La ville morte : Petra
Entre par la faille dans la ville morte qui n’a pas de porte sur le monde
Et suis le chemin bleu du ciel déchiré par le roc
Qui te guide là-haut.
L’entraille ouverte de la terre s’écarte, se resserre au fond de ta gorge, pendant que tes pas maladroits heurtent des marches d’ombre et longent des paliers de lumière.
Les parois de ton angoisse sont les murailles de la terre nocturne qui soudain s éclaire des ocres de couleur jusqu’au rose du soir…
Jadis, au long du chemin, la vie coulait comme une eau vive jusqu’à la Ville. Les caravanes passaient… L’écho renvoie encore les objurgations des chameliers, les hennissements des chevaux, les martèlements inégaux des sabots sur les dalles de pierre.
Aujourd’hui ta longue marche est sans but.
Jusqu’à ce que s’ouvrent les portes de la Ville comme une trouée de lumière qui t’aveugle. Rien ne s’offre à ta vue que la vision du premier tombeau creusé par les hommes de bas en haut dans la pierre pour t’accueillir au seuil du mystère.
La façade sculptée, il n’y a rien derrière. Il te faudra longtemps pour comprendre cela.
Depuis le temps que les hommes bâtissaient des maisons à vivre, des temples pour leurs dieux, des tombes pour leurs morts, voici que des nomades, isolés au désert, réfugiés dans le cercle des roches émergées d’une folle genèse, avec les secrets d’antiques architectures, ont sculpté un décor pour vivre et pour mourir.
Impossible de vivre sans survivre à soi-même. Impossible de vivre sans vivre avec les morts : Les dieux intercesseurs ont réglé le passage.
L’échange avec la mort efface les frontières qui séparent les hommes de leur éternité…
Il n’est pas une tombe qui ne fut habitée ; pas une pièce à vivre qui ne fut le lieu d’un banquet pour les dieux célébré par les thiases. Autant de vies vécues à l’abri des décors.
Après la longue marche, au regard étranger, soudain la nécropole s’anime comme une ville.
J’ai vu le sang couler dans les veines des roches, rouge pendant qu’on sacrifiait les bêtes au Haut Lieu, violacé tandis que les processions s’égrenaient sur les marches, au long des escaliers sans fin. De minces artères blanches séparaient les couleurs au front des façades sans éviter les mélanges qui transforment les pierres en peintures vivantes.
Il faut gravir les marches entre roches qui conduisent au Deir si tu veux découvrir la faille qui sépare du monde Petra aux mille-couleurs.
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