiaire que s’emploie plus de 66% des femmes qui travaillent. Le secteur tertiaire participe à la fin des années soixante pour plus de 50% de la production nationale.

 

 

B. Les mutations sociales

ou : «  Le bouleversement des structures socioprofessionnelles. »

 

Voici l’évolution de ces catégories de 1954 à 1975 :

- Les agriculteurs exploitants représentent 20,7 % de la population active en 1954 ils ne sont plus que 7,7 % en 1975.

- Les salariés agricoles sont de 6 % en 1954, ils ne sont plus que 1,8 % en 1975.

- Les patrons (des entreprises en nom propre, individuels) de l'industrie et du commerce passe de 12 % en 1954 à 8,7 % en 1975.

- Les cadres supérieurs et professions libérales qui représentaient 2,9 % de la population active en 1954 représentent 6,3 %en 1975.

- Les cadres moyens qui représentaient 5,8 % représentent 13,8 %.

- Les employés qui représentaient 13,8 % , représentent 16,6 %

- Les ouvriers qui représentaient 33,8 % représentent 37 %.

 

C'est l'explosion de la catégorie des cadres supérieurs qui sont multipliés par deux, des cadres moyens par plus de deux, des employés par plus de la moitié,.

 

Il faut compléter ces données statistiques par les observations suivantes :

1- Le nombre des ouvriers, s’il demeure très important, stagne en pourcentage de la population active de 1962 à 1975.

 

2- Les vaincus de la croissance sont les paysans et petits patrons. En 1954 ils forment encore 26,7 % de la population active et en 1975 ils ne représentent que 10% de la population active.

 

3- « Entre la bourgeoisie et la classe ouvrière, qui subissent l'une et l'autre de profondes transformations, s'interpose un ensemble hétérogène de groupes intermédiaires qu'on rassemble par commodité sous le nom de classe moyenne salariée qui comprend les catégories en très rapide expansion des cadres supérieurs et professions libérales, mais surtout des cadres moyens et des employés. »

C’est sans doute la mutation sociale la plus importante : Si la « classe ouvrière » constitue encore le noyau dur des salariés, qu’on appelait significativement les « travailleurs », de fait le travail salarié, qui constitue la base de l’économie capitaliste, s’étend à l’immense majorité de la population. Là où les producteurs indépendants : paysans, petits entrepreneurs, commerçants, ne subissaient qu’indirectement les lois du système, leur disparition au profit d’une immense population de catégories salariées signifie l’extension considérable du périmètre de l’exploitation directe de cette majorité par le capitalisme.

 

 

C. La « société de consommation »

 

Cette exceptionnelle croissance économique entraîne une élévation générale du niveau de vie des français. Elle marque l’entrée décisive de la société française dans l’ère des loisirs et de la consommation de masse. 

 

De la consommation alimentaire aux biens d’équipement

 

C’est en 1963 que s’ouvre à Sainte-Geneviève-des-Bois le premier hypermarché Carrefour. Le cadi des grandes surfaces est le symbole de l’époque, permettant des transporter les produits du magasin au parking, et devient une silhouette familière des banlieues.

Les Français consomment dans les années 1960 : la part des revenus consacrée aux dépenses d’alimentation diminue : de 34% à 27 %, alors s’accroissent les dépenses de logement, de santé et de loisirs. L’Institut National de la Consommation est créé en 1966 ; et, selon le titre du livre de Galbraith (traduit en 1961), la France entre dans L’Ere de l’opulence.

La consommation des ménages s’accroît en moyenne de 4,5% par an entre 1959 et 1973, entretenant un vif courant d’expansion dans quatre secteurs privilégies : la santé, le logement ; les transports et les loisirs.

La croissance française est très largement fille de la consommation.

 

Biens d’équipement

 

De 1960 à 1975 le revenu national disponible par habitant a presque doublé. La très rapide croissance de la production permet une multiplication des produits disponibles ; l’indicateur le plus concret de cette évolution est la diffusion des quatre produits symboles de ce nouvel âge : le réfrigérateur, l’automobile, la télévision et la machine à laver le linge. En 1965 plus de la moitié des ménages français disposent d’un réfrigérateur, en 1966 d’une automobile et de la télévision, en 1968 d’une machine à laver le linge. Encore au début des années 1960 ces biens de consommation sont répartis de manière très inégalitaire, mais progressivement leur diffusion s’étend à l’ensemble de la société. En 1970 plus de 70% des ménages de contremaîtres et d’ouvriers qualifiés disposent d’une automobile. De 1960 à 1975, le nombre des véhicules automobiles en circulation passe de 5 à 15 millions. Le premier tronçon de l’autoroute du Sud est inauguré en 1960 et Georges Pompidou célèbre son achèvement au début des années 1970.

Mais c’est surtout la diffusion de la télévision qui marque cette période : en 1968 il y a moins d’un million de récepteurs, en 1973 il y en a 11 millions ; la télévision pénètre dans tous les foyers.

 

Les logements

 

Les logements neufs se multiplient ; ils disposent dorénavant du confort; rappelons qu’en 1954, 17,5% des logements seulement étaient équipés d’une salle de bains ou de douches : le pourcentage atteint 70% en 1975.

Entre 1954-55 et la fin des années 60, la période est celle de la construction des grands ensembles ; il s’agit de construire vite et au meilleur coût pour faire face à la pénurie de logements. Ce sont des cités comme la cité des « 4 000 » à la Courneuve qui comporte plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de logements (en l’occurrence 4 000).

Entre 1969 et 1972, à la place d’un village de mille habitants, on construit à Grigny les 4 900 logements de « La Grande Borne ». Au total, 190 ensembles de plus de 1000 logements. Ouvriers et employés constituent 70% des habitants.

La critique de ces grands ensembles deviendra un lieu commun à partir des années 70.

Au début des années 50, on ne construit encore en France que 5 000 logements par an ; c’est à partir des années 60 que le rythme s’accélère jusqu’à 400 000 logements par an à partir de 1965.

 

Les loisirs

 

Un sociologue publie en 1962 un essai intitulé « Vers une civilisation des loisirs ». De cette époque date l’épanouissement du club Méditerranée, ». la multiplication des résidences secondaires et la pratique du week-end. La question des loisirs est un chapitre important de la société de consommation.

 

 

D. Le bouleversement des cadres de vie

 

1. L’aménagement du territoire

 

a. Les mouvements de population

La première conséquence de l’industrialisation ce sont de grands mouvements de population. Ce sont d’abord les mouvements de l’exode rural, puis l’accélération de l’immigration (voir plus haut), puis le retour des rapatriés d’Afrique du Nord qui sont plus d’un million.

Ces mouvements de population ont pour résultat la croissance rapide des villes. Entre les recensement de 1954 et 1975, la population des villes de plus de 5000 habitants s’accroît de treize millions de personnes.

Le gouvernement prend en charge l’aménagement du territoire par la création de la DATAR (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) qio doit coordonner les différentes activités de l’Etat dans le domaine des implantations industrielles, des équipements collectifs, du logement et de l’urbanisme.

Dans un premier temps, c’est la création des communautés urbaines regroupant plusieurs communes (Bordeaux, Lyon, Lille)

A partir de 1965, c’est la création des « villes nouvelles ».

Au début des années 75, l’effort porte sur les villes moyennes ; pour palier la pénurie de logement, se mettent en place des sociétés d’HLM qui sont financées par des avances de la Caisse des dépôts et consignations (une banque de l’Etat).

 

b. La politique de l’Etat

 

-Dès 1958 sont crées des ZUP (Zones à urbaniser en priorité), permettant de prévoir la mise en place des équipements (transports, écoles, …) nécessaires à l’implantation de logements neufs. Enfin, à partir des années 60, on lance la rénovation des vieux centres urbains tels que le déplacement des Halles transférées de Paris à Rungis, permettant la construction du centre Beaubourg, ou encore le centre de la Part-Dieu à Lyon, le centre de Mériadec à Bordeaux. Ce réaménagement des centres-villes a pour conséquence l’évolution de la population des centres-villes : entre 1962 et 1975, tous les arrondissements de Paris ont perdu leur population ouvrière au profit des cadres supérieurs et des profession libérales. (processus de gentrification).

 

E. Les crises sociales

 

Les mutations de l’appareil productif, les bouleversements rapides des conditions de vie et travail, les déplacements de population témoignant de l’ampleur des évolutions entraînent des conflits sociaux.

 

1. Les colères rurales

 

Même si, dès 1953 à l’appel du comité de Guéret les paysans barrent les routes, les grandes manifestations du monde rural se placent au début des années 60 : (En juin 1961, occupation de la préfecture de Morlaix et extension des troubles à toute la Bretagne.) Les moyens consistent à barrer les routes pour alerter l’opinion et à attaquer les sous préfectures pour alerter l’Etat. L’attaque des bâtiments publics (choux-fleurs déversés, lait répandu dans les cours des sous-préfectures) révèle une mutation du monde rural qui reconnaît l’Etat comme son interlocuteur. Les paysans manifestent ainsi la prise de conscience du rôle qu’ils jouent dans l’économie nationale en mobilisant la nation et en prenant l’Etat à parti.

 

2. Les mineurs en grève

 

Ces mouvements sont le résultat de la politique de modernité qui procède à la liquidation progressive des secteurs industriels non rentables, tel que le charbon, l’acier, puis le textile. La France de l’automobile et du pétrole dit adieu à la France du charbon. Deux exemples :

-Decazeville : le plan Jeanneney de 1959 prévoyait la réduction de la production de charbon et la fermeture des puits de Decazeville promettant des mesures de reconversion pour les mineurs. Dès les premiers licenciements, 800 mineurs se mettent en grève, réclamant la retraite à 55 ans, des avantages médicaux et sociaux, et un nouvel emploi sans changer de région. Le mouvement est soutenu non seulement dans la région, mais aussi par l’opinion publique, pour laquelle les « gueules noires » restent symboliques du monde ouvrier et de l’effort de redressement entrepris au lendemain de la guerre.

-La grève des mineurs de 1963 dans le bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

 

Ces grèves témoignent de l’ébranlement que connaît l’ancienne classe ouvrière, attaquée dans ses plus importants bastions.

 

3. Les événements de mai 1968

 

Voir cours. H. de France 1945-1971.

Le Général De Gaulle qui s’estime désavoué par le rejet du référendum qu’il a lancé sur la question de la décentralisation quitte le pouvoir après le scrutin d’avril 1969 ; il gardera le silence jusqu’à sa mort en 1970. Pompidou reprend le flambeau. En fait, les mesures de Grenelle sonnent le glas de la politique restrictive instaurée en 1963. La croissance s’accélère, les entreprises sont dopées par la forte demande et aidées par des baisses d’impôt.

 

Conclusion : Incertitudes sociales au début des années 70

 

La croissance se poursuit, les grands projets continuent comme la mise en chantier de Fos-sur-Mer, autoroutes, les grands aménagements urbains, etc.

Mais de multiples conflits sociaux, l’apparition du chômage, l’inflation, alourdissent ce climat.

-L’agitation étudiante persiste. Des manifestations lycéennes ont lieu contre la loi Debré qui veut aménager le régime des sursis d’incorporation au service militaire.

-Dans cette même période, on assiste aux manifestations pour l’abrogation de la loi de 1920 qui condamne pénalement les méthodes anticonceptionnelles et l’avortement.

-En 1973 c’est l’affaire LIP qui passionne l’opinion publique ; entreprise que des ouvriers tentent de gérer eux-mêmes, soutenus par la CFDT (qui développe la théorie de l’autogestion).

-Pierre ¨Mesmer qui a remplacé Jacques Chaban Delmas en 1972 reste ferme sur une ligne conservatrice. Ainsi, au terme d’une exceptionnelle période d’expansion, tout se passe comme si les Français ne parvenaient pas à digérer des mutations sociales qui ont été subies plutôt que désirer.

 

 

 

 

 

Chapitre III : La société depuis le milieu des années 1970

 

 

I. La crise et ses conséquences sociales

 

La période peut se résumer ainsi : chômage et nouvelle pauvreté, consommation globale maintenue, inquiétude sécuritaire et poussée du nationalisme, déficit de la culture ouvrière, progrès de l’informatisation.

 

1. Le temps de la crise

-La crise c’est d’abord le ralentissement de la croissance globale, le retour de l’inflation, l’augmentation rapide du chômage. Elle touche principalement les industries les plus anciennes : charbon, métallurgie lourde (sidérurgie, plus chantiers navals), textile.

-Le chômage qui n’avait pas cessé de s’étendre depuis la fin des années 60, s’est brutalement aggravé depuis 74. 1974 : 500 000, 1975 : 1 million. 1981 : 2 millions : il pénalise en premier lieu les femmes, les jeunes, les travailleurs non qualifiés.

 

2. La consommation

-Malgré la crise les Français continuent à consommer. Nouvelles immatriculations de véhicules dès 1975. Augmentation des achats de télévisions, magnétoscopes, chaînes de haute fidélité.

 

3. Les fractures sociales

a. En dehors des inégalités sociales, le fait nouveau, c’est le développement de la délinquance produit de la pathologie urbaine et du chômage. De 1973 à 1984, croissance importante de la délinquance et de la population carcérale.

Le thème de l’insécurité domine dès ce moment le discours politique et explique pour une part la montée en 1980 du Front National de Jean Marie Le Pen, qui représente 10% du corps électoral.

b. la crise accélère le démantèlement des grands bastions industriels : la période voit l’achèvement d’une évolution fondamentale : la dislocation de la classe ouvrière traditionnelle, construite et stabilisée depuis les années 30 jusqu’aux années 50. La conséquence c’est la perte progressive d’audience du PCF, qui, en cette période, ne saura pas s’adapter à cette mutation sociale.

 

4. Informatisation de la société

Informatisation de la société, c’est le titre du rapport commandé par le président de la République en 1976 à Simon Nora et Alain Minc. L’informatique cesse d’être chère, lourde et réservée à une élite. Révolution qui selon les auteurs irrigue la société comme le fit l’électricité.

Conséquences :

-Accroissement de la productivité dans le secteur industriel par une plus grande efficacité des méthodes et des contrôles.

-Développement de l’activité des services et des activités de l’information au détriment des secteurs primaires et secondaires qui voient une forte diminution de leur main d’œuvre.

Le problème est posé par les auteurs : allons-nous vers une société qui utilisera des techniques pour renforcer les mécanismes d’autorité et de domination, ou au contraire, qui accroîtra l’adaptabilité, la liberté et la communication entre les citoyens ?

 

5. Le nouveau rôle de l’Etat.

La place et le rôle de l’Etat dans cette société est un des grands thèmes de cette période. La victoire de la gauche en 1980 semble marquer l’apogée de l’Etat protecteur et incitateur (nationalisations, lois sociales, etc.) comme si s’accomplissaient les espoirs placés depuis la Libération dans « l’Etat-Providence », seul capable d’instaurer la justice sociale, l’égalité et de protéger les plus démunis contre l’arrogance des puissants.

Mais en ces années 80, tout se passe comme si l’Etat avait atteint une forme de limite, et devait entamer son désengagement.

Ce que l’on a appelé la crise des idéologies, la renonciation aux modèles et aux utopies, est signe de ce désengagement ; C’est le néo-humanisme des droits de l’homme qui l’emporte.

Au plan économique ressurgit l’idée d’un néo-libéralisme qui annonce le thème d’une économie sociale de marché.

Quand on y regarde de près, il n’y a pas contradiction entre les grands espoirs soulevés par la victoire du « peuple de gauche » en 1981, et cette mise en cause non encore avouée de l’Etat-Providence, car le mot d’ordre « changer la vie », n’a plus le sens d’un « changer le monde » qui s’adresserait à la collectivité mais d’une libération des aspirations individuelles.

 

 

II. La société de Valery Giscard D'Estaing à François Mitterrand

 

 

  1. Une « société décrispée »?

 

Valery Giscard D'Estaing qui remplace Pompidou en 1974 veut présider une France décrispée dont le mot d’ordre serait : « gouverner, c’est réformer ».

 

  1. Le pouvoir et les citoyens

 

Il s’agit d’éviter les affrontements en traduisant les évolutions de la société dans la législation.

-Des signes : création d’un ministère des réformes, Jean Jacques Servan Schreber ; création d’un ministère de la qualité de vie, création d’un secrétariat à la condition féminine (Françoise Giroux). 

-Un style : Valery Giscard D'Estaing regagne l’Elysée à pieds le jour de son intronisation comme président ; modification de la Marseillaise ; utilise la télévision comme moyen de communication avec les Français auxquels il veut s’adresser directement. Il va même jusqu’à s’inviter dans certains foyers de la France profonde pour jouer de l’accordéon auprès du feu, en pull-over. C’est le passage « l’âge des foules », animée par des certitudes idéologiques, à « l’âge des masses » : collection d’individus autonomes.

 

  1. La loi et les mœurs

 

Les lois promulguées dès les débuts du septennat de Valery Giscard D'Estaing correspondent bien à la volonté de faire coïncider la législation avec les mentalités et les mœurs.

-Loi du 5 juillet 1974 : abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans. la novation consiste en ceci, alors que jusqu’à présent on était considéré adulte à partir du moment où l’on entrait dans le marché du travail : désormais l’on reconnaît l’autonomie de la jeunesse, même lorsqu’elle vit encore dans le foyer familial. Importante mutation qui modifie. A partir de ce moment la jeunesse acquiert une identité propre.

-Loi du 17 janvier sur l’IVG -présenté par Simone Weil ; par cette loi, le législateur renonce à imposer une morale et à peser sur les comportements individuels. C’est une étape décisive dans le processus de sécularisation de la société. Cette loi provoque la réaction des catholiques traditionalistes qui fondent des associations tel que « Laissez-les vivre », et deccs gaullistes tel que Michel Debré, avançant des considérations éthiques et démographiques (France forte, etc.)

-Loi du 11 juillet 1975, simplifiant les procédures du divorce, instaurant le divorce par consentement mutuel et faisant disparaître le terme de tort ou de faute justifiant juridiquement la séparation. Ces deux lois manifestent le retrait de l’Etat et la reconnaissance de la liberté et l’intimité des individus.

-Il faudrait encore citer les lois concernant les handicapés et l’abaissement de l’âge de la retraite des travailleurs manuels et les textes généralisant la sécurité sociale.

-Enfin, la loi Haby de juillet 1975, qui réforme l’enseignement secondaire pour instaurer l’égalité des chances entre les enfants.

 

Cette politique conforte la construction de l’Etat-Providence : entre 1970 et 1980, les prélèvements obligatoires passent de 35 à 41% du PIB. Mais, elle révèle en même temps les limites des possibilités de réformes, qui se heurtent à l’opposition d’une majorité conservatrice. La décrispation et les réformes pénètrent les problèmes de la vie quotidienne et individuelle sans que soit engager aucune réforme de structure. Les conflits du travail vont réapparaître.

 

3. La situation des travailleurs

 

Edmond Maire secrétaire de la CFDT, publiant en 1977 un livre sur « Les Dégâts du Progrès », souligne les conséquences du progrès technique sur les conditions de travail et de vie des salariés. De nouveaux et importants conflits sociaux apparaissent dans cette période, mais ils sont de nature différente des luttes sociales traditionnelles. Ce sont essentiellement des conflits qui sont le fait des OS protestant contre l’exploitation consécutive à la déqualification du travail. Dans l’industrie ce sont les grèves des OS de Renault au Mans contre le travail à la chaîne ; c’est chez Péchiney et chez Usinor c’est la mise ne cause du travail posté. Mais les grandes grèves se développent maintenant dans le secteur tertiaire. Longue grève des employer des PTT qui assurent le tri postal. Grève des employés de banque, où l’introduction de l’informatique aboutit à une déqualification croissante des tâches. Ainsi les conflits du travail ne sont plus seulement liés aux revendications salariales ; elles mettent en cause les conditions de travail et portent sur la qualité de vie dans l’entreprise. Dans ce mouvement la CFDT joue un rôle important, tandis que la CGT reste sur le terrain des revendications de salaire.

 

4. L’émergence des minorités

 

Ce sont les revendications féministes, les manifestations des prostituées et les défilés des écologistes auxquels il faut ajouter les agitations régionalistes corses et bretonnes.

Le thème principal de la période, c’est le droit à la différence.

 

On assiste ainsi à un déplacement des forces sociales : ce qui est en mouvement dans la société, ce ne sont plus de grands groupes antagonistes, mais les revendications d’individus qui n’aspirent plus seulement à exister à travers le groupe ou la classe sociale, mais qui réclame un droit individuel à la reconnaissance social et au bonheur personnel.

 

 

B. 1981 : François Mitterrand, la gauche AU pouvoir,

un autre projet social ?

 

a. Le retour du refoulé

L’élection de François Mitterrand en mai 1981, et les débuts de son septennat se présentent, après la « société décrispée » qui voulait estomper les clivages, comme un retour en force de l’histoire ;

-Signes : manifestation du 10 mai place de la bastille, cérémonie du Panthéon, François Mitterrand dépose une rose sur la tombe de (Jaurès, Victor Schoelcher, Jean Moulin). Choix symbolique de Pierre Mauroy comme Premier Ministre, homme du nord, fils d’un instituteur, acteur du front populaire, militant syndical. C’est la victoire du « peuple de gauche » !

-Premières mesures : Abandon de l’extension du camp militaire du Larzac, en réponse à la mobilisation des paysans écologistes (derrière José Bové), augmentation du SMIG de 10%, relèvement des allocations familiales, projet de création de 55 000 emplois publics.

 

b. Le projet

La nouvelle majorité entend prendre en compte à la fois les revendications traditionnelles des salariés et les aspirations nouvelles du corps social.

Il s’agit, 1. d’accroître le rôle de l’Etat-Providence, pour en faire l’instrument d’une redistribution sociale, afin de préparer « la rupture avec le marché », 2. de changer la vie, c'est-à-dire de libérer les forces de création individuelles. Jusqu’en 1983, heure de la pause, les socialistes incarnent simultanément ces deux cultures.

 

c. Quid des réformes ?

-L’impôt sur les grandes fortune (qui excèdent 3 millions de francs), reste symbolique parce que l’assiette en est réduite et qu’il ne touche que 1% des Français, soit 200 000 personnes. Mais le symbole est important, il manifeste dans la gauche française la passion de l’égalité : « faire payer les riches ».

-Autres mesures dans la filiation du Front Populaire

*5° semaine de congés payés

*Retraite à 60 ans

*Semaine de 39 heures

*Nationalisations (pour affirmer le rôle de l’Etat dans le changement économique et social).

Ce sont ces mesures que Michel Rocard a désignées comme « archaïques ».

 

- Mesures novatrices :

*Loi de décentralisation de mars 1982 : transfert de pouvoir et de compétence de l’Etat aux collectivités territoriales (régions, départements, communes).

*Impulsion donnée par Jack Lang au ministère de la culture

*Suppression de la peine de mort : Badinter.

*Création de la Haute Autorité de la communication

*Lois Auroux (ministre du travail) : instaurant une démocratisation à l’intérieur de l’entreprise : droit à l’expression des salariés, restriction du droit de licenciement, contrôle de la gestion. (Opposition du patronat et du Sénat)

 

Conclusion

Dès 1983, le projet est mis sous le boisseau par Pierre Mauroy, puis en 1984 avec Laurent Fabius : l’expérience du pouvoir a transformé la vision socialiste de la société française et remis en cause les possibilités de l’Etat de modifier en profondeur les structures de la société.

 

 

 

 

III. Manifestations sociales et émergence d’une nouvelle société ?

 

 

Introduction

 

Des centaines de milliers de personnes dans les rues en 1984 pour défendre la liberté de l’enseignement  en décembre 1986, des centaines de milliers d’étudiants et de lycéens dans la rue contre la loi Devaquet sur l’enseignement supérieur, le même mois, des grèves des services publics en particulier à la SNCF ; toutes ces manifestations obligent à s’interroger sur les changements d’une nouvelle société. S’agit-il de l’émergence d’une nouvelle société ou de l’incapacité de la société française à se réformer ?

 

1. 1984, défense de la liberté de l’enseignement.

 

a. Historiquement

Depuis les années 1880, les problèmes de l’enseignement ont été au cœur des rapports entre l’Eglise et l’Etat. L’enseignement privé est en grande majorité un enseignement catholique dont on peut dire qu’après 1945, il correspond à une double réalité : D’une part, dans certaines régions comme l’Ouest de la France, l’enseignement privé est une réalité à la fois culturelle et sociale qui est enracinée dans l’histoire des familles et dans la vie locale. D’autre part, dans les villes, les écoles privées répondent au souci des catégories sociales les plus élevées d’assurer à leurs enfants une éducation correspondant à leur statut social.

 

b. La « querelle scolaire »

La « querelle scolaire » continue d’alimenter la vie politique française :

-Dès 1945, les subventions accordées par le gouvernement de Vichy à l’enseignement libre sont supprimées.

-En 1948, les débats s’engagent sur la nationalisation des écoles des Houillères.

-En 1951, la loi Barengé accorde une subvention aux familles ayant des enfants à l’école primaire qu’elle soit publique ou privées.

-En 1951 : la loi Marie accorde aux élèves des écoles privées le bénéfice des bourses publiques d’enseignement secondaire.

-En 1959, par la loi Debré, les écoles privées peuvent conclure avec l’Etat des contrats d’association : les rémunérations des maîtres possédant les diplômes de l’Education nationale sont pris en charge par l’Etat ; à la condition que les écoles privées respectent horaires et programmes nationaux et soient contrôlées par le corps d’inspection de l’éducation nationale.

-En 1971 et en 1977, à la suite de la loi Debré, les deux camps mobilisent leurs troupes. D’un côté les Laïcs, représentés par les syndicats d’enseignants, y compris la Fédération de l’éducation nationale (FEN) le syndicat national des instituteurs (SNI) ; de l’autre côté, la hiérarchie catholique qui laisse se manifester au premier plan des associations de parents d’élèves.

La laïcité est liée à une conception jacobine de l’Etat, éducateur d’une seule jeunesse, et aux restes d’un anti-cléricalisme militant. Ainsi, la victoire de la gauche en 1981, a pu apparaître comme l’arrivée au pouvoir du corps laïc.

-Le secrétaire général de la FEN est nommé au ministère du temps libre.

-Les enseignants représentent plus d’un tiers des députés de l’Assemblée, et près de 60% des députés socialistes.

 

c. La crise

Dans ses 110 propositions, le candidat François Mitterrand prévoyait un grand service public, unifié et laïc de l’éducation nationale. C’est seulement à la fin de 1983, que le ministre Alain Savary fait connaître les propositions en ce sens. Il est débordé par les pressions et les surenchères des militants laïcs et l’opposition politique se manifeste. Les tensions aboutissent en 1984 aux grandes manifestations nationales et régionales des partisans de l’enseignement privé. Le 24 juin 1984, plus d’un million de personnes dans les rues de Paris.

Le 12 juillet, François Mitterrand annonce le retrait du projet Savary. Ce conflit est significatif de l’évolution des mentalités. Alors que la culture militante -en particulier à gauche- continue à situer le problème sur le terrain historique de la querelle scolaire, en fait, le succès des manifestations pour l’école libre a un sens social. Plus que l’attachement à une école confessionnelle, ce succès traduit une méfiance vis-à-vis de l’enseignement public et de sa « dégradation ». En effet, depuis les années 60, l’enseignement secondaire est devenu un enseignement de masse. Il ne s’agit pas d’une querelle idéologique ; la bourgeoisie qui jusqu’alors répartissait ses enfants entre l’enseignement public et l’enseignement privé veut pouvoir bénéficier d’un système réservé à une élite sociale. Derrière la querelle scolaire, se révèle la volonté de la bourgeoisie de réserver une éducation spécifique à ses enfants face à la démocratisation

 

2. La jeunesse, en décembre 1986, et la loi Devaquet

 

Depuis 1968, tout a changé, on qualifie la nouvelle génération de bof’ génération = génération de l’indifférence ; loin de l’idéologie, les enfants des révolutionnaires de 1968 travaillent et se résignent à l’échec, car les deux tiers d’entre eux n’obtiennent pas le DEUG, ils s’occupent de musique et de leur bonheur personnel. La jeunesse des années 80 continue d’être ce que Edgar Morin appelait une bio-masse. Les modes d’expression semblent se réfugier dans l’apparence extérieure, le vêtement, la coiffure, et l’idéologie se réduire à la quête du bonheur personnel.

Mais pourtant cette jeunesse subit le poids écrasant du chômage. Décembre vient. Alain Devaquet propose une modernisation de l’Université : une meilleure adaptation au monde du travail, et entend pallier l’échec par la sélection. Le projet est compris seulement comme instaurant une simple sélection à l’entrée à l’Université.

Les événements :

-17 novembre, mouvement lancé à Paris XIII, Villetaneuse

-27 novembre (date de l’examen du projet de loi à l’Assemblée) 200 000 jeunes dans les rues à Paris, et 400 000 en province.

-4 Décembre, la coordination nationale étudiante organise une grande manifestation pour le retrait du projet.

-Dans la nuit du 5 au 6 Malik Oussekine meurt victime des brutalités policières.

-Nouvelles manifestations contre la répression policière sur le thème « plus jamais ça »

-10 décembre appel à la grève générale des étudiants.

-Retrait du projet le 10 décembre par René Maunoury.

Ces événements appellent une série d’interrogations :

1. Un recul du pouvoir, qui fait dire au sociologue Michel Crozier qu’il est difficile de réformer la société par décret.

2. Si les luttes sociales et le militantisme traditionnels semblent avoir disparu, la société civile montre qu’elle est capable de s’organiser sur des objectifs et pour un temps limités.

3. Les manifestants ont remis à l’ordre du jour au travers du refus de la sélection le thème de l’égalité qui sera repris comme égalité des chances.

4. Après la mort d’Oussekine, les manifestants ont remis à l’ordre du jour les droits de l’homme contre le racisme et contre la réforme du code de la nationalité (lancée à cette époque).

 

Conclusion :

Après l’adieu au marxisme et au prolétariat, classe prométhéenne, dans la société de la consommation et du loisir mais aussi du chômage, la liberté individuelle, le refus des contraintes du pouvoir deviennent les nouvelles valeurs.

 

3. Les autres mouvements sociaux : cheminots et instituteurs

 

a. Les cheminots

La grève de la SNCF au mois de décembre 1986 est instructive ; en effet :

-Les syndicats pourtant puissants à la SNCF sont débordés par la base qui crée, comme les étudiants, des coordinations nationales et locales.

-Les revendications, si elles n’excluent pas les aspects salariaux, concernent les conditions de travail et s’opposent à la prétention de la direction de la SNCF de modifier les statuts en introduisant une règle d’avancement par le mérite.

 

b. Quelques semaines plus tard, manifestations des instituteurs contre la décision du ministre de renforcer les pouvoirs des directeurs dans les écoles primaires. Là aussi, création d’une coordination et méfiance vis-à-vis du syndicat hégémonique des instituteurs (SNI Syndicat National des Instituteurs).

 

 

Conclusion

Les mouvements sociaux ne sont plus porteurs d’un message révolutionnaire. De même les revendications ne sont plus seulement salariales où comme on le disait en 1968 « alimentaires » ; ce sont les conditions de vie, la liberté et le bonheur individuel qui sont à l’ordre du jour.

Pour autant, les conflits sociaux traditionnels ne sont pas éteints. Au printemps 1987, la CGT organise de grands défilés de protestation et de défense de la sécurité sociale avec l’appui des dirigeants du PCF. Le mouvement social comme contestation concrète de la société avec sa hiérarchie et sa culture, n’a pas disparu, même si les masses manifestent leur revendication sur un autre terrain ; celui de la liberté et du développement personnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Analyses de la société

 

 

 

 

 

Chapitre I. Les étrangers dans la société française

 

 

Introduction

Pendant cette période 1945-1990, les immigrés sont entrés en France pendant les Trente Glorieuses ; Jusqu’à la crise, leur nombre n’a cessé de croître. C’est quand ce nombre s’est stabilisé que leur présence a commencé à faire problème.

 

 

1. Les étrangers depuis 1945.

 

a. Définition et chiffres

 

Rappelons que en dehors des immigrés naturalisés sont Français :

-Par filiation, tout enfant dont l’un des parents est français (enfant né d’un couple mixte).

-Tout enfant né en France (droit du sol) lorsque l’un de ses parents y est né. Jusqu’en 1962, où l’Algérie est française, les enfants nés en France d’un parent né en Algérie.

-Tout enfant né en France devient automatiquement français le jour de sa majorité (sauf refus).

Evaluation, statistique : entre 3.700 000 et 4.220 000.

 

Nota :

-L’immigration n’est pas un phénomène récent, elle représente toujours à peu près 6 à 7% de la population française.

-Plus du tiers de la population française actuelle est d’origine étrangère à la première, deuxième ou troisième génération.

 

b. Les vagues d’immigration.

 

Dans les années 50 et 60, l’appel à la main d’œuvre étrangère s’explique par l’insuffisance de la population active française.

Dans une première période, l’immigration est d’origine européenne. En 1954, 1.4millions sur 1.7 millions. Un tiers italien, le reste, espagnol et polonais. En 1975, 2.2 millions sur 3.5 millions, avec une majorité de Portugais et d’Espagnols.

A partir de 1975, jusqu’à la fin de la période, l’immigration est issue d’Afrique du Nord (près de 800 000 Algériens) et d’Asie.

 

 

2. L’intégration et ses problèmes.

 

a. Polonais et Italiens, intégration réussie. 

Les Polonais venus dans l’entre-deux-guerres comme mineurs dans le Nord, le Pas-de-Calais et la Lorraine ne se sont pas renouvelés et leur nombre a diminué.

De même, les Italiens sont moins nombreux en 1982 qu’en 1975.

 

Nota : L’intégration réussie s’explique en premier lieu par le pouvoir d’assimilation de l’école républicaine, mais aussi, à travers le militantisme syndical et politique des immigrés. Exemple de la Seyne-Sur-Mer.

 

b. L’intégration en panne.

Problématique : Le problème de l’intégration aujourd’hui est-il dû à une incapacité de la France à intégrer comme autrefois les populations immigrés ou à un changement de la nature de l’immigration ? (maghrébine et sub-saharienne) ?

 

Premier constat : L’immigration n’est plus seulement une immigration de travail, mais elle s’accroît du regroupement des ménages. En 1982, parmi les Algériens, 62% sont des hommes. Parmi ceux-ci, Algériens, mais aussi Marocains et Tunisiens, les enfants de moins de 15 ans représentent 30% de cette population.

Deuxième constat : Sur 3.400 000 étrangers, 1.500 000 sont actifs dont 67% sont des hommes employés comme ouvriers (en particulier des manœuvres) et 17% des femmes faisant partie du personnel de service.

Troisième constat : La population immigrée est essentiellement industrielle et urbaine (36% en Ile-de-France, dont 17% dans la Seine-Saint-denis). Les autres concentrations sont dans le Nord, la région lyonnaise et la région méditerranéenne.

 

c. Les débats

-L’augmentation du nombre des immigrés et les problèmes de leur intégration sont à l’origine des succès du Front National.

-La nouvelle majorité élue en 1986 propose une réforme du code de la nationalité substituant à la nationalité par le sol le choix explicite de la nationalité française par les enfants d’immigrés à leur majorité. exigeant le choix de la nationalité par les enfants nés en France

-Un grand débat s’instaure entre ceux qui estiment que l’identité française est menacée par l’afflux des immigrés et ceux, regroupés dans des associations telles que S.O.S Racisme (touche pas à mon pote) qui défendent l’idée d’une France multiculturelle.

Conclusion :

La crise et les difficultés économiques aggravent sans aucun doute les réflexes xénophobes ; on a pu accuser l’école de ne plus remplir sa fonction assimilatrice, mais ne faut-il pas attribuer les difficultés de l’intégration à la ghettoïsation des populations ; par ailleurs frappées prioritairement par le chômage ? Sans doute le déclin du travail industriel et la crise de la culture ouvrière, qui avait permis aux étrangers de s’intégrer dans la société français, sont une autre raison des difficultés de l’intégration.

Chapitre II. Le travail et les structures de la société

 

 

I. Population active et secteur d’activité

 

1. Evolution d’ensemble

 

La population active (toute personne de plus de 15 ans occupant ou cherchant un emploi)

-De la guerre aux années 60, la population active est relativement stable : 19 millions. On enregistre une augmentation à partir de 1968 : 20,3. 1975 : 20.7. 1990 : 25.2. Cette augmentation à partir des années 60, s’explique en grande partie par l’arrivée à l’âge du travail des générations du baby boom.

-Répartition

*Femmes : 34.6% => 40.7% en 1982

*Chômeurs : 1968 : 400 000 ; 1982 : 2 millions ; 1987 : 2.5 millions

 

2. Le temps de travail

 

Fait important : Diminution de la durée du travail.

Si l’on tient compte de l’allongement de la durée des études, de l’abaissement de l’âge de la retraite, de la diminution de l’horaire hebdomadaire, mais aussi de l’allongement de la durée moyenne de vie, on arrive à ce constat : un Français consacre à la vie professionnelle une fraction progressivement restreinte de son existence : 1/3 de son temps vécu au début du siècle, environ 10% aujourd’hui.

Ce constat est paradoxal et inexact. Les analyses concernant la place de plus en plus réduite occupée par le travail, notamment par rapport au XIXe siècle, ont également fleuri pendant les années 1990, souvent dans le sillage des théories développées par Joffre Dumazedier. S’appuyant sur d’importants travaux historico-statistiques (Marchand et Thélot, 1990) qui mettaient en évidence que l’on était passé en deux cents ans d’une moyenne de 3 000 heures de travail par an et par individu en âge de travailler à un peu plus de 1 600, soit une diminution de presque moitié de la durée de travail, un certain nombre d’auteurs ont développé l’idée selon laquelle le temps de travail ne serait plus le principal temps structurant, ce rôle incombant désormais au temps libre : nous ne consacrerions plus au travail qu’une part réduite de notre temps de vie (moins de 15%) ; de plus en plus, l’essentiel des relations sociales et personnelles se développerait hors du monde du travail ; la vie sociale qui, hier encore, était dominée par les rythmes de travail, se structurerait progressivement autour des rythmes de temps libre, de loisirs, de vacances.

Mais un certain nombre d’éléments issus des enquêtes sur l’Emploi du temps des Français (I.N.S.E.E., 2002) amènent à nuancer ces analyses. Certes, si l’on ne considère que les grandes masses et les moyennes pour l’ensemble de la population âgée de quinze ans et plus, le temps de travail est bien le quatrième temps de la vie quotidienne, derrière le temps physiologique, prédominant, qui occupe la moitié des vingt-quatre heures (12 h 40), le temps libre (4 h 31) et le temps domestique (3 h 26). Mais ne considérer que les moyennes revient à ignorer non seulement :

-l’allongement de la durée de vie

-l’allongement du temps de retraite ou de préretraite

-la réduction de la population active (la part de la population en emploi à l’âge actif a diminué de 70,2% en 1974 à 61,5% en 1998),

-mais aussi la diversité des situations d’activité dans lesquelles se trouvent les différentes catégories de la population totale considérée (qui inclut les étudiants, les retraités, les personnes au foyer...).

À bien examiner celles-ci, on constate en effet que, durant ces dix dernières années, le temps de travail des actifs occupés, notamment à temps complet, a en fait augmenté, tandis que l’accroissement moyen du temps de loisir concernait d’abord en volume les chômeurs, dont la qualité de loisir est évidemment très différente de celle des actifs : « la progression du chômage est la première des causes du renversement du gradient socio-économique du temps libre » (Chenu, Herpin, 2002). Contrairement aux pronostics de Joffre Dumazedier, on n’assiste donc pas à une extension générale du temps de loisir, mais à un déplacement de la charge de travail vers les catégories sociales les plus qualifiées.

 

 

3. Les grands secteurs d’activité

 

Répartition :

*Travail agriculteur : (salariés ou exploitants) en 1945 6 millions, en 1982, 1.7 millions ; soit 7% de la population active.

*Seconde catégorie : patrons de l’industrie et du commerce, y compris artisans : diminution sensible 12 à 7% dans la période qui nous occupe.

*Ouvriers : effectifs globalement stable : 1/3 de la population active

*Salariés du secteur tertiaire : Forte augmentation ; employés : De 16% à 33%.

*Cadres supérieurs et profession libérale : forte augmentation : de 3 à 8%.

 

Conclusion

Effondrement du nombre de travailleur ruraux effritement des travailleurs indépendants, essor des employés et des cadres.

 

II. Les catégories

 

A. Les paysans

 

1. Répartition : 3 catégories

-Les exploitants (fermiers ou propriétaires)

-Les aides familiaux (conjoints, enfants)

-Les salariés

 

2. Evolution de 1954 à 1981

-Les exploitants passent de 37 à 47%.

-Aides familiaux de 53 à 46%

-Les salariés 10 à 7%.

 

Remarque :

=> Au total, les actifs agricoles sont passés de 6 millions à 2.5 millions, les aides familiaux ont diminué à cause du départ des jeunes (50%).

 

3. Transformation des structures

-Le nombre des exploitants a fortement diminué et la taille des exploitations s’est accrue : les gains de productivité sont considérables en raison de la mécanisation et des fertilisants. Blé : de 18 à 52 quintaux par hectare.

-Efforts d’équipement très important, pour la plus grande part financés à crédit : la dette des paysans passe de 11 milliards en 1960 à 180 milliards en 1982.

 

Trois observations :

-Plus de 30% des agriculteurs ont une seconde activité (artisans, petits commerçants, ouvrier)

-Les propriétaires ne pèsent plus sur le monde rural à cause des réformes du fermage.

-L’amortissement des emprunts représente plus de 30% des charges d’exploitation.

-En même temps les prix des produits sont désormais déterminés à Bruxelles.

 

 

B. Les ouvriers

 

1. Définition et classification

 

Les ouvriers ne se confondent pas avec les travailleurs d’usine ; un peu plus de la moitié est dans l’industrie, 1/6 dans le bâtiment, 1/3 dans les secteurs tertiaires (entretien, surveillance, manutention, conditionnement)

Leur nombre passe de 6.5 millions en 1954 par un maximum historique de 8.5 millions en 1975, diminuant chaque année de 200 000 à partir de cette date.

 

2. Catégories

 

-OQ ou OP (ouvrier qualifié ou professionnel, c'est-à-dire ayant reçu une formation couronnée par un certificat d’aptitude, accord des échelons, (OP1, OP2, OP3… OQ1…)

-Les OS (ouvrier spécialisé), travailleurs interchangeables dans le processus de production. Leur nombre augmente considérablement avec dans certains secteurs (électronique) un fort pourcentage de main d’œuvre féminine.

-Dans le processus de production, était prépondérant en 1945, le couple OQ-manœuvre ; à la fin de la période, il s’agit d’une hiérarchie dans laquelle les OS représentent le plus grand nombre.

-Dans l’industrie, en 1982, les OQ représentent 1.6 millions, et les OS 2.4 millions. Dans les entreprises nouvelles, secteur des biens de consommation, 70% des emplois créés sont des OS.

-Dans la période, croissance rapide de la main d’œuvre immigrée de 1954 à 1975, de 1.7 à 4.1 millions.

De même, augmentation de la main d’œuvre féminine, dont 79% sont des OS.

 

3. Les entreprises

-Après une croissance sensible de la taille des entreprises dans les Trente Glorieuses, le tissu économique se compose en majorité d’entreprises de moins de 10 ouvriers. Ces petites et moyennes entreprises à direction familiale, travaillent en sous-traitance des grandes entreprises.

 

 

C. Les travailleurs non salariés

 

1. Composition hétérogène

 

-Patrons des entreprises industrielles et commerciales, qu’ils soient gros ou petits, industriels ou artisans. Dans cette catégorie on classe tous ceux qui sont dans la production sans être salariés.

-Les professions libérales : notaire, médecin, avocat, comptable, etc.

-Artisans et petits commerçants

 

2. Répartition en milliers

 

1954 1982

 

Industriels : 86 71

Gros commerçants : 183 210

Artisans : 734 573

Petits commerçants : 1 274 869

Professions libérales : 163 328

 

 

Observations

Diminution des artisans, forte diminution du petit commerce qui s’explique par l’évolution de l’économie. Augmentation des professions libérales, qui s’explique, en particulier, par le développement du secteur médical et paramédical, mais aussi par le développement du secteur technique (ingénieur conseil en organisation, en informatique, en étude économique) ; et enfin le secteur des professions sportives, éducatifs et artistiques. Le taux de féminisation de ses professions augmente de 21 à 28%.

 

D. Les employés

 

Les employés sont des salariés qui accomplissent des tâches d’exécution dans le secteur tertiaire ; l’INSEE distingue les employés de bureau et les employés de commerce. Ce secteur a fortement augmenté de 2 millions en 1954 à 4.7 en 1982, avec une féminisation croissante. Cette croissance s’explique par l’évolution de l’économie : développement dans la période des grandes administrations publiques (Sécu) des magasin grande surface et des services (assurance, tourisme, etc.)

 

Observation : La nature des tâches s’est profondément transformée ; comme dans le secteur ouvrier on assiste à une déqualification des tâches ; un exemple : celui des dactylo ; qui dès la fin du XIX° siècle, avec le développement de la machine à écrire doivent faire l’apprentissage du métier, et peuvent développer leur carrière en devenant secrétaire (Qualification de sténo-dactylographe) ; après la guerre, apparaissent des pools de dactylo. Enfin, dans ce secteur, mais aussi dans les autres, la multiplication des consoles d’ordinateur déqualifie une part importante de ce travail.

 

Conclusion :

On peut se demander si cette évolution des formes de travail dans le secteur tertiaire ne rapproche pas une grande partie des employés du monde ouvrier. Aux OS de l’industrie électronique et des chaînes de montage correspondent les OS du clavier, des caisses enregistreuses et des guichets.

 

 

E. Les cadres

 

1. Catégorie

 

L’INSEE distingue :

-Les cadres du secteur public : professeur du secondaire et du supérieur, cadres administratifs de catégorie A et de catégorie B, qui ont des fonctions de direction ou de responsabilités (C et D sont des agents d’exécutions)

-Les cadres moyens : techniciens, cadres administratifs, sdsalariés des services médicaux et sociaux, instituteurs.

 

Dans la période de 1954 à 1982, on assiste à une forte augmentation de ces catégories. Cadres supérieurs de 430 000 à 1.600 000. Cadres moyens de 1.100 000 à 3 250 000 ; soit en pourcentage de la population active, de 8 à 20%. Globalement leur nombre est passé de 1 à 3 millions. Cette croissance s’explique par l’évolution des structures de l’économie, qui multiplie les fonctions de conception, d’étude, de direction, et d’encadrement, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Ces cadres supérieurs sont formés par de grandes écoles X-mines (Polytechnique, + école des mines) dans le secteur de l’industrie en particulier, grandes écoles de commerce, pour les cadres des entreprises, gestion et marketing.) L’ENA pour les tâches de l’Etat.

 

2. Autres catégories

 

-Le clergé de 171 000 en 1954 à 61 en 1982.

-L’armée et la police (ne bouge pas pendant la période)

-Les personnels de services (ou gens de maisons, domestiques), forte diminution, de 321 000 en 1954 à 215 000 en 1982. ce personnel étant remplacé par des entreprises spécialisées dans le nettoyage des bureaux en particulier.

-Or par suite de la multiplication des métiers du loisir et du tourisme., ces catégories de personnel des services progressent de 1 millions à 1.5 millions,

 

 

III. La modification des structures sociales

 

Problème :

La place dans le processus de production ne permet-elle pas de déterminer la hiérarchie sociale ? De ce point de vue, on peut décrire trois grandes catégories sociales, en fonction de leur position dans le processus productif :

-ceux, possédants ou salariés, qui assurent la direction et l’encadrement des entreprises.

-le groupe des classes moyennes qu’il faut sans doute redéfinir.

-le groupe des salariés rivés aux tâches de production.

Mais ne faut-il pas créer une quatrième catégorie, celle des couches les plus défavorisées, les employés à temps partiel où les « travail précaire » (dont le travail ne permet de subvénir à leurs besoins élémentaires) d’une part, les chômeurs d’autre part ?

 

1. Les évolutions

 

Premier constat :

La catégorie des salariés qui renvoyait jusqu’alors au monde ouvrier, s’est considérablement développée, en particulier par l’accroissement du nombre des cadres et des employés.

 

Deuxième constat

Ne faut-il pas revenir sur la définition du statut de salarié. Jusqu’alors, depuis le XIX° siècle, le salaire était synonyme d’aliénation ; l’ouvrier rémunéré à l’heure, à la journée ou à la tache, selon l’analyse de Marx, vendait sa force de travail.

Aujourd'hui les « conquêtes sociales » ont considérablement augmenté les revenus indirects : couverture médical, allocation familiale, indemnité journalière de maladie ou de chômage ; prestation d’invalidité et retraite ; ce que l’on appelle les transferts sociaux (organisés par l’Etat), se sont considérablement accrus de 3% des revenus d’un ménage en 1930, à 16% en 1950 ; ils atteignent 35% en 1983. C’est cette part de revenus qui est prise en compte pour calculer la hausse générale du niveau de vie des Français : En 23 ans de 1960 à 1983, le revenus moyen par habitant a doublé. Cette évolution devrait modifier profondément la condition du salarié, dans la mesure où elle lui assure la sécurité d’un revenu mensuel et la protection sociale. Mais force est de constater que cette évolution sociale n’a pu en rien changer les inégalités et les clivages. On est amené à distinguer des couches dirigeantes, des couches moyennes et des couches défavorisées.

 

IV. Les inégalités sociales

 

1. Evolution des revenus

 

Pour mesurer les disparités, il ne suffit pas d’analyser l’évolution des salaires bruts, mais il fait tenir compte des revenus réels des ménages : nombre de salariés dans le ménage, nombre d’enfants, importance des revenus sociaux.

Dans un premier temps, jusqu’au début des années 60, la masse salariale croît ; le salaire est multiplié par plus de 2 alors que le coût de la vie est multiplié par 1.5% ; mais les écarts entre les salariés s’aggravent : les augmentations de salaires bénéficient principalement aux cadres et aux OQ.

 

2. La mobilité sociale

 

La mobilité sociale qu’on peut définir comme la circulation des individus dans la hiérarchie sociale, abstraction faite de la mobilité structurelle due aux évolutions des structures. (exemple réduction du monde rural), présente les mouvements d’ensemble suivants :

-Dans le monde rural, seul 1/10 des agriculteurs n’est pas fils de paysan.

-Dans le monde ouvrier, près de la moitié des fils d’ouvriers sont eux-mêmes ouvriers.

-C’est dans les classes moyennes, en raison même de leur développement que la mobilité sociale est la plus grande. Un fils d’employé peu devenir cadre, tout au moins dans le principe.

-Dans les classes dirigeantes, l’hérédité sociale est très forte ; la plupart des enfants dont le père exerce une profession libérale sont cadres, chefs d’entreprise ou exerce eux-mêmes une profession libérale.

 

 

Conclusion

Les raisons de cette hérédité sociale, même si elles sont primordialement économiques, sont assurées par ce que Pierre Bourdieu appelait la reproduction sociale, à savoir la transmission du capital culturel. Au total les mécanismes de reproduction sociale n’ont guère changé depuis la guerre. Si les transformations économiques expliquent le recul de certains groupes sociaux (paysans, travailleurs, indépendants) et les progrès de certaines autres couches (classes moyennes), les inégalités subsistent.

 

Nota : le rôle de la reproduction sociale ;

L’école détermine de plus en plus les positions sociales futures.

-Jusqu’aux années 60, on avait pour l’essentiel affaire à un système scolaire clairement ségrégatif. D’un côté une école pour les enfants des catégories populaires ; de l’autre une école réservée aux catégories bourgeoises, éventuellement petit lycée, lycée et enseignement supérieur.

-Depuis la mise en place du « collège unique », qui a préparé et permis la montée de la vague lycéenne dans les années 80, nous avons affaire à un système scolaire, qui, théoriquement, promet l’égalité des chances. Mais de fait, on assiste à un véritable tri social par la transmission culturelle au sein de la famille et par le choix de l’école. Ainsi, au débuts des années 1990, dans les écoles d’ingénieurs, l’écart entre les chances d’accès entre les enfants d’ouvriers et de cadres va de 1 à 25 ; pour les écoles de commerce de 1 à 73. L’élite scolaire est bien le produit d’une élite sociale et de plus en plus.

 

 

3. Niveau de vie et inégalités sociales

 

La multiplication du nombre des salariés, constituant une importante classe moyenne, oblige à remettre en cause l’analyse des structures sociales par Marx au XIX° siècle :

On ne peut plus opposer un prolétariat constitué par la classe ouvrière à une bourgeoisie détentrice des moyens de production. Cependant les inégalités restent flagrantes, et s’aggravent même entre les classes privilégiées et les classes défavorisées. Pour mesurer cette persistance voire cette aggravation des inégalités, il faut suivre l’évolution du salariat.

 

a. L’âge d’or du salariat : 1950-1975 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale,: le capitalisme a besoin, pour fonctionner, d’une demande forte et régulière, ce qui implique une intervention de l’État.

En matière salariale, cela se traduit par une double mutation.

D’une part, l’instauration de mécanismes de protection sociale qui aboutissent à faire financer par les entreprises (directement ou par le biais de l’impôt) des revenus sociaux en sus des salaires directs.

D’autre part, la fixation d’une sorte de norme salariale minimale, par la loi (c’est le salaire minimum), par le contrat (généralisation des conventions collectives, incitation à la recherche d’accords interprofessionnels, comme ceux qui concernent l’indemnisation du chômage par exemple)

Le « modèle fordiste » désormais triomphe. L’ensemble de ces règles, dont une partie transite par des mécanismes de marché et une autre partie par la contrainte légale, aboutit à ce que, dans l’ensemble, la masse salariale évolue à peu près au rythme des gains de productivité. La demande progresse donc à l’allure du changement technique, et le pouvoir d’achat des salariés s’élève sensiblement.

On peut qualifier cette période – 1950-1975 – d’âge d’or du salariat. La société salariale paraît triompher

Même les salariés les moins bien lotis bénéficient d’une progression de leur pouvoir d’achat sans équivalent à l’échelle historique. On assiste, presque à vue d’œil, à la constitution d’une vaste « classe moyenne », qui n’a plus grand-chose à voir avec le prolétariat du siècle précédent, même si, dans les deux cas, le revenu dominant, sinon unique, est un salaire. Même si, pour certains, le point de départ était tellement faible, même après vingt ans de croissance, le revenu demeure modeste, parfois tout juste suffisant, reste que, pour deux tiers ou trois quarts des actifs, la société salariale se traduit par une amélioration sensible des conditions d’existence, un revenu qui progresse de façon régulière, et l’espoir qu’il continuera à en être ainsi dans le futur. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’éradication de la misère devenait possible.

 

A la fin de la période, les observateurs tel que René Lenoir dans son livre de 1974 Les Exclus indiquent qu’il faut remplacer le terme de pauvreté qui renvoie à la misère par celui d’exclusion, qui lui apparaît comme le produit où la reproduction de handicaps sociaux soit économique ou culturel, soit de comportements tel que l’alcoolisme ou la drogue, soit de déficience physique ou psychologique (handicapés physiques ou mentaux). Dans ces conditions, il appartient à l’Etat de prendre en charge ces handicaps.

 

b. La nouvelle pauvreté

 

Mais avec la crise, un retour de la pauvreté se développe sous la forme de ce que l’on a appelé la nouvelle pauvreté. Cette expression recouvrant plusieurs réalités :

-En premier lieu, l’augmentation continue et galopante du chômage qui devient structurel.

-L’absence d’intégration des travailleurs immigrés qui constituent une part importante du chômage. Les salariés employés à temps partiel ou les travailleurs précaires auxquels les revenus ne permettent pas d’assurer leur subsistance. C’est un fait de plus en plus prégnant : des salariés qui travaillent ne peuvent pas vivre de leur travail.

-Les chômeurs de plus de 50 ans « en fin de droits » généralement des salariés licenciés ou mis à la retraite anticipée.

-Les jeunes qui n’entrent dans le marché du travail qu’après 5 ou 6 ans de galère.

-Les familles monoparentales, notamment pour les femmes, dont le salaire ne permet de faire face aux besoins du foyer.

-Les ménages abusés par les facilités de crédits, qui se sont endettés.

-Enfin, les handicapés dont René Lenoir a analysé les différentes catégories d’exclusion.

La pauvreté présente un caractère multidimensionnel : elle découle fondamentalement d’un processus cumulatif. Nous la définirons comme l’accumulation de handicaps (de défauts, de déficits) résultant d’inégalités faisant système, c’est-à-dire tendant (pour la plupart du moins) à se renforcer réciproquement.

Ainsi des situations défavorables au sein de la division sociale du travail, se traduisant par des travaux déqualifiés et/ou des emplois instables, s’accompagnent presque toujours de faibles rémunérations et par conséquent d’un faible niveau de vie. Elles valent à ceux qui les exercent une morbidité et une mortalité supérieures à la moyenne. Ceux-ci n’accèdent de surcroît que difficilement à de bonnes conditions de logement. Ils n’ont pratiquement aucune chance de bénéficier d’une promotion par le biais de la formation professionnelle continue et leurs loisirs se réduiront à peu de chose. Dans ces conditions, la scolarité de leurs enfants est hypothéquée dès le départ ; ils se trouvent privés des conditions matérielles, relationnelles, affectives qui permettent la construction d’un projet de vie ; et le risque est grand qu’ils se retrouvent dans la même situation que leurs parents. En un mot, le handicap appelle le handicap : celui qui subit les effets des inégalités sociales sous un angle déterminé risque fort de les subir sous d’autres angles.

 

Au total,

1. Entre 1984 et 1994 le pouvoir d’achat moyen des ménages d’ouvriers non qualifiés a baissé en termes réels, leur valant de connaître une paupérisation absolue

2.Les exclus et les nouveaux pauvres représentent une part de plus en plus importante de la société actuelle ; pour l’INSEE, il faudrait classer 20% des familles parmi les pauvres. On peut mesurer l’importance du phénomène par l’accroissement du volume des dépenses de protection sociale qui de 1970 à 1983, est passé de 158 à 1172 milliards de francs.

Entre 1970 et 1995, le nombre de prestataires de l’un des huit minima sociaux a augmenté de plus de 40 p. 100, tandis que la population totale couverte par ces dispositifs a doublé, s’élevant à près de 6 millions de personnes, en gros le dixième de la population de la France.

 

c. Les inégalités sociales

 

Mise à part l’apparition et le développement de la nouvelle pauvreté, la croissance n’a pas éliminé les inégalités. Et la « question sociale » n’a pas disparu avec l’émergence de la classe salariale. Si l’on définit, comme Alexis de Tocqueville, l’idéal démocratique comme la tendance à l’égalisation des conditions, force est de constater que l’évolution des deux dernières décennies du XXe siècle va nettement à l’opposé, c’est-à-dire dans le sens de la persistance, voire de l’aggravation des inégalités. Voici trois exemples pris en France parmi bien d’autres possibles :

-Les inégalités de revenu : entre 1982 et 1992, la part dans le revenu national distribuable des revenus patrimoniaux (ou revenus du capital) est passée de 10 % à 17%, celle du travail indépendant est passée de 12% à 10% et celle du travail salarié est passée de 65% à 61%.

-L’allongement de l’espérance de vie : entre la période 1960-1969 et la période 1980-1989 : L’espérance de vie à 35 ans d’un manœuvre (qui était de 34,2 ans dans la première période) s’est accrue de 1,5 an, celle d’un chef d’entreprise de 3 ans. L’espérance de vie des cadres et professions libérales, qui était déjà de loin la plus forte, a encore creusé le fossé qui les sépare du manœuvre, étant donné que de 41,7 ans dans la première période, elle est passée à 44 ans pendant la seconde période.

-La représentation politique : entre 1981 et 1997, le pourcentage des ouvriers membres de l’Assemblée nationale est passé de 4,5 % à 0,7 %; celui des cadres et des professions intellectuelles supérieures dépasse régulièrement 70 % tout au long de la période. D’une façon générale, les catégories populaires et moyennes (ouvriers, employés, professions intermédiaires, artisans, commerçants) sont largement sous-représentées ; alors qu’elles constituent 80% de la population active, elles ne fournissent que 6,6% de la représentation nationale en 1997. Inversement les chefs d’entreprise, les professions libérales et les cadres administratifs de la fonction publique (comprenant notamment les hauts fonctionnaires) sont fortement surreprésentés, puisqu’ils constituent moins de 3% de la population active, mais de 40 à 50% des députés selon la période.

Le constat :

Pendant la période de forte croissance de l’après-guerre (1950-1975), les inégalités ont eu tendance à persister ou à se déplacer : certains signes montraient qu’une réduction semblait engagée à certains moments (en particulier entre 1968 et 1975) sur certains plans (l’échelle des salaires par exemple). Depuis lors, l’évolution s’est nettement accélérée, en particulier au cours des décennies 1980 et 1990. Phénomène qui peut s’observer dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse des revenus, du patrimoine, de l’emploi, du logement, de l’école, des usages sociaux du temps, de la maîtrise de l’espace public, etc.

Alors que le produit intérieur brut (P.I.B.) n’a cessé de s’accroître et a augmenté de 90%, alors que la France est -en 1990- en termes réels, presque deux fois plus riche qu’elle ne l’était avant l’ouverture de la crise. Dans cette société de plus en plus riche, le nombre des personnes pauvres, munies de ressources insuffisantes ou même démunies de toute ressource, n’a pourtant cessé d’augmenter. De ce point de vue, l’information statistique a confirmé, au cours de ces dernières années, ce que l’observation quotidienne pouvait apprendre à chacun. Ainsi, entre 1970 et 1995, le nombre de prestataires de l’un des huit minima sociaux a augmenté de plus de 40%, tandis que la population totale couverte par ces dispositifs a doublé, s’élevant à près de 6 millions de personnes, en gros le dixième de la population de la France ; alors qu’entre 1984 et 1994 le pouvoir d’achat moyen des ménages d’ouvriers non qualifiés a baissé en termes réels, leur valant de connaître une paupérisation absolue.

Cette contradiction apparente s’explique aisément par l’aggravation des inégalités de répartition de la richesse nationale. Ainsi, entre 1984 et 1994, l’écart entre le niveau de vie moyen d’un ménage de membres de professions libérales et celui d’un ménage d’ouvriers non qualifiés est-il passé de 2,9 à 4,2.

 

Les causes

 

Les inégalités sociales ne sont jamais que des effets de surface résultant de l’action de structures profondes. Elles résultent en particulier des rapports de production, des rapports de classes ou de la division du travail. Une véritable politique de réduction des inégalités doit donc s’attacher à transformer ces structures profondes. Cela n’a, pour l’essentiel, jamais été le cas pendant les dernières décennies.

Les politiques néo-libérales de gestion de la crise économique qui se sont succédé de manière quasi continue, à partir des années 1980, qu’elles aient été conduites par des gouvernements s’affirmant de gauche ou par d’authentiques gouvernements de droite, ont aggravé les inégalités

Ces politiques récessives, partant de l’idée que la crise est essentiellement due à une insuffisance de l’offre, du fait d’un coût salarial trop élevé, ont eu sinon pour objectif du moins pour effets : le développement du chômage, de la précarité et de la flexibilité de l’emploi, la baisse des salaires réels, un démantèlement rampant des systèmes publics de protection sociale destiné à en alléger le coût ; mais aussi une évolution du partage de la valeur ajoutée plus favorable au capital, un envol des taux d’intérêt réels et des bénéfices spéculatifs, une déréglementation progressive ou brutale des différents marchés, favorable à l’épanouissement de la liberté des plus forts qui a pour contrepartie un asservissement accru des plus faibles.

Avec pour conséquences contradictoires :

- un ralentissement de la hausse du pouvoir d’achat de la masse salariale globale, coïncidant avec une augmentation souvent importante des revenus non salariaux, notamment des revenus des placements financiers ;

- le développement des poches de misère dans des banlieues populaires, la multiplication des « nouveaux pauvres » –    vivant de la mendicité et de la charité dispensée par les associations caritatives –, faisant pendant à la multiplication des golden boys, opérateurs boursiers déployant leur génie spéculatif sur des marchés financiers rendus, par leur action, de plus en plus incontrôlables,

- enfin, un affaiblissement de la capacité régulatrice des États, en même temps qu’un renforcement du pouvoir de l’argent ou, plus exactement, du capital.

 

La mise en œuvre de ces politiques a signifié la rupture du compromis fordiste, qui avait fourni le cadre socio-institutionnel de la croissance économique entre 1950 et 1975, compromis dont les termes ont été à la fois imposés par le mouvement ouvrier et acceptés par la frange éclairée du patronat. Par divers mécanismes contractuels ou législatifs, ce compromis avait institué la répartition des gains de productivité entre capital et salariat, puis entre l’ensemble des catégories sociales, sous la forme d’une hausse de leur pouvoir d’achat ou d’une généralisation de la protection sociale. En dépit d’inégalités persistantes, cette répartition avait contribué à réduire les écarts sociaux. C’est à cette dynamique que la rupture de ce compromis a mis fin. Les politiques néo-libérales ont eu pour but d’en démanteler l’armature institutionnelle, opération nécessaire à la liquidation des acquis sociaux. L’aggravation récente des inégalités sociales est donc la conséquence directe de cette rupture.

 

Illustrons l’inefficacité de ces politiques par quelques exemples

1.une plus grande socialisation du revenu national ne peut pas suffire à réduire les inégalités : d’une part, la structure et la nature des prélèvements (impôts directs et indirects, cotisations sociales) sont en réalité fort peu progressives ; d’autre part, les allocations versées aux plus démunis restent dérisoires et les plus favorisés bénéficient davantage de cette socialisation qu’eux, notamment en raison de l’usage spécifique qu’ils font de l’école (et en particulier de l’enseignement supérieur) ou des institutions culturelles ; ils n’assument qu’en faible partie le coût de ces services publics et équipements collectifs, dont ils sont pourtant les principaux voire quelquefois les seuls bénéficiaires..

2.La réduction du temps de travail ne résout pas le problème d’un chômage, qui est structurel, mais, avec la flexibilité du travail, conduit à une diminution du pouvoir d’achat. En effet, dans la perspective néo-libérale, toute compensation salariale étant évidemment exclue , le coût salarial doit baisser en proportion du temps de travail pour ne pas compromettre la compétitivité des entreprises et l’ampleur des profits. La réduction du temps de travail aboutit ainsi en fait non pas à créer de nouveaux emplois mais à partager les emplois existants, autrement dit à partager le chômage et la pauvreté, par exemple sous la forme d’une généralisation du temps partiel contraint. Un mouvement inacceptable pour les salariés titulaires de salaires bas ou moyens, dont la situation s’aggraverait, et qui tourne le dos à l’objectif de réduction des inégalités.

 

Chapitre III. Les organisations socioprofessionnelles, et les conflits sociaux

 

I. Les syndicats de salariés

 

Autorisés en France depuis 1884, les syndicats ont pour mission la défense intérêts professionnels de leurs adhérents. La période considérée de 1945 à 1990 est caractérisée par un paradoxe : la faiblesse continue de la syndicalisation des salariés, et dans le même temps, la croissance du rôle des syndicats dans la vie sociale.

 

1. Caractères généraux

 

a. Le taux de syndicalisation depuis la guerre n’a pas dépassé 25% pour descendre jusqu’à 20% des salariés français ; encore est-il que cette moyenne recouvre de profondes disparités à titre d’exemple, 80% des instituteurs, 50% des professionnels du livre.

Mais cette faiblesse constante de la syndicalisation qui reste à expliquer n’empêche pas le rôle accru des syndicats dans la vie de l’entreprise et la vie nationale.

 

b. Le rôle accru des syndicats

 

-Dans l’entreprise

*Les syndicats sont représentés de droit (deux tours d’élection) dans les comités d’entreprise qui gèrent des sommes importantes : 1% de la masse salariale. Leur rôle est d’abord de gérer les œuvres sociales de l’entreprise (cantines, crèches, colonies de vacances, centre sportif, etc.) mais ils ont aussi un pouvoir de contrôle de la gestion de l’entreprise qui sera renforcé par les lois Auroux ; (nomination d’un expert comptable indépendant, etc.) ; enfin, dans les entreprises importantes, ces syndicats disposent de comité de permanents rémunérés (exemple des 600 personnes chez Renault).

*Depuis 1968, la loi reconnaît l’existence de la section syndicale qui choisit librement les délégués (qui sont déchargés de travail et protégé contre les licenciements abusifs)

 

-Au plan national

*Les syndicats participent à la gestion des caisses de sécurité sociale et certains ont créé des sociétés mutuelles d’assurance telle la MGEN (Mutuel Générale de l’Education Nationale) et la MAIF (assurance automobile). Depuis 1968, ils participent également à la gestion paritaire des Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce).

*Depuis la fin des années 60, les syndicats participent aux négociations salariales avec les pouvoirs publics et les organisations patronales.

*Depuis la fin des années 60, ils sont représentés au Conseil économique et social.

 

 

2. L’évolution

 

a. De la libération à la guerre froide 1944-1947.

*Le syndicalisme se reconstitue après la guerre. La CGT, réunifiée dans la Résistance, réunit une tendance majoritaire proche du PCF dirigée par Benoît Frachon qui est secrétaire général de la CGT et une tendance réformiste avec Léon Jouhaux qui s’organise autour du journal Force Ouvrière. La CGT, en 1946, est forte de 5 500 000 membres ;

A côté de la CGT, deux syndicats, la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) et la CGC (Confédération Générale des Cadres).

*Au lendemain de la guerre, ils participent à la vie politique et à l’effort de reconstruction :

-Marcel Paul, fédération des électriciens, est ministre de la production industrielle.

-Les syndicats participent à toutes les commissions du Plan.

-Mais, en 1947 l’exclusion des communistes par le gouvernement Ramadier va entraîner la scission syndicale.

 

b. La division du mouvement syndical

 

-La scission

 

*La prise en main par la CGT des grèves violentes de 1947 provoque la scission ; en avril 1947, les réformistes, avec Léon Jouhaux, créent la CGT-FO (Force Ouvrière) qui affirme son attachement à la charte d’Amiens de 1906, c'est-à-dire à l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des partis politiques.

*La FEN (Fédération de l’Education Nationale) refuse la scission, acceptant les tendances en son sein.

*La CGT reste cependant le syndicat dominant, obtenant 40 à 50% des suffrages aux élections de la sécurité sociale. Elle perd une partie de ses adhérents (plus d’1.5 millions), en raison du fait ou sous prétexte que elle est la « courroie de transmission » du PCF, (ses secrétaires successifs seront tous membres du bureau politique du PCF. Benoît Franchon (jusqu’en 1967), Georges Séguy (de 1967 à 1982), Henry Krasucki (à partir de 1982), puis Vianet et Bernard Thibault.)

 

-Les autres syndicats

*La CGT FO, 700 000 adhérents en 1960, implantée dans le secteur tertiaire (assurances, banques et fonction publique).

*La CFTC se transforme et à partir de 1961 sa tendance moins réformiste se sépare pour constituer la CFDT (Confédération Français Démocratique du Travail) avec à sa tête Eugène Descamps (puis Edmond Maire).

 

Conclusion

Excepté en 1958 avec la création des Assedic, on peut dire que dans la période de 1948 à 1960, les syndicats ne jouent pas un rôle décisif.

 

 

3. Du milieu des années 60 à la crise

 

La CGT et la CFDT concluent un pacte d’unité d’action en 1965, s’oppose aux ordonnances sociales de 1967, et, en mai 1968, apparaissent comme les deux organisations syndicales représentatives du mouvement social. L’une atteignant deux millions d’adhérents (la CGT), l’autre (la CFDT) 1.5 millions.

*Les rapports entre CGT et CFDT deviennent conflictuels après Mai 1968 ; la première, méfiante à l’égard du mouvement étudiant, adopte une position qu’on a dite « ouvriériste », tandis que la seconde se veut l’héritière des idées de mai 1968.

*Edmond Maire, à partir de 1971 multiplie les contacts avec tous les courants de la nouvelle gauche et prône la gestion démocratique de l’entreprise au travers de l’autogestion.

*A partir de 1969, et des secousses de Mai 1968, le patronat prend conscience qu’il ne faut pas refuser la concertation avec les syndicats, et le gouvernement présidé par Jacques Chaban-Delmas -gaulliste de gauche, conseillé sur le plan social par Jacques Delors- lance l’idée de l’économie concertée, incitant à la mise en place de conventions collectives par branche.

 

4. Les syndicats depuis la crise

 

Les difficultés du syndicalisme n’apparaissent vraiment qu’au début des années 80 ; les effectifs des deux principaux syndicats (CGT, CFDT) diminuent. En effet, la CGT a perdu ses assises à la suite de la désagrégation des grands bastions industriels ; la CFDT, est mise en porte-à-faux par le gouvernement de gauche.

Ce sont les syndicats réformistes comme FO, avec son secrétaire général André Bergeron, et la CFTC qui résistent le mieux à la crise.

Entre 1981 et 1986, la gauche au pouvoir mettra en place les lois Auroux, qui renforcent l’influence du syndicat dans l’entreprise.

Cette faiblesse des syndicats et leur division renforcent l’importance de syndicats autonomes qui défendent des intérêts corporatifs, (exemples, les syndicats de la RATP et de la Police (Alliance)

 

 

Nota : Les Lois Auroux

 

Les lois Auroux transforment les relations sociales au sein des entreprises, au moins dans les textes sinon toujours dans les faits :

- elles créent des délégués du personnel, élus par l'ensemble des salariés, et qui suppléent aux autres institutions représentatives du personnel (délégué syndical ou comité d'entreprise) en cas d'absence dans l'entreprise ;

- elles créent le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui remplace le Comité d’hygiène et de sécurité et la commission d’amélioration des conditions de travail du comité d’entreprise

- elles fixent les pouvoirs disciplinaires du chef d'entreprise et limitent très précisément le règlement intérieur ; celui-ci ne peut pas porter atteinte aux libertés individuelles et collectives ;

- de même, soucieux de mieux protéger les personnes victimes de discrimination dans le cadre de la vie professionnelle, un nouvel article du Code du Travail (L122-45) prohibe la sanction ou le licenciement d’un salarié fondé sur “son origine, son appartenance à une ethnie, une nation ou une race”...

- Elles rendent obligatoire dans chaque entreprise une négociation collective annuelle sur les salaires, la durée et l'organisation du travail.

 

II. Les autres organisations professionnelles

 

1. Les organisations agricoles

 

Dès le lendemain de la guerre, se constitue la CGA (Confédération Générale Agricole) dont l’une de ses composantes la FSNEA (Fédérations Nationale des syndicats d’exploitants agricoles) joue le rôle essentiel. Aux côtés de la FSNEA, comme son aile moderniste, se forme le Centre National des Jeunes Agriculteurs (SNJA) ; jusqu’aux années 80, la FSNEA jouit d’un quasi monopole syndical et se donne pour tâche de défendre les prix et les revenus agricoles au niveau national, en se faisant le seul interlocuteur du gouvernement, notamment de Jacques Chirac ministre de l’agriculture. Michel Rocard ira jusqu’à mettre en place, malgré la création d’autres syndicats, la pratique d’une sorte de co-gestion avec la FSNEA.

 

2. Les groupements patronaux

 

*En 1946, se constitue le CNPF (Conseil National du Patronat Français) qui regroupe un ensemble d’organisations régionales et de fédérations nationales industrielles. Il joue le rôle d’un groupe de pression conservateur et ses positions figées ne seront pas remises en cause, malgré les tentatives de réformateurs qui créent le Centre des Jeunes Patrons.

*L’ouverture progressive des organisations patronales est provoquée par les événements de Mai 1968 ; se multiplient alors les grandes négociations entre l’organisation patronale et les centrales syndicales. Cette ouverture est facilitée par l’influence dans l’organisation patronale des patrons-managers qui ne sont pas issus des dynasties familiales, mais font partie de la même élite que les hauts fonctionnaires de l’Etat, créant des liens entre les conseils d’administration des grandes sociétés et les cabinets ministériels.

*Le monde de la petite entreprise, plus rebelle au dialogue social, crée la Confédération Générale des PME (CGPME), qui représente un patronat patrimonial (qui possède l’entreprise), voulant préserver l’autorité des chefs d’entreprise et méfiant à l’égard des interventions de l’Etat.

 

III. L’Etat et les relations sociales

 

*L’Etat apparaît en France comme le régulateur des relations sociales, depuis les accords Matignon de 1936, les grandes réformes de la Libération, les accords de Grenelle en 1968 et les Lois Auroux en 1982. C’est l’importance du secteur contrôlé par l’Etat -que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises nationalisées- qui lui confère un rôle moteur dans l’initiative sociale (exemple, le rôle pilote joué par la régie Renault).

*Si l’Etat est au centre des relations sociales, les partenaires sociaux manifestent toujours une méfiance vis-à-vis de ses initiatives : le mouvement syndical est réticent parce qu’il porte encore les marques de ses origines révolutionnaires et parce qu’il s’affirme porteur d’un projet de société (pour la CGT, changement des structures, pour la CFDT, démocratisation de l’entreprise par l’auto-gestion).

*Les forces patronales sont méfiantes pour d’autres raisons : elles défendent leur indépendance, prônant le libéralisme contre l’intervention de l’Etat.

 

Cependant l’antagonisme entre le patronat et les organisations syndicales qui conduit le plus souvent à l’absence de tous dialogue exigera jusqu’à nos jours l’intervention de l’Etat pour éviter les conflits sociaux.

 

 

 

 

Chapitre IV. Familles, femmes et générations

 

 

I. Les comportements démographiques et la famille

 

1. Traditions et transitions jusqu’aux années 60

 

a. La dimension de la famille

Après la guerre, au modèle caractérisé par la relative importance du célibat et le mariage tardif se substitue le mariage généralisé et précoce (22 à 24 ans). La taille moyenne famille oscille désormais entre 2 et 3 enfants.

 

b. Une politique de la famille

 

Le code de la famille du 20 juillet 1939 marque le début d’une politique de la famille que tous les gouvernements ont poursuivie.

Suivi par le gouvernement de Vichy qui instaurera la fête des mères, par les gouvernements de la libération qui pénaliseront les célibataires et les ménages sans enfants en favorisant les familles par la mise en place du quotient familial.

En 1945-46 sont mises en place, avec la sécurité sociale, les principales mesures : allocations familiales dès le deuxième enfant, pendant toute la durée de la scolarité obligatoire, allocation logement, prime à la naissance (dans les premières années de mariage). Ces mesures sont destinées à favoriser les femmes qui restent aux foyers, et elles sont complétées par l’allocation de salaire unique. Cette politique de la famille favorisant la natalité est approuvée par toutes les couches sociales, à l’exception d’une fraction de la bourgeoisie, malthusienne qui craint de voir « les prolétaires se multiplier comme des lapins ».

 

 

Conclusion

Jusqu'en 1960, le modèle bourgeois de la famille reste dominant ; la place d’une mère est au foyer. Peu nombreuses sont les femmes des milieux aisés qui travaillent. Le fondement de l’union reste l’institution du mariage, la famille est pratiquement le seul lieu de reproduction, les relations intrafamiliales sont fortement hiérarchisées, la société exerce toujours sur les moeurs une étroite pression morale ; la sexualité reste un sujet tabou (fille-mères montrées du doigt)

 

2. Grande mutations des comportements depuis les années 60.

 

a. Les familles sont plus réduites :

Jusqu’en 1972, le nombre des mariages et des naissances restent élevés, mais le taux de nuptialité, et le taux de reproduction diminue sensiblement à partir des années 70. Un exemple : en 1947, 47% des familles ont trois enfants et en 1982, 29%. La famille se resserre, le nombre des enfants est désormais inférieur à deux, les familles où l’enfant est unique augmentent, les familles nombreuses sont plus rares. Les différences régionales s’estompent, qui en 1960 permettaient encore d’opposer une France du Nord féconde à une France du Sud malthusienne.

Mais si le croissant fertile du Nord a tendance à disparaître, des différences notables marquent le poids des traditions régionales ; les plus forts taux de reproduction se trouvent à l’Ouest, Morbihan , Vendée ; les plus faibles à Paris : 1.5. La principale explication du phénomène semble bien résider dans l’allongement de la durée des études, mais surtout dans une autre conception du travail chez les femmes, qui y voient une possibilité d’autonomie voire d’épanouissement personnel.

 

b. la limitation volontaire de grossesse

Alors que jusqu’alors les femmes ne savaient limiter leur fécondité que par des méthodes « naturelles » (méthode Ogino), cette période est déterminante pour la conquête par les femmes de la maîtrise de leur fécondité par les moyens modernes de contraception (pilule, stérilet). Dès les années 50 commence à se dessiner le mouvement en faveur de l’abrogation de la loi de 1920. La contraception est à l’ordre du jour : en 1956, est créé le Mouvement français pour le planning familial par le docteur Weill-Hallé. Le sujet est abordé dans les journaux féminins, surtout par Marie Claire, où l’on se réfère encore à la méthode Ogino. Ce mouvement rencontre l’intransigeance de la hiérarchie catholique, alors que dès 1962, 40% de ceux-ci sont favorables à l’utilisation des méthodes modernes.

C’est en décembre 1962, qu’est voté la loi Neuwirth reconnaissant le droit à la contraception. Mais il faudra six ans pour que passent les décrets d’application. De même, la loi sur l’avortement, discuté en 74, promulgué en 75, ne passera que grâce à l’appui des députés de gauche et du gouvernement Chirac.

C’est à partir de cette date que se créent des associations de catholiques intégristes comme « Laissez-les vivre » qui vont lutter contre le vote de la loi, puis contre son application, par des interventions intempestives, voire violentes.

-La diffusion des méthodes contraceptives ne progresse que lentement, ce qui explique le nombre toujours important des avortements.

 

c. Une révolution des mœurs ?

 

-Sexualité

Anecdote : mouvement de Nanterre en mai 1968, attribué à l’interdiction des visites féminines dans les résidences universitaires. Mise à part cette anecdote, on assiste à une révolution accélérée des mentalités concernant la sexualité : objet jusqu’alors du sujet conjugal ou de la grivoiserie, elle devient progressivement un moyen d’épanouissement personnel. Le docteur Simon écrit en 1972 : « Déculpabiliser le sexe et ses plaisirs voilà une des grandes tâches de la jeunesse en cette fin de siècle ». Des aspects visibles de cette libération des mœurs s’expriment dans les nudités affichées et dans l’affirmation des minorités sexuelles (homosexualité). Les Français sont passés d’une société qui enfermait la sexualité dans un cadre institutionnel à une société où elle apparaît parfois comme un bien de consommation parmi d’autres. De cette mutation témoigne le film de Roger Vadim (1956) qui met en scène Brigitte Bardeau dans toute sa nudité ou celui de Louis Mall dans les Amants avec Jeanne Moreau en 1958.

 

Malgré les groupes religieux ou politiques qui se scandalisent de cette société permissive la libération sexuelle progresse, notamment avec les jeunes dont la sexualité est de plus en plus précoce et libérée.

 

-La transformation du couple.

La famille traditionnelle n’a pas disparu, mais le couple n’est plus cette cellule stable dont on disait naguère qu’elle était indispensable à l’existence même d’une société. La maîtrise de la fécondité qui dépend de la femme a permis de rééquilibrer les rôles dans le couple contemporain. Dans ces couples, l’enfant n’est plus une fatalité, mais un choix.

Le problème est posé par les moralistes, qui nourrit les débats contemporains sur l’individualisme : le corps social peut-il fonctionner sans morale collective, l’affectivité peut-elle régler les conduites ?

 

 

II. Les femmes à la conquête de l’autonomie

 

En 1945, la situation des femmes dans la famille n’a guère changé ;

-Elle est soumise à son mari pour le choix du domicile conjugal.

-Elle ne possède pas la libre disposition des biens acquis par son travail qui est considéré comme un revenu d’appoint.

-Elle est mobilisée par les tâches ménagères ; (linge lavé à la main, parquet encaustiqué)

 

Les transformations sont progressives :

-la femme n’aura le droit de vote qu’à partir de 1944 ;

-Ce n’est qu’à partir des années 60 que les prises de conscience aboutissent à des réformes réelles.

 

1. Le travail des femmes

 

a. L’école

La mixité n’est généralisée que dans les années 60, au moment où le taux de scolarisation des filles rejoint celui des garçons. C’est à partir des années 70, qu’elles sont plus nombreuses dans les lycées que les garçons ; en 1986, elles représentent 60% des bacheliers.

Mais elles sont omniprésentes dans certaines séries (notamment les séries littéraires et les séries des baccalauréats techniques F et G)

Première fille à Polytechnique à la fin des années 1970.

Elles sont principalement orientées non plus seulement vers les métiers de la couture mais toujours dans l’enseignement professionnel. Qui les prépre à des postes de l’exécution du secteur tertiaire (dactylographie, etc.)

 

b. Taux d’activité

-Le taux d’activité pour les femmes de plus de 15 ans a toujours été important en France (36% en 1954, et 46% en 1990).

-De 1946 à 1970, elles sont employées dans le secteur tertiaire, dans la fonction publique, dans l’enseignement et les métiers de la santé.

-Les femmes employées dans l’industrie occupent des emplois non qualifiés dans des secteurs en expansion comme l’électronique.

-Les grands corps de l’Etat restent essentiellement masculins, de l’ordre de 5% au Conseil d’Etat et à la Cour des comptes.

-Augmentation des effectifs féminins : en 1962 38%, en 1990 68%.

 

2. Le féminisme

 

a. Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir

-Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, paru en 1949, donne un nouvel essor au féminisme français. La thèse repose sur l’analyse existentialiste ; selon la formule « on ne naît pas femme, on le devient », ce qui signifie que le statut des femmes n’est en rien l’expression d’un fait biologique.

-Elle s’attaque à tous les grands principes de la morale chrétienne, monogamie, indissolubilité du mariage, fidélité réciproque, acte sexuel lié à la procréation. Tous ces principes, pour Simone de Beauvoir constituent l’aliénation propre de la femme, et un mode spécifique d’exploitation qui ne sont pas les mêmes que ceux de l’ouvrier.

 

b. Les mouvements féministes

-Avant mai 1968, de nombreuses associations avaient soulevé le problème de l’aliénation féminine, mais elles ne parviennent pas à mobiliser l’opinion publique. Des journaux comme Elle (dirigée par Françoise Giroud) et Marie Claire participent à ce mouvement mais ils ne s’adressent qu’aux couches aisées de la population. La presse féminine populaire (Nous deux, Confidence) est une presse du cœur qui véhicule l’image traditionnelle de la femme attendant le prince charmant.

-Les événements de 1968 entraînent une radicalisation du mouvement ; le MLF (Mouvement de Libération de la Femme) s’emploie à analyser la spécificité de la condition féminine et à fixer pour objectif de la transformer. Très vite le mouvement se scinde avec la création du groupe des féministes révolutionnaires qui veulent « tout chambarder » et organisent des manifestations contre la fête des mères (1971) ou pour dénoncer des crimes commis contre les femmes. Elles réclament la liberté des femmes hors mariage, le droit de reconnaître ou non le père biologique de l’enfant ; la suppression de ce qu’elles appellent « l’appropriation privée du corps des femmes par les hommes ».

-Dès le début des années 70, Giselle Halimi fonde l’association Choisir et écrit en 1973 La cause des femmes. Elle se donne pour but de faire abroger la loi de 1920 condamnant pénalement l’avortement. Peu avant, avait paru le manifeste des 343 (des femmes connues, des intellectuelles, des artistes défiait la loi en affirmant avoir elles-mêmes avorté). Au procès de Bobigny -adolescente accusée d’avortement- Giselle Halimi alerte l’opinion publique.

- A partir des années 80, le féminisme s’essouffle, quelques femmes apparaissent au premier plan, journalistes, vedettes des médias, etc., mais ce ne sont que quelques femmes dans un monde dominé par les hommes.

 

c. Conquête législative et action politique.

-En 1936, trois femmes sont sous-secrétaire d’Etat. Alors même qu’elles n’ont pas encore le droit de vote.

-Ordonnance du 21 avril 1944, droit de vote aux femmes.

-35 femmes élues à l’Assemblée Constituante. Longtemps, leur comportement électoral reste conservateur.

-1965, loi accordant aux femmes la faculté de gérer ses biens propres et d’exercer une profession sans le consentement de son époux.

-En 1970 seulement, la notion d’autorité parentale est substituée à celle d’autorité paternelle.

-Et en 1975, le droit lui est accordé de choisir le domicile conjugal.

-En 1974, Giscard D’Estaing impose à Chirac la nomination de Françoise Giroud comme secrétaire d’Etat à la condition féminine, chargée de favoriser l’accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité dans la société française, et à éliminer la discrimination dont elle peuvent faire l’objet.

-En 1976, lui succèdera Monique Pelletier, et après 1981, Yvette Roudy.

-En 1981, le nombre des femmes élues à l’Assemblée nationale s’élève à environ 30.

Conclusion

La libération des mœurs a transformé la place de la femme et lui a donné une certaine autonomie sans que la société soit capable d’instaurer une véritable égalité.

 

III. Jeunes et vieux

 

1. Les générations

 

La forte progression de la natalité d’après-guerre, le baby boom, explique le rajeunissement de la population dans les années 60. Le vieillissement de la population s’il est visible, n’apparaîtra dans toute son ampleur que lorsque les générations nées après 1945 dépasseront l’âge de 60 ans.

-La transformation de la famille, la généralisation de l’école pour une durée plus longue, ont modifié le rôle des différentes générations et leur place dans la société. Une des grandes nouveautés de la période, c’est la constitution de classes d’âge en groupes autonomes, avec leur comportement spécifique, leur mode de vie et leur mentalité. C’est ainsi que se développent « des solidarités horizontales » rassemblant les générations -associations, etc.- qui s’accompagnent de l’affaiblissement des structures verticales et hiérarchiques de la famille. Désormais le temps de vie de chacun s’articule en trois moments, le temps de l’apprentissage et de la formation (qui se prolonge), le temps de l’activité et le temps de la retraite.

 

2. Naître et mourir, une existence médicalisée

 

a. L’allongement de la durée de vie

L’espérance de vie est un indicateur plus précis de l’évolution de la mortalité que le taux de mortalité qui varie suivant la structure par âge de la population.

 

Espérance de vie

 

 

Hommes Femmes

 

1935 56 ans 62 ans

 

1946 60 ans 65 ans

 

1965 67 ans 75 ans

 

1990 71 ans 80 ans

 

 

 

Ce n’est pas le moment de la mort qui a reculé, mais les risques de disparaître prématurément ; cela concerne aussi bien la diminution de la mortalité infantile (qui était la plus importante) que celle des personnes âgées.

-L’allongement de la durée moyenne de vie a des conséquences importantes sur les structures sociales, mais aussi sur les mentalités : la mort et même la maladie ne sont plus considérées comme une fatalité, mais comme un scandale.

 

b. La santé

 

Les progrès de la médecine et la sécurité sociale ont transformé la vie des Français. En même temps, le poste santé dans le budget de l’Etat et des Français n’a cessé d’augmenter. La sécurité sociale s’est peu à peu généralisée, s’étendant en 1961 aux salariés agricoles et en 1966 aux professions non salariées. Les médecins sont dit « conventionnés » qui ont conclu des accords avec la Sécurité Sociale. Les Français adhèrent à des mutuelles pour compléter les remboursements de la Sécu. Les hôpitaux ont été réformés par l’ordonnance de 1958 créant les CHU (Centre Hospitalier Universitaire, (où l’apprentissage de la médecine est rattaché à certains hôpitaux.)

Les difficultés de la sécurité Sociale relèvent de plusieurs facteurs :

-Le vieillissement des populations qui a accru les maladies cardio-vasculaire et les cancers.

-Les accidents de la circulation

-Les risques liés aux modes de vie (alcool, tabac)

 

c. L’inégalité devant la mort

 

L’espérance de vie est inégale selon les catégories socioprofessionnelles, elle recouvre à quelques exceptions prês la hiérarchie des revenus. Ces écarts sont dus principalement aux conditions de travail et de vie suivant les milieux socioprofessionnels et aux inégalités face à la consommation médicale. Cette inégalité est aussi une inégalité entre les sexes.

L’évolution fondamentale des comportements sociaux réside non seulement dans l’attitude des individus devant la maladie et la mort, mais aussi dans leur attitude à l’égard de la médecine, dont elles attendent non seulement des soins, mais aussi, un confort de vie physique et psychique.

 

3. L’enfance

 

-Le phénomène majeur est sans doute la socialisation précoce des enfants à travers le développement de l’enseignement pré-scolaire (voir chapitre VI formation et enseignement). Ce phénomène s’explique à la fois par des raisons sociologiques, le travail des femmes, mais aussi l’absence des grands-mères pour garder les enfants. Elle s’explique aussi par une attitude nouvelle, une évolution de la famille qui confie à la société le soin de l’apprentissage et de la socialisation.

Les conditions de vie des enfants sont transformées par les changements du mode de vie notamment l’introduction de la télévision dans tous les foyers à la fin des années 60. Dans les années 60 les enfants regardaient l’ours débonnaire de « bonne nuit les petits », dans les années 70 ils regardent maintenant les productions Walt-Disney et le héros Goldorak, sans compter l’arsenal des films de violence. La télévision, mais aussi la bande dessinée et les nouveaux jeux, donnent aux enfants une culture et une ouverture au monde indépendante du milieu familial.

 

Conclusion

La famille joue toujours son rôle, mais non plus comme un lieu d’apprentissage, mais de plus en plus comme une communauté affective et comme une communauté de loisir.

 

 

 

 

 

4. Des vieux au troisième âge

 

Notion biologique, la vieillesse tend à devenir progressivement une notion économique ; les vieux d’autrefois forment désormais le troisième âge ; une période qui devient constitutive de l’existence, au fur et à mesure qu’elle s’allonge par l’augmentation de l’espérance de vie et l’avancement de l’âge de la retraite.

Chiffres

Plus de 65 ans : 1946 : 4.5 millions / 1968 : 6.4 millions / 1990 : 8.3 millions.

Le groupe des personnes les plus âgées (un quatrième âge ?) -plus de 85 ans- a quadruplé en un quart de siècle. 800 000 en 1990.

 

Les évolutions sont de plusieurs ordres :

-Malgré la généralisation de l’assurance vieillesse à partir de 1946, les personnes âgées deviennent en raison de l’inflation des « économiquement faibles » ;

-Au milieu des années 50, plus des ¾ d’entre elles ont un revenu inférieur au minimum vital, d’où la création en 1956 du fond de solidarité financé par la vignette automobile. Les vieux se replient dans des logements vétustes et exigus, souvent éloignés de leurs enfants, avant qu’ils ne soient contraints d’entrer dans les maisons de retraites ou dans les hospices. En effet les rapports des grands-parents avec leur descendance ont évolués au cours de la période ; dans le foyer replié sur la famille nucléaire (parents+enfants) il n’y a pas place pour les parents âgés.

-Mais dans la catégorie du troisième âge, l’inégalité ne manque pas de se manifester pour des classes aisées et la partie supérieure des classes moyennes ; pour celles-ci, la retraite devient le temps des loisirs. En 1982, 2 millions de personnes âgées sont inscrites dans quelques 15 000 clubs. Ils fréquentent les théâtres, les musées, les expositions et s’adressent aux organisations de voyage, toutes ces manifestations s’accompagnant d’une solidarité générationnelle.

 

La retraite a changé de signification ; considérée au début de la période comme un temps de repos bien mérité, elle est de plus en plus vécue comme un nouveau départ dans la vie.

 

Conclusion : L’exclusion de la mort

Toute cette évolution, comme l’ont montré les travaux de Philippe Ariès, est couronnée par la nouvelle attitude des hommes devant la mort. Les cortèges conduisant les morts du domicile à l’église, puis de l’église au cimetière ont disparu, de même les portes du domicile voilées de noir, de même les vêtements noirs (qu’elles gardaient jusqu’à la fin de leur jour) et les voiles de crêpe des veuves. Disparaissent des vitrines des teinturiers « Deuil en 24 heures » (pour teindre les vêtements). Dorénavant, la mort s’est réfugiée et cachée dans les hôpitaux. Dès les années 60, on voit apparaître les premiers funérariums comprenant hôtesses, salon de réception pour la famille, vente de fleurs, etc. Cette évolution a sa contrepartie ; le deuil n’est plus pris en charge par la société, il est vécu comme un événement tragique personnel au sein du groupe familial.

 

Chapitre VI. La formation et l’enseignement, les croyances et les pratiques culturelles

 

Introduction

Une étude rapide laisserait croire à un mouvement d’ensemble de la société :

-Les Français abandonneraient les formes traditionnelles d’encadrement spirituel et déserteraient les églises ;

-Au plan de la culture, l’éducation humaniste ferait place à une culture de masse liée à l’irruption des loisirs et de la consommation.

-Enfin, l’enseignement serait bouleversé par une ouverture à l’ensemble de la population.

Qu’en est-il ?

 

I. La formation et l’enseignement

 

1. L’héritage de la tradition républicaine

 

En 1945, la société française hérite d’un système scolaire bâti par la III° République.

 

a. L’école primaire

A la base du système, l’école primaire, obligatoire jusqu’à 14 ans (depuis 1936 seulement) est l’école du peuple qui conduit au certificat d’étude. Les seuls changements correspondant à la demande sociale, furent la création des écoles primaires supérieures et des cours complémentaires. Le primaire constitue ainsi un monde clôs : seuls les éléments les meilleurs sont sélectionnés par les instituteurs, qui, grâce aux bourses les dirigent vers d’autres enseignements.

 

b. L’enseignement secondaire

L’enseignement secondaire est réservé à un petit nombre. Il existe dans les lycées des petites classes qui permettent aux enfants des élites d’accéder à l’enseignement secondaire sans passer par les écoles primaires.

Jusqu’en 1930, les effectifs des lycées ne dépassent pas 200 000 élèves, et les bacheliers 10 000 ; Il faut attendre 1936 pour que l’on crée dans les lycées des sections modernes (échappant aux humanités)

 

c. L’enseignement supérieur

Il se caractérise par la coexistence des universités et des grandes écoles. A la veille de la guerre, le nombre d’étudiants ne dépasse pas 75 000. Ainsi, la bourgeoisie maintient par ce système les moyens de se reproduire : une culture élitiste, construite autour des humanités.

Dès avant la guerre, la gauche revendique l’école unique : la suppression des cloisonnements entre l’école du peuple et l’école des notables ; les seules réformes jusqu’à la fin des années 50 sont la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, décidée par Jean Zay, et la progressive gratuité de l’enseignement secondaire.

2. L’explosion scolaire

 

Vers 1950, moins du quart des jeunes de 10 à 17 ans sont scolarisés. Ils seront 75% en 1980. Cette explosion s’explique -en particulier pour l’enseignement primaire- par la croissance démographique de l’après-guerre (baby boom).

Mais le développement et les réformes de l’enseignement secondaire sont entreprises avant l’arrivée des enfants du baby boom dans les classes secondaires et nous renvoient donc aux mutations de la société à partir des années 60.

 

a. L’enseignement primaire

-L’urbanisation et la croissance du travail féminin entraînent le développement de l’enseignement préscolaire : les maternelles passent de 9 000 avant la guerre à 2.6 millions en 1975.

-Le nombre des écoles élémentaires est quasiment le même en 1948 qu’au début du siècle (70 000). Les effectifs évoluent avec la vague démographique jusqu’à 5 millions à la fin des années 1970.

-En 1959, la scolarité obligatoire est portée à 16 ans. L’école primaire est désormais banalisée, elle n’est plus l’école du peuple, mais l’école de tous. La profession d’instituteur est dévalorisée et en même temps féminisée, l’instituteur n’a plus le rayonnement social qu’il avait au temps de la communale. Le contenu de la formation se modifie, on adjoint aux apprentissages de base des activités d’éveil : une nouvelle pédagogie.

 

b. L’enseignement secondaire

L’exode rural, l’urbanisation, l’évolution de l’économie et les mutations exigent l’allongement du temps scolaire.

- Comment transformer un enseignement jusque là réservé à une élite en un enseignement de masse ? La croissance démographique aggrave les problèmes quand la vague du baby boom atteint l’enseignement scolaire.

-Les effectifs passent de un million en 1951 à 5 millions en 1979-80.

-15% de bacheliers d’une même classe d’âge, au début de la période (en 1950) et plus d’un tiers au milieu des années 80.

 

Les problèmes soulevés par cette mutation expliquent la succession des réformes de l’enseignement :

-La prolongation de la scolarité jusqu’à 16 ans -décidée en 1959- oblige à regrouper dans une école moyenne unique tous les enfants. Les filières sont supprimées qui juxtaposaient l’enseignement primaire (école élémentaire + cours complémentaire) et l’enseignement secondaire pour être regroupées dans les lycées de la 6ème au baccalauréat.

-1963 : réforme Fouchet ; à l’intérieur du lycée, on distingue des sections différentes qui reproduisent les anciennes filières : deux sections de types lycée (classique et moderne) conduisant au baccalauréat ; et une section courte. jusqu'à la 3ème., sanctionnée par le BEPC.

-Entre 1963 et 1975, date de la réforme Haby se mettent place les collèges d’enseignement secondaire. A l’intérieur de ces collèges, on met en place une ségrégation entre les classes « parking » ou de transition concernant les enfants des catégories sociales les plus défavorisées et celles qui conduisent les élèves des classes moyennes à l’entrée en seconde au lycée.

-En 1975, la réforme Haby supprime les différentes sections des CES pour répondre à un désir d’égalité formelle. Ainsi, les élites sociales ont rétabli les stratégies qui leur permettent de donner à leurs enfants les possibilités de ne pas être submergées dans un enseignement ouvert à tous. A l’intérieur des lycées, le choix des langues vivantes et l’option pour les sections mathématique (section C) conduisant aux classes préparatoires aux grandes écoles renforcent la ségrégation.

 

c. L’enseignement supérieur

Dans les années 60, l’enseignement supérieur doit affronter un brusque afflux d’étudiant. Chiffres : nombre d’étudiants multiplié par 10 entre 1950 et 1980 (de 100 000 à un million). Les structures du supérieur ne sont pas adaptées à cet afflux. Les deux systèmes concurrents que sont les universités et les grandes écoles vont servir de base à la ségrégation. Dans les années 70, 90% dans les universités, 10% dans les classes préparatoires. S’ajoutent à ce système dans les années 70 la création des IUT (Institut Universitaire de Technologie et les BTS Brevet de Technicien Supérieur, préparés en deux ans)

 

3. Crise de l’école ou crise de la société ?

 

L’ambition de l’école formulée dans la réforme Haby, en juillet 75, consiste à lui assigner non plus seulement la préparation à la vie professionnelle mais aussi l’éducation de l’homme et du citoyen ; enfin on lui assigne également pour but d’être l’instrument de l’égalité des chances. Désormais l’école a un triple rôle : la famille disparaît comme lieu essentiel de socialisation, l’instruction était publique, l’éducation devient nationale.

 

a. L’école et l’égalité des chances

La démocratisation et l’égalité des chances sont des thèmes récurrents, mais en même temps l’école est dénoncée comme favorisant la reproduction sociale et perpétuant les inégalités. De fait, tous les chiffres montrent que la démocratisation est très lente.

N’est-ce pas dire que l’école ne peut effacer les inégalités, mais qu’elle reflète les structures de la société en s’adaptant tant bien que mal à son évolution ?

 

b. Mai 1968

La croissance des années 60 remet en cause l’ordre traditionnel de l’école ; les jeunes ne veulent plus reproduire les valeurs des générations précédentes ; l’école doit devenir un lieu convivial qui assure l’épanouissement de tous. Et elle ne saurait être considérée comme l’instrument destiné à fabriquer des travailleurs. Ainsi, à partir de Mai 1968, s’achève la vieille idéologie dont l’école était porteuse depuis Jules Ferry ; le système scolaire avait alors une mission claire d’acculturation, à la fois diffusion des savoirs de base, et d’une morale laïque, facteur d’intégration sociale. Pierre Chevènement, ministre en 1984, essaiera en vain de ranimer la flamme républicaine. On a pu direction que la société était malade de son école, il vaudrait mieux dire que l’école est malade de la société.

 

II. Les croyances

 

1. L’évolution du phénomène religieux

 

On peut tracer à grand trait l’évolution du phénomène religieux en partant du catholicisme, religion dominante jusqu’à la fin de la période qui nous concerne.

 

a. Très longtemps en France, le catholicisme a été un phénomène de mentalité, c'est-à-dire un ensemble de pratiques inscrit dans la vie quotidienne, structurant naturellement les groupes sociaux et permettant l’insertion de l’individu au sein des communautés. On naissait et on mourrait catholique ; l’espace commun, celui des villages en particulier était un espace religieux (église au centre du village) ; A tel point que le non-pratiquant était exclu de la communauté, a-social.

 

b. Progressivement au XIX° siècle -plus tardivement dans certaines régions comme l’Ouest- la religion qui était un phénomène de mentalité devient un phénomène d’opinion. La République cherche à construire un espace républicain, des valeurs : progrès, humanisme militant, et une morale se posent en concurrentes des valeurs et de la morale catholique. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la société française appartient encore aux deux temps de cette évolution.

 

c. L’évolution décisive est celle de la seconde partie du XX° siècle ; la croyance disparaît pratiquement comme phénomène de mentalité, elle subsiste comme phénoméne d’opinion dans des groupes désormais minoritaires. Et, pour l’ensemble de la population, elle devient un phénomène culturel. Les pratiques sociales qui se sont développées (culture de masse, loisir, etc.) sont des pratiques individuelles qui n’impliquent aucune vision du monde.

Certes, il reste une imprégnation culturelle judéo-chrétienne, mais cette culture ne s’incarne plus dans un ensemble de pratiques.

 

2. L’évolution du catholicisme et des catholiques dans la société française

 

a. Effondrement de l’appareil clérical dû en particulier au tarissement des vocations ; Début des années 50, un millier de nouveaux prêtres ordonnés chaque année, depuis la fin des années 70, 100. (sans compter les prêtres qui ont quitté l’état clérical).

 

b. A partir du milieu des années 60, une nouvelle génération de prêtres post-conciliaires ;

Le concile de Vatican II -de 1962 à 1965- a réalisé l’aggiornamento de l’Eglise, rejetant les aspects les plus visibles de la présence cléricale dans la société : abandon de la soutane par les prêtres ; disparition progressive de grandes processions (exemple : la Fête-Dieu). Plus grande austérité des cérémonies, et introduction de la langue vulgaire à la place du latin dans la liturgie. Ces prêtres semblent se fondre dans le corps social, et abandonnent aux laïcs de nombreuses tâches (par exemple le catéchisme).

 

c. L’insertion de l’Eglise dans la société

 

-Au début de la période

*L’Eglise se présente non seulement dans le cadre traditionnel de la paroisse, mais dans des mouvements d’actions catholiques. Depuis les années 30, grande vitalité et rôle majeur dans la société française, de la JAC, la JOC, JEC (Jeunesse agricole catholique, jeunesse ouvrière catholique, jeunesse étudiante chrétienne). Ces mouvements ont formé les militants qui ont constitué les éléments catholiques de la Résistance ; ce sont eux qui ont été les agents de la modernisation des campagnes françaises. Ce sont eux qui ont fourni de nombreux responsables du MRP, exemple Georges Bidault.

Cet engagement social est pris en charge par l’Eglise de France.

*L’épiscopat français, prenant conscience des phénomènes de déchristianisation autorisent quelques prêtres dans le cadre de la Mission de France à vivre de leur travail ; c’est l’expérience des prêtres ouvriers qui travaillent dans les usines, militent dans les syndicats, etc. Expérience connue du grand public par le livre de Gilbert Cesbron : Les Saints vont en enfer. En 1953, le pape met fin à l’expérience, craignant la compromission des prêtres dans un engagement syndical et/ou politique.

*Peu à peu, au seuil des années 50, les Catholiques se sont intégrés à la vie de la cité, agissant désormais selon la formule de Maritain, non plus en tant que chrétiens mais en chrétiens.

 

-Tout change dans les années 60

Progressivement dans la société, l’Eglise catholique n’occupe plus que des îlots reconnue plutôt que écoutée.

Par ailleurs, elle est divisée : un noyau très actif de traditionalistes et d’intégristes qui luttent contre les acquis de Vatican II, souvent proches de l’extrême droite, et particulièrement actif (exemple contre l’avortement). D’autre part, des Chrétiens progressistes, très actifs dans les luttes politiques, regroupés autour de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien. Ils se fondent progressivement dans des courants laïcisés ; c’est ainsi que les militants de la CFTC, souhaitant l’abandon de la référence chrétienne fondent la CFDT.

 

d. L’évolution des pratiques religieuses

 

C’est la sociologie religieuse qui permet de mesurer l’adhésion des Catholiques aux pratiques de la religion.

-La majorité des Français sont baptisés et se disent catholiques à près de 80% encore à la fin de la période, mais ils ne manifestent aucune pratique. Les pratiquants réguliers sont de moins en moins nombreux suivant les régions : en moyenne, à la fin de la période, pas plus de 10 à 15%. Les seules pratiques restent liés aux grands événements familiaux (Baptêmes, mariages, obsèques). 30% seulement d’obsèques civiles en 1983.

 

Conclusion

Ainsi la pratique catholique est devenue un phénomène minoritaire dans la société française. Le catholicisme n’imprègne plus le corps social.

 

3. Des minorités religieuses

 

a. Les Protestants

 

Environ un million, notamment dans l’Est, le midi et la région parisienne. Détenteurs d’une histoire, plus ouverts que les Catholiques aux évolutions de la société, ils représentent un des réseaux qui structurent la société française par une culture commune.

 

b. Les Juifs

 

-Les Juifs parfaitement intégrés en France, y compris les juifs de la dernière vague, voient leur communauté s’accroître par l’arrivée de 300 000 Juifs Séfarade d’Afrique du Nord à partir de 1960. Ils sont aujourd’hui 600 000. Résidant pour la plus grande partie en région parisienne.

-Ils entretiennent un lien particulier avec l’Etat d’Israël ; on assiste au renouveau du judaïsme par la redécouverte de la mémoire commune ; elle se manifeste par l’apprentissage de l’hébreu et un retour aux pratiques religieuses traditionnelles.

 

c. Les Musulmans

 

-2.8 millions. L’Islam est devenue la seconde des grandes religions de la société française ; que les fidèles soient français ou étrangers, la communauté est caractérisée par un attachement à la pratique de la religion qui se manifeste par la multiplication des lieux de prières. (plus de 400 en 1980)

 

4. Autres formes de croyances

 

a. Les voyants et voyantes

Ils sont 30 000 et reçoivent 8 millions de consultations par an.

 

b. Horoscope et astrologie

Introduits dans les médias, illustrés par Madame Soleil sur Europe 1 plus de 15 000 appels téléphoniques quotidiens.

 

c. Les sectes dont l’audience est grandissante à partir des années 1970.

 

 

 

 

 

Chapitre VIII. Culture, loisirs et communication de masse

 

I. La fin d’une époque (1945-1955) et une nouvelle période, de 1955 à 1990

 

1. L’élan de la libération

 

Les années d’après guerre retrouvent les espoirs et les aspirations du Front Populaire, après la parenthèse Vichyssoise.

a. Dans l’atmosphère productiviste de la libération, le travail doit passer avant la détente ; et les salariés devront attendre 1956 pour obtenir une troisième semaine de congé payé.

b. Cependant, l’esprit du temps impose de faire partager au peuple la culture, en même temps que l’espérance d’une nouvelle société. Sartre écrit « Nous demeurons bourgeois par notre culture, notre mode de vie, […] mais, en même temps, la situation historique nous incite à nous joindre au prolétariat pour construire une société sans classes. »

Le symbole de cette aspiration c’est le Théâtre National Populaire de Jean Vilar et le Festival d’Avignon, qui révèle Gérard Philippe dans Le Cid.

c. L’époque est celle du militantisme engagé ; à preuve :

-La multiplication des journaux quotidiens (203) y compris des journaux d’opinion (L’Humanité, Le Populaire de la SFIO, L’Aube du MRP, Franc-Tireur, Libération, mais surtout Combat (animé par Albert Camus), et la naissance du Monde de Hubert Beuve-Méry)

-Le rôle des intellectuels qui sont au premier plan de l’actualité, écrivains artistes, élèves de l’Ens, tous compagnons de route du PCF à cause en particulier de son rôle dans la Résistance. Au centre de la vie parisienne, débats entre Sartre et Camus ou entre Sartre et Raymond Aron ; le marxisme est au cœur de la réflexion.

d. Cette période est celle aussi des mouvements de jeunesse ; ceux de l’Action catholique (JAC, JOC, JEC) ; mais aussi les mouvements de jeunesse créés par les partis politiques : (L’UEC –Union des Etudiants Communistes- et la fédération Léo Lagrange crée par Pierre Maurois)

 

2. L’annonce d’une nouvelle période

 

Le climat unanimiste de la libération ne survit pas à la guerre froide ; après 1947 le prolétariat, influencé par le PCF se retrouve en marge de la vie politique et la Troisième Force, après 1947 abandonne ses velléités de changement.

 

a. La presse quotidienne évolue très vite

 

Un grand nombre de journaux quotidiens disparaissent, qui laissent place à l’immense succès du quotidien France-Soir de Pierre Lazareff qui tire à plus d’un million d’exemplaires et à la nouvelle autorité du journal Le Monde.

 

b. C’est vers le milieu des années 50 que se multiplient les signes des grades mutations culturelles : Radio 11 millions de postes en 1958, en 1955 fondation d’Europe 1 ; dans les livres Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, au cinéma, Dieu créa la femme de Roger Vadim avec Brigitte Bardot. Au niveau des loisirs, création du Club Méditerranée, création du Tiercé par le PMU, création du microsillon et du transistor.

 

En 1955, l’ère des loisirs et de la culture de masse s’annonce.

 

II. La culture et ses publics

 

 

a. Culture, cultures et culture de masse

 

De 1958 à 1969, André Malraux, ministre des Affaires Culturelles du Général De Gaulle, créant les Maisons de la Culture, se donne pour mission de mettre l’Art et la culture à la portée de tous ; mais dès le milieu des années 60 et particulièrement en 1968, cette conception de la culture est dénoncée comme l’instrument des classes sociales privilégiées. On prône la libre création culturelle, non plus une, mais des cultures.

-Alors que jusque là le cinéma représentait la culture de masse, l’apparition de la télévision, la multiplication des livres bon marché, la diffusion du disque, permet à la culture de pénétrer des milieux de plus en plus larges : elle peut maintenant être, selon l’expression d’Edgar Morin consommée.

 

Problème : Faut-il opposer la véritable culture à la culture de masse qui diffuse des produits (aussi bien la publicité que la chanson populaire ou la robe d’un couturier).

Toujours est-il que la multiplication des formes de la culture entraîne l’apparition de publics différents.

 

b. « Les trois publics »

 

-Un premier public composé de spécialistes (professeurs, professionnels de l’édition) qui constituent le « Tout-Paris » (Thèses universitaires, revues spécialisées, musique de Pierre Boulez)

-Un second public ; qu’on pourrait appeler le « grand public cultivé » ; c’est le monde des nouvelles classes moyennes, la frange de la population qui a eu accès à l’enseignement supérieur. Ce public se reconnaît dans des émissions littéraires télévisées comme Apostrophe de Bernard Pivot, dans des magazines comme L’Express ou le Nouvel Observateur ; Lecteurs des prix littéraires, public du théâtre et des expositions.

-Le troisième public est-il concerné par le « culturel » ? Un tiers des français ne lit jamais de livre (9/10) ne vont jamais au théâtre ni au concert. C’est le public de la télévision et des spectacles sportifs. Culture ou loisir ? La gauche au pouvoir avec Jack Lang va tenter de donner ses lettres de noblesse à cette nouvelle culture.

 

c. Les intellectuels

 

-Depuis l’Affaire Dreyfus, les intellectuels tiennent dans la société française une place qui traduit l’importance des débats idéologiques ; leur territoire s’étend de la dénonciation des injustices à la critique de l’idéologie bourgeoise dominante et à la promotion d’une autre société. Les plus actifs se situent dans la mouvance du PCF ;

-Après 1956 (Chars entrent à Prague et XX° Congrès PCUS), ils épousent d’autres modèles la Chine de la Révolution Culturelle et le Cuba de Fidel Castro, pendant que la guerre du Vietnam entretient l’anti-américanisme.

-Dans les années 70, le climat intellectuel se transforme au point qu’on a parlé de l’effet Soljenitsyne qui publie l’Archipel du Goulag en 1974. Après les dénonciations du stalinisme, les révélations sur la Chine de Mao, le génocide du Cambodge, la méfiance et bientôt la crise des idéologies se développent. Le temps du prophétisme est révolu. Et les intellectuels se replient sur la défense des droits de l’homme et l’aide aux associations humanitaires.

 

III. Les communications de masse

 

1. La presse écrite

 

C’est la presse quotidienne militante qui a le plus souffert, alors que des quotidiens régionaux comme Ouest-France ont résisté.

-Les magazines d’information se développent comme L’express, Le Nouvel Observateur, Le Point (1970), Le Figaro Magazine, L’Evénement du Jeudi.

-Ce sont les périodiques qui l’emportent, s’adressant à des publics spécialisés : La presse féminine, mais aussi les hebdomadaires des bricoleurs, des jardiniers du dimanche, des sportifs, des amateurs d’histoire, des philatélistes, des bridgeurs, des pêheurs à la ligne !

Pendant ce temps et dans cette période le pluralisme de la presse d’information est menacé par l’importance de plus en plus grande prise par les grands groupes capitalistes, notamment Hersant. La disparition de la presse d’opinion concourt à la crise des idéologies.

 

2. La radio et la télé

 

En 1957, 60 000 postes de télé ;

11 millions de téléspectateurs en 1973, 16 millions en 1980. etc. 93% de la population en 1984.

 

Loi de 1982, supprime le monopole de programmation, les radios libres ont été autorisées en 1981. Sont créées la 5 et Canal +, chaîne à péage. TF1 est privatisée en 1987.

 

Contrairement aux autres pratiques culturelles, la télévision comme la radio atteint, sans distinction de classe sociale, tous les Français.

Problème : ce média de masse ne condamne-il pas la culture de masse à l’uniformité et à la médiocrité ?

 

 

Chapitre IX : Les Loisirs

 

I. Le Loisir

 

1. Historiquement,

Le concept de loisir correspond à une réalité historique ; Pour qu’on puisse parler de loisir, il faut que deux conditions soient réalisées dans la vie sociale ::

– que les activités de la société ne soient plus réglées dans leur totalité par des obligations rituelles imposées par la communauté, que l’activité des individus échappe aux rites collectifs, même si les déterminismes sociaux s’exercent sur eux.

– que le travail professionnel se soit détaché des autres activités, soumis à une limite arbitraire, non naturelle, a une organisation spécifique, si bien que le temps libre est assez nettement séparé ou séparable de lui.

Ces deux conditions de la vie sociale ne se trouvent réunies que dans les civilisations industrielles Quand le loisir pénètre dans la vie rurale des sociétés modernes, c’est que le travail rural tend à s’organiser sur le mode du travail industriel et que la vie rurale est pénétrée par les modèles de la vie urbaine qui y correspondent

 

2. Définitions

De nombreuses enquêtes menées depuis l’après-guerre ont permis de préciser l’étendue et les limites du concept de loisir et de préciser les caractères spécifiques de cette réalité dans les sociétés modernes.

Il faut d’abord distinguer le loisir et le temps libre :

Le temps libre inclut le loisir mais aussi toutes les autres activités extra-professionnelles : les nécessités et obligations personnelles (nourriture, entretien, sommeil) ; les obligations et engagements familiaux, et toutes les obligations institutionnelles imposées par les organismes de base de la société.

Le loisir est le temps libéré non seulement du travail professionnel, mais encore de tout travail supplémentaire, du temps de transport nécessaire pour se rendre au lieu de travail et de toutes les autres activités extra-professionnelles 

 

3. Caractéristiques

 

Caractère libératoire

Le loisir résulte d’un libre choix, même s’il est évidemment soumis, comme tous les faits sociaux, aux déterminismes de la société. Même s’il dépend des relations sociales, donc des obligations qui naissent des groupements et organismes nécessaires à son exercice (discipline d’une équipe de sport, règlement d’un ciné-club).. le loisir implique dialectiquement ces obligations fondamentales. Il s’oppose à elles tout en les supposant. Il postule qu’elles finissent pour qu’il commence, et se définit par rapport à elles.

Caractère désintéressé

Sur le plan de la finalité le caractère désintéressé du loisir est le corollaire de son caractère libératoire. Il n’est fondamentalement soumis à aucune fin lucrative comme le travail professionnel, à aucune fin utilitaire comme les obligations domestiques, à aucune fin idéologique comme les devoirs politiques ou spirituels. Dans le loisir, le jeu, l’activité physique, artistique, intellectuelle ou sociale ne sont au service d’aucune fin matérielle ou spirituelle imposée par la société, même lorsque les déterminismes matériels et sociaux pèsent sur eux.

Caractère hédonistique

D’abord défini négativement par rapport aux obligations et aux finalités imposées par les organismes de base de la société, le loisir se définit positivement par rapport aux besoins de la personnalité, même quand celle-ci les réalise dans un groupe de son choix. Dans la presque totalité des enquêtes empiriques, le loisir est marqué par la recherche d’un état de satisfaction de l’individu, pris comme une fin en soi. Cette recherche est de nature hédonistique. Certes le bonheur ne se réduit pas au loisir, il peut accompagner l’exercice des obligations sociales de base. Mais la recherche du bien-vivre, du plaisir, de la joie est un des traits fondamentaux du loisir de la société moderne. Marthe Wolfenstein a parlé à son sujet d’une « éthique du divertissement » (fun morality).

Caractère personnel

Toutes les fonctions manifestes du loisir exprimées par les intéressés eux-mêmes répondent aux besoins de l’individu, face aux obligations primaires imposées par la société. Il est lié à la réalisation, encouragée ou contrariée, des virtualités désintéressées de l’homme total, conçue comme une fin en soi, en relation ou en contradiction avec les besoins de la société.

 

Le loisir le plus complet est celui qui peut satisfaire ces trois besoins de l’individu, ces trois fonctions fondamentales irréductibles les unes aux autres. Tout loisir qui n’offre pas ces trois genres de choix est incomplet du point de vue des besoins de la personnalité dans une société moderne.

 

Seule cette analyse permet de poser la question : la nature du travail dans les sociétés industrielles - sa réalité historique - permet-elle de répondre à cette fonction psychosociologique et, au-delà, à cette exigence de réalisation personnelle des individus ?

 

Historiquement, si l’on rappelle la réalité économique et sociale du travail depuis la révolution industrielle, jusqu’aux conquêtes sociales du XXème siècle, la réponse est sans ambiguïté : Au XIXème siècle, et au XXème encore la réduction de la durée journalière du travail, obtenue par les luttes sociales, ne fait que répondre aux nouvelles conditions d’exploitation ( travail à la chaîne etc.) qui mettent en cause la rentabilité du travail, la productivité des travailleurs.

La question du loisir ne se pose qu’à partir du moment où, historiquement se constituent les quatre formes de loisir :

- « le loisir de fin de journée »,

- «  le loisir de fin de semaine »

- « le loisir de fin d’année de travail ».

- « le loisir de fin de vie »

 

-Le loisir de fin de journée est déterminé par une durée du travail qui au cours du XIX° siècle atteignait dix heures et plus (qui a été ramenée à 9h puis 8h), sans que cette durée légale soit respectée, -chargée d’heures supplémentaires-.

-Concernant le loisir de fin de semaine, il est déterminé par la durée du travail hebdomadaire, sachant que l’évolution passe par la « semaine-anglaise » (libération du samedi après-midi ; et ce n’est qu’au cours des années 60 qu’un nombre croissant d’entreprises a supprimé l’obligation de travailler le samedi à la suite de pressions syndicales.- et cela malgré le souhait des travailleurs de travailler le samedi main pour augmenter leur revenu.

- Ce sont surtout les congés payés annuels qui ont permis l’expansion la plus spectaculaire des activités de loisir.

Avant 1936, moins de 10% des travailleurs pouvaient bénéficier de « voyages de vacances ». Le Front Populaire crée les « Congés payés » dont la durée est limitée à 15 jours. A la libération les congés payés sont portés à quatre semaines et, sous le gouvernement Maurois, en 1982 à 5 semaines.

Aujourd’hui le total de ces congés représente environ 150 jours par an sans travail professionnel pour la moyenne des travailleurs.

-Enfin la tendance au raccourcissement de la vie de travail a été longtemps considérée comme un terrain de la conquête sociale ; c’est en 1982 que l’âge légal de la retraite est fixé à 60 ans. Compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, c’est à partir de ce moment que l’on peut parler d’un loisir de fin de vie.

 

Le problème

 

Il ne fait pas de doute que l’accroissement du temps de loisir sous ses différentes formes est d’abord le signe d’un progrès des ressources matérielles et humaines qui permet de mieux satisfaire les besoins fondamentaux de la société et des individus.

 

- Mais, ce progrès global de la société ne laisse de poser plusieurs questions

 

-La diminution du temps de travail qui laisse place à plus de loisir n’est-elle pas en partie compensée par la nécessité des heures supplémentaires et par l’intensification du travail, grevé par les temps de transport et les conditions de vie de la majorité de la population (logement, etc.) ?

-La persistance et le développement des inégalités sociales ne met-elle pas en cause l’égalité de l’accès au loisir ? (Certains loisirs comme le bricolage sont en fait destinés à suppléer les coûts d’entretien qui ne trouvent pas place dans le budget de tous les ménages)

-La main mise sur cette partie du temps libre par les industries du loisir ne met-elle pas en cause la qualité même des loisirs et leur finalité : libération de la contrainte sociale, développement des activités valorisante et personnalisante ?

-Enfin, la dernière question qui est essentielle à l’avenir même de nos sociétés : Le loisir est-il destiné à ne rester qu’un divertissement, ou peut-on dire que le temps de travail est un temps résiduel qui doit laisser place à une civilisation du développement individuel fondé sur la polyvalence ?

 

II. Les loisirs

 

Dans le monde du travail, les loisirs des hommes les conduisaient au café, à une virée entre copains, à quelques manifestations sportives. Les femmes dont l’oisiveté était encore suspecte était vouée à la couture et au tricot. La diminution du temps de travail a sans doute permis à un plus grand nombre de français de se distraire et de diversifier leurs distractions.

 

1. Les vacances

Les vacances entrent dans les moeurs de la majorité de Français ; la première grande expansion des départs d’été date des années 50. En 1954, 20 millions de Français quittent une fois par an leur domicile. En 1983, ils sont 30 millions.

Mais les départs en vacances reflètent fidèlement les écarts sociaux : si 85% des cadres supérieurs et les ¾ des cadres moyens profitent des loisirs d’été, les exploitants agricoles ne partent que rarement et, à peine la moitié des ouvriers et des commerçants.

 

2. Sports et musique

 

a. Sports

La pratique du sport correspond au désir d’échapper à la vie de travail, mais aussi à une culture du corps et à la reconstruction d’autres communautés.

Fin 1970, 6 millions de Français sont titulaires d’une licence, 12 millions en 1981. Mais là encore, le choix des sports est lié à la stratification sociale, vélo, football, boxe pour les uns, tennis, ski, golf pour les autres.

b. La musique

La pratique de la musique illustre les transformations de la société ;

La pratique d’un instrument, en particulier le piano, obligatoire pour les enfants de la bourgeoisie, surtout les filles fait place à une autre pratique avec les générations nouvelles : elles connaissent la musique à travers le disque et la pratique d’un instrument n’est plus reproductible d’un modèle social, mais, avec la guitare, devient l’instrument d’un épanouissement personnel et de nouvelles communautés culturelles.

c. Le jeu

Le jeu est à la fois la conséquence du loisir, mais aussi une pratique aliénante distillant d’autant plus de rêves que la réalité du présent est difficile.

En 1933, seule la loterie nationale.

1954 : Création du Tiercé

1976 : Loto

1985 : Le loto sportif

Exemple 7 à 8 millions de joueurs réguliers pour le Tiercé.

 

En même temps qu’une activité aliénante, le jeu pratiqué en majorité par de petits joueurs, souvent en groupes développe des formes de sociabilité nouvelles ; relayées par la télévision, ils rythment la semaine ; à la fois spectacle et jeu, il s’agit d’un nouveau rite.

 

Conclusion : Le temps de travail

 

 

La question de la fin du travail est revenue en force dans le débat public français au milieu des années 1990, notamment avec la publication du best-seller de Jeremy Rifkin intitulé La Fin du travail (1996).

 

La thèse de de Jeremy Rifkin

 

Prise dans son sens le plus simple, l’expression « fin du travail » signifie que la quantité de travail humain nécessaire pour produire les biens et services dont nous avons besoin sera désormais toujours plus faible, ou encore qu’un nombre d’heures de travail toujours plus réduit permettra de faire face à nos besoins. La thèse de Rifkin est notamment que le secteur primaire et secondaire ne nécessitent désormais plus qu’une main-d’œuvre réduite, étant donné leur haut niveau d’automatisation, et qu’il en va de même pour le secteur tertiaire, sauf pour les activités à très haute valeur ajoutée et les activités relationnelles. La satisfaction de nos besoins traditionnels peut désormais être assurée avec un très petit volume de travail ; nos « nouveaux besoins » (besoin de relations, de services personnalisés, d’accompagnement, etc.) ne sont pas justiciables, par nature, du même processus de rationalisation et de développement de gains de productivité. C’est donc vers la satisfaction de ces derniers qu’il faut reconvertir notre système de production et nos travailleurs, au sein d’un système d’économie sociale.

(Sans entrer dans le détail des critiques qui ont été adressées à ces thèses, rappelons l’argument principal, théorisé par Alfred Sauvy, selon lequel les emplois détruits dans un secteur se recomposent dans un autre (théorie du déversement), mais surtout le fait que, aussi longtemps que les hommes s’inventeront de nouveaux « besoins » ou plutôt de nouveaux désirs, le travail sera sans limites, comme le seront également les modalités ou les facteurs de production toujours plus sophistiqués ou immatériels nécessaires à sa réalisation.)

 

Nouvelle structuration du temps : les données statistiques

 

Moins médiatisées que les thèses relatives à la fin du travail, les analyses concernant la place de plus en plus réduite occupée par le travail, notamment par rapport au XIXe siècle, ont également fleuri pendant les années 1990, souvent dans le sillage des théories développées par Joffre Dumazedier. S’appuyant sur d’importants travaux historico-statistiques (Marchand et Thélot, 1990) qui mettaient en évidence que l’on était passé en deux cents ans d’une moyenne de 3 000 heures de travail par an et par individu en âge de travailler à un peu plus de 1 600, soit une diminution de presque moitié de la durée de travail, un certain nombre d’auteurs ont développé l’idée selon laquelle le temps de travail ne serait plus le principal temps structurant, ce rôle incombant désormais au temps libre : nous ne consacrerions plus au travail qu’une part réduite de notre temps de vie (moins de 15%) ; de plus en plus, l’essentiel des relations sociales et personnelles se développerait hors du monde du travail ; la vie sociale qui, hier encore, était dominée par les rythmes de travail, se structurerait progressivement autour des rythmes de temps libre, de loisirs, de vacances.

 

Le temps de travail, un temps résiduel ?

 

Un certain nombre d’éléments issus des enquêtes sur l’Emploi du temps des Français (I.N.S.E.E., 2002) amènent à mettre en doute ces analyses.

Certes, si l’on ne considère que les grandes masses et les moyennes pour l’ensemble de la population âgée de quinze ans et plus, le temps de travail est bien le quatrième temps de la vie quotidienne, derrière le temps physiologique, prédominant, qui occupe la moitié des vingt-quatre heures (12 h 40), le temps libre (4 h 31) et le temps domestique (3 h 26).

Mais ne considérer que les moyennes revient à ignorer non seulement l’allongement de la durée de vie, du temps de retraite ou de préretraite et la réduction de la population active (la part de la population en emploi à l’âge actif a diminué de 70,2% en 1974 à 61,5% en 1998)

Si l’on prend en compte ces différents paramètres, on constate que, durant ces dix dernières années, le temps de travail des actifs occupés, notamment à temps complet, a en fait augmenté, tandis que l’accroissement moyen du temps de loisir concernait d’abord en volume les chômeurs, dont la qualité de loisir est évidemment très différente de celle des actifs : « la progression du chômage est la première des causes du renversement du gradient socio-économique du temps libre » (Chenu, Herpin, 2002). Contrairement aux pronostics de Joffre Dumazedier, on n’assiste donc pas à une extension générale du temps de loisirs, mais à un déplacement de la charge de travail vers les catégories sociales les plus qualifiées.

 

L’effet des trente-cinq heures

 

La réduction de la durée légale hebdomadaire du travail, notamment avec la mise en œuvre de 1998 à 2002, des trente-cinq heures, a certes introduit de profonds bouleversements et exercé une influence indéniable sur le volume d’heures travaillées : à la fin de l’année 2001, la durée collective hebdomadaire de travail des salariés à temps complet travaillant dans des entreprises de plus de dix salariés était tombée à 35,7 heures, soit une réduction de trois heures par rapport à la fin de 1996. Mais si l’on considère l’ensemble de la population salariée du secteur concurrentiel (ou privé), la durée hebdomadaire du travail n’avait baissé que d’une heure et demie. On est d’autant plus loin de la « fin du travail » avec les trente-cinq heures que la mise en place de cette réforme, inachevée, a également accru la flexibilité du temps de travail à l’œuvre depuis les années 1980. Pour comprendre la place que le travail occupe dans la vie, il faut en effet prendre en considération non seulement la quantité d’heures travaillées mais aussi l’amplitude, la répartition et les rythmes de celles-ci.

 

Réduction ou flexibilité du temps de travail ?

 

D’après les enquêtes Conditions de travail de la D.A.R.E.S. (1991, 1998), les horaires des salariés étaient devenus plus irréguliers au cours des années 1980 car les entreprises recourraient à de nouvelles formes d’organisation du travail (adaptation de l’activité à la demande, normes de qualité, etc.), induisant ainsi une plus grande flexibilité du temps de travail. Au cours de la décennie suivante, la part des salariés travaillant selon des horaires irréguliers s’est stabilisée pour les cadres et les professions intermédiaires mais, en revanche, les horaires se sont dispersés et les journées se sont allongées dans les métiers du commerce, où le rythme de travail est fortement lié à la demande de la clientèle. Dans le même temps, la part des ouvriers qui travaillent selon des horaires alternants, caractérisant le travail posté (3x8) ou en équipes, a augmenté. Les entreprises, en effet, se sont réorganisées de manière à allonger la durée d’ouverture des services ou d’utilisation des équipements. Certaines enquêtes ont mis en évidence que plus de 30% des actifs occupés sont soumis à un rythme de travail cyclique ou irrégulier ; selon d’autres, la semaine standard, déterminée par le fait d’avoir des horaires réguliers diurnes et une durée du travail proche de la moyenne (2 jours de congé consécutifs et 5 jours de travail pleins d’au moins 5 heures, pas de travail de nuit, un horaire hebdomadaire entre 35 et 44 heures) ne concernerait plus que 32% des actifs occupés à temps plein. Le passage aux trente-cinq heures a été l’occasion pour de nombreuses entreprises de mettre en place la modulation du temps de travail, qui permet d’adapter les horaires à l’activité par l’alternance de périodes hautes et basses et se traduit par une grande flexibilité de l’aménagement du temps de travail. C’est donc plus à une emprise multiforme du travail sur la vie que l’on assiste plutôt qu’à son effacement ou à sa fin.

 

Ces faits permettent de comprendre qu’aujourd’hui encore, sans doute plus que jamais, le travail apparaisse comme la forme primordiale, originaire de l’aliénation.

Mais, de quel travail s’agit-il ?

 

Le salariat : le travail aliéné

 

Le débat qui oppose le travail au loisir comme deux pôles de l’activité des hommes - inconciliables, mais qu’il faudrait concilier - repose sur une illusion.

C’est Marx qui, dans le Capital, nous permet de dénoncer l’illusion : On ne saurait comprendre l’aliénation comme l’aliénation du travail humain, pour la simple raison que «  le travail humain » n’existe pas ; plus précisément parce que le concept – l’idée abstraite – de travail est le résultat de l’aliénation.

Comme Marx l’explique en faisant la genèse de la valeur, l’idée générale de travail n’a pu naître qu’avec l’économie marchande :

L’échange, « en mettant en présence sur un pied d’égalité les uns des autres les travaux les plus divers », fait abstraction de leurs différences, pour les réduire à un caractère commun :

« L’égalité de travaux qui diffèrent toto coelo ( complètement ) ne peut consister que dans une abstraction de leur inégalité réelle, que dans la réduction à leur caractère commun de dépense de force humaine, de travail humain en général.»

 

Les travaux , tous différents quant à leur utilité sociale, ayant pour fin, pour but ( historiquement dans leur « objet » même ) la satisfaction des besoins sociaux, « équivalents », dès le moment où ils sont exécutés en vue de l’échange, avec l’apparition et le développement de l’économie marchande .

Quant à la notion abstraite de « travail humain », - l’appréhension de l’activité de production comme travail - on peut dire qu’elle n’apparaît qu’à partir du moment où les développe le salariat comme la base même du système, autrement dit lorsque que la force « humaine » de travail devient une marchandise :

 «  L’abstraction la plus simple que l’économie politique place au premier rang et qui exprime un rapport très ancien, n’apparaît pourtant, sous cette forme abstraite qu’en tant que catégorie de la société la plus moderne. »

La réduction de tous les genres particuliers de travaux à l’abstraction du travail en général suppose le complet développement de la production marchande, la société capitaliste.

 

Le travail, en tant qu’activité de production mise en œuvre par un être humain singulier, est au centre de l’aliénation, parce que c’est bien l’activité et la vie des hommes réels, qui sont en cause ; mais l’aliénation est un processus historique par lequel les forces sociales de production et les rapports sociaux des hommes se détachent d’eux pour prendre la forme de puissances étrangères qui les dominent : c’est à travers la division du travail et les rapports de classe que l’activité des êtres humains singuliers,( et non seulement le travail qui est l’activité primordiale pour vivre), leur vie tout entière - qui cesse de leur appartenir, et leur individualité se trouvent «reifiées », transformées en « choses », en même temps que la puissance collective et les rapports sociaux de production deviennent indépendants des individus.

L’aliénation est la forme historique, transitoire, que prend l’objectivation de l’activité des hommes dans leurs produits, les conditions de leur vie et leurs rapports entre eux.

 

Dans ces conditions, la dichotomie du travail et du loisir peut-elle être réellement résolue sans que le salariat - forme d’exploitation qui est à la base du système - soit lui-même mis en cause ?

 

L’évolution actuelle annonce la fin du salariat

 

Nous suivrons l’analyse d’ Yves Clot développée dans son livre « Le Travail à l’épreuve du salariat ».

Le travail tend à être aujourd’hui à la fois moins au centre, « parce que la vie personnelle en fait la partie d’un tout qui le déborde largement », et plus au centre, parce qu’il doit offrir à chacun « le pouvoir de faire quelque chose de sa vie, d’être sujet de son histoire ».

La place croissante de la science (notamment de l’informatisation) dans l’appareil productif réduit le temps de travail nécessaire et change en même temps sa nature. Marx annonçait déjà que «  le temps de travail immédiat » ne pouvait plus rester «  dans son opposition abstraite au temps libre » (Grundrisse, tome 2,p.199-200) .

 

Tout se passe comme si l’évolution du capitalisme sapait la base de son développement, mettant en cause le travail salarié : 

Par le chômage chronique de masse, la précarisation sans rivage, la mise des droits sociaux et tant d’innovations destructrices, on peut dire, selon l’expression d’Yves Clot, que le capitalisme « achève » ( met fin) le salariat ; mais il faut ajouter qu’il l’achève « par le bas »..

Il est significatif que le capitalisme aujourd’hui ait remplacé le nom de l’allocation destinée aux chômeurs : le « R.M.I. » - revenu minimal d’insertion – qui suppose la possibilité de réinsérer tout individu dans le monde du travail (le monde des salariés) par un nouveau vocable : le « R.M.A. » - revenu minimum d’activité- ; Cela révèle que le capitalisme lui-même est conduit à reconnaître qu’il n’est plus en mesure de développer le travail salarié qui est la base même de son développement.

Il n’y a pas de signe plus manifeste de la crise du capitalisme que Marx a analysée :

 

Cette évolution du travail salarié est l’un des effets de la baisse tendancielle du taux de profit : L’augmentation des investissements en moyens de production (le capital constant) destinée à augmenter la productivité du travail pour accroître la masse du profit ( en produisant toujours plus) réduit immanquablement la part de la main d’œuvre dans la production ; et le capitalisme délocalise pour diminuer encore le coût de la main d’œuvre qu’on ne saurait éliminer du procès de la production.

Dès lors le chômage n’est plus seulement une armée de réserve de travailleurs pour faire pression sur les salaires ; c’est l’exclusion pure et simple du travail et donc du procès de production – et ainsi du système social lui-même ! – d’une partie : un quantum irréductible, de la population.

C’est ce qu’on appelle le chômage structurel.

 

Mais, ce qui est un signe flagrant de la faillite du système, est en même temps l’annonce du dépassement du salariat capitaliste : Aujourd’hui les richesses produites par les progrès de productivité (liés au progrès technique des révolutions industrielles), si elles n’étaient accaparées et métamorphosées en capital financier, permettraient de réduire le temps de travail bien au-dessous des 35 heures par semaine.

Là où le mouvement contradictoire du capitalisme conduit à la négation – « l’achèvement » - du travail salarié qui est la base de son développement, on voit naître au cœur même du système, un sens nouveau de l’activité et de la vie personnelle des individus, dont le travail serait une partie, un moment, qui conduirait vers le haut, jusqu’à l’épanouissement de soi.

 

Prophétie ou prévision ? Marx écrivait :

 

« Le développement des forces productives, du travail social est la tâche historique et la justification du capital. Mais ce faisant il crée précisément sans le savoir les conditions matérielles d'un mode de production supérieur.

En aspirant sans cesse à la forme universelle de la richesse. le capital pousse le travail au-delà des frontières de ses besoins naturels. Il crée ainsi les éléments matériels du développement de cette riche individualité qui est aussi polyvalente dans sa production que sa consommation et dont le travail apparaît par conséquent non plus comme travail mais comme plein développement de l'activité elle-même.. »

 

 
 
Toute l'actualité
 

A la une 

 
Toute l'actualité