Poème de Venise
O la ville impossible labyrinthe des rues
Les veines de Venise nervures de la mer
Notre sang irrigué, qui les a parcourues… !
Venise vénéneuse
Ravie par le poison et le poids de nos songes :
L’enseigne de la ruelle où mourut Lorenzo
Le théâtre où se joue encor sur le campo
L’amour de Desdémone le crime d’Othello
Venise la catin
Que Tiepolo a peint : L’hommage de Neptune
Qui répandit tout l’or de la mer à ses pieds
Comme dit Lorenzo, on la vit soulever
Impudique sa robe aux flots de la lagune
Venise des églises
La Venise du Livre où s’écrit le destin
Des martyrs et des saints sous les enluminures
De saint Marc et de Sébastien
Et des hommes jusqu’à l’Azur
Venise des Vénitiens
De Giorgione et du Titien
Du Tintoret et de Véronèse
Où le rouge des toges est brun comme le sang
Où le bleu qu’ils ont peint est vert comme la mer
Venise la mensongère
Cachant aux hommes sous les masques le scandale
De leur différence et le visage absent
De leur cent solitudes
Et sous les feux du Carnaval
Masquant aux hommes et la mort et le mal
Et sous les fastes de la fête cachant
La face de leur finitude
Venise la Vestale
Qui dédie mille messes
A la Vierge en veillant au chevet
De l’Enfant des promesses
Venise la lumineuse
Dont la pierre d’Istrie a blanchi les colonnes
Des palais qui nous hantent
Venise aux mains fleuries de ses feuilles d’acanthe
O Venise avenante aux sourires des Madones
Navire de Venise naviguant d’illusion
O Venise éveillée dans un matin de brume
Ta lumière a hissé la voile d’horizon
Et nous partons en mer où tes chemins conduisent…