Etude de La Nouvelle alliance d’Ilya Prigogine
Introduction
Le sujet de ce livre est le suivant : la science a connu des progrès remarquable au cours des trois siècle qui vont de Newton à nous ; en effet, partis d’une nature assimilée à un automate, soumise à des lois mathématiques dont le calme déploiement détermine son futur comme il a déterminé son passé, nous arrivons aujourd’hui à une situation théorique toute différente : une transformation conceptuelle telle qu’il n’est pas exagéré de parler d’une métamorphose de la science.
Première observation
D’une façon générale, la science peut être décrite comme une tentative de communiquer avec la nature, d’établir avec elle un dialogue où se dégage peu à peu questions et réponses.
Or, comment caractériser le dialogue que mène depuis trois siècles la science moderne ? Comme la souligné Alexandre Koyré, on peut définir cette pratique originale de la science moderne (=depuis Newton) comme un dialogue expérimental. L’expérimentation, en effet, ne suppose pas la simple observation des faits, ni la seule quête de connexions empiriques entre des phénomènes, « des faits tels qu’ils se présentent », mais elle exige une interaction entre théorie et manipulation pratique. C’est une entreprise systématique qui revient à provoquer la nature, à lui faire dire de manière non ambiguë si elle obéît ou non à une théorie. Cela signifie d’abord que la nature est une réalité distincte de nous, dont il s’agit de deviner le comportement : on ne fait pas dire tout ce qu’on veut à la nature et c’est parce que la science n’est pas un monologue, parce que l’objet interrogé peut démentir l’hypothèse, que l’expérimentation est nécessaire.
Si la démarche scientifique peut-être pratiquée, c’est parce qu’elle découvre des points d’accords remarquables entre nos hypothèses et les réponses expérimentales. En ce sens, (si l’on évoque simplement la conception finaliste de la nature par Aristote) c’est une transformation sans retour de nos rapports avec la nature qu’a engendrer la réussite de la science moderne à tel point que l’on peut parler d’une révolution scientifique.
Deuxième observation
Mais en même temps, par cette révolution, en commençant par nier les visions anciennes (l’aristotélisme, mais aussi la magie et l’alchimie), la science à commencer par nier la légitimité des questions poser par les hommes à propos de leur rapport à la nature. On pourrait même dire qu’elle s’est constituée contre la nature, puisqu’elle en niait la complexité et le devenir au nom d’un monde éternel et connaissable, régi par un petit nombre de lois simples et immuables. Cette idée d’une « nature automate » dont le comportement aurait pour clef des lois accessibles à l’homme par les moyens de la mécanique rationnelle est un pari réalisé par la science newtonienne qui a bel et bien découvert une loi universelle à laquelle obéissent les corps céleste, et le monde sublunaire : c’est la même loi qui fait tomber les cailloux vers le sol et tourner les planètes autour du soleil.
Et dès lors, la science semble montrer -ou démontrer- que la nature n’est qu’un automate soumis. « La science semblait conclure, en même temps qu’à l’universalité et à la stabilité des lois, à la stupidité de la nature »
Troisième observation
La science d’aujourd’hui n’est plus la science « classique », les concepts fondamentaux qui fondaient « la conception classique du monde » ont aujourd’hui trouvé leur limite dans un progrès théorique qu’il ne faut pas hésiter à appeler une métamorphose. L’ambition de ramener l’ensemble des processus naturels à un petit nombre de lois à elle-même été abandonnée. Les sciences de la nature décrivent désormais un univers fragmenté, riche de diversité qualitative et de surprise potentielle. Nous découvrons que le dialogue rationnel avec la nature ne constitue plus le survol désenchanter d’un monde lunaire, mais l’exploration d’une nature complexe et multiforme.
Remarques
-cette conception classique de la nature comprise comme une nature automate obéissant à des lois immuables (qui à la limite ne peuvent s’expliquer que comme des décrets divins) n’est pas étrangère au mouvement irrationaliste de la philosophie (de l’idéologie) qui dénie à la science toute compétence dans les questions que l’homme se pose par rapport à sa propre nature tels que la vie, le destin, la liberté.
Quatrième observation
Cette conception classique de la science qui comprend la nature comme un univers automate étranger à l’homme, se trouve mise en cause en deux étapes.
Première étape :
Depuis 50 ans déjà, avec l’apparition de la mécanique quantique, on a découvert que nous n’avons accès aux atomes et aux molécules (à la réalité microscopique que par l’intermédiaire de nos instruments -comme le microscope électronique- qui tous sont macroscopiques, de sorte que, nos théories au sujet des micro objets sont intrinsèquement déterminés par cette médiation.
Seconde étape :
La seconde étape est celle qui est mise en œuvre aujourd’hui (et qu’il s’agit pour nous de développer) : c’est la découverte selon laquelle l’irréversibilité joue dans la nature un rôle constructif, puisqu’elle permet des processus d’organisation spontanée. Aujourd’hui, la science des processus irréversible réhabilité au sein de la physique la conception d’une nature créatrice de structures actives et proliférantes.
Notre livre a pour sujet cette métamorphose conceptuelle de la science depuis l’âge de la science classique jusqu’à l’ouverture actuelle.
Plan du livre : notre exposé s’organise en trois partie :
1. La première décrit l’histoire triomphale de la science classique et les conséquences culturelles de ce triomphe ;
En effet, comme nous l’avons souligné dans la remarque précédente, cette conception classique de la science est à l’origine de ce que l’on a appeler les deux cultures, pour ainsi dire inconciliables : scientifique et humaniste.
2. Dans la seconde partie de l’étude, nous suivrons le développement de la science de la chaleur à partir de la loi mathématique formulée par Fourrier. Derrière la formulation de cette loi, il s’agissait en fait de la première description mathématique de ce que la dynamique ne pouvait admettre : le processus irréversible.
C’est la thermodynamique qui introduit pour la première fois en physique la « flèche du temps ». Nous suivrons la thermodynamique jusqu’à ses développements contemporains : jusqu’à la découverte des processus d’organisation spontanée, et des structures dissipatives. La physique découvre que l’irréversibilité est source d’ordre, créatrice d’organisation.
3. La troisième partie devrait mettre en lumière une révolution épistémologique : Nous n’avons plus aujourd’hui le droit d’affirmer que le seul but de la science est la découverte du monde depuis ce point de vue extérieur auquel seul pourrait avoir accès un Dieu ou le démon de Laplace qui peuple les exposés de la science classique. Aujourd’hui, les plus fondamentales de nos théories se définissent comme « l’œuvre d’êtres inscrits dans le monde qu’ils explorent ».
Conclusion
L’histoire que nous allons contée est à la fois celle de nos conceptions de la nature, et celle de nos rapports matériels avec elle, c'est-à-dire des effets que nous y produisons et des processus que nous y cultivons en la peuplant notamment de machines. Nous aurions aimé appeler ce livre « le temps retrouvé », car la nature à laquelle notre science s’adresse aujourd’hui n’est plus celle qu’un temps invariant et répétitif suffisait à décrire ; nous explorons désormais une nature aux évolutions multiples et divergentes qui nous donne à penser la coexistence de temps irréductiblement différents et articulés. Autrement dit, la science contemporaine donne un contenu rationnel à l’idée proprement irrationnelle de la durée, conceptualisée par Bergson, quand celui-ci écrivait, dans l’Evolution Créatrice : « plus nous approfondissons la nature du temps, plus nous comprenons que durée signifie invention, création de forme, élaboration continue de l’absolument nouveau. » Désormais, au lieu de s’exclure, comme le voulait Bergson, la durée et le temps sont inséparables dans notre conception contemporaine de la science. En ce sens, au lieu de la solitude de l’homme face à une nature qui lui est étrangère, la science contemporaine nous parle de l’alliance de l’homme avec la nature.
Chapitre Premier : Le projet de la science moderne
Et son contexte culturel et idéologique
1. Newton, le nouveau Moïse
Héros national dès avant sa mort, Newton deviendra à peine un siècle plus tard, notamment sous l’influence de l’Ecole de Laplace, le symbole de la révolution scientifique moderne. A l’aurore du XIX° siècle, le nom de Newton tend à rassembler tout ce qui a valeur de modèle pour les sciences.
La stratégie de Newton a consisté, devant un ensemble de phénomène (marée, pesanteur…) à isoler un fait central dont tout pourra se déduire. Et, fait absolument remarquable, le système newtonien a triomphé de tous les obstacles, laissant la porte ouverte à des développements mathématiques, qui ont permis de rendre compte des déviations apparentes et même dans un cas célèbre, d’inférér de ces déviations la présence d’un corps céleste jusque là inconnu : « l’invention » d’une nouvelle planète, Neptune, consacrait la puissance prophétique de la vision newtonienne.
On peut dire, que depuis près de 150 ans, nous sommes à la recherche d’une nouvelle conception cohérente de l’entreprise scientifique et de la nature que décrit la science.
2. les conséquences idéologiques de la vision newtonienne (ou le monde désenchanté)
La vision newtonienne de la nature, fait apparaître la science comme un corps étranger à l’intérieur de la culture -envahissant et menaçant- qui ne saurait apporter aucune réponse aux interrogations fondamentales de l’homme sur lui-même et sur ses rapports au monde.
a. le premier thème est celui de la solitude de l’homme dans cet univers désenchanté dont la science lui offre la représentation. Ce thème est développé paradoxalement par les partisans même de la science. C’est ainsi que Jacques Monod (Le Hasard et la Nécessité) développe les conséquences philosophiques de la biologie moderne où tous les phénomènes s’expliquent par le jeu du hasard et de la nécessité : « Il faut bien que l’homme enfin se réveille de son rêve millénaire, pour découvrir sa totale solitude, son étrangeté radicale. Il sait maintenant que, comme un Tsigane, il est en marge de l’univers où il doit vivre. Univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs comme à ses souffrances ou à se crimes. » Autrement dit, l’homme doit renoncer à la tentation rassurante mais irrationnelle de rechercher dans la nature ses origines, d’y reconnaître son appartenance et le sens de son destin.
b. le deuxième thème qui mêle e ses échos à celui du désenchantement, est celui de la domination : si la science conçoit le monde comme soumis à un schémas théorique universel, qui réduit ses richesses aux mornes applications de lois générales, elle se donne par la même comme un instrument de contrôle et de domination. Ce sont les thèses de Heidegger
-Mainmise technique : interrogeant l’essence de la technique, Heidegger y voit l’arraisonnement de la nature par un homme qui a oublier son rapport fondamentale à l’être. « La centrale électrique est mise en place dans le courant du Rhin. Elle n’est pas construite comme le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles relie la rive à la rive. Elle ‘‘somme’’ le courant de livrer sa pression hydraulique qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce qu’il est aujourd’hui comme courant à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l’est par rapport à la manière d’être de la centrale.»
-Mainmise scientifique : l’homme de science à la suite du technicien est le siège d’une volonté de puissance déguisée en appétit de puissance. Dans la visée théorique qui définit la science, Heidegger voit une interpellation des choses qui les réduit à des objets asservis.
c. Le troisième thème, à l’inverse de la réflexion de Heidegger, est celui du scientisme triomphant : la science est désormais maîtresse des destinées de l’humanité, elle mène le monde vers un avenir inconnu et inimaginable. C’est ainsi que Pauwels dans son livre La Main du magicien écrit : « si ma vie était à refaire je ne choisirais certes pas d’être écrivain, je me ferais physicien théorique pour vivre au cœur du romanesque véritable » « Mystique, écrit Prigogine, d’une science ésotérique, ‘‘un monde où les cyclotroncs sont comme des cathédrales, où les mathématiques sont comme un chant grégorien, où des transmutations s’opèrent non seulement au sein de la matière mais dans les cerveau’’ annonçant une ‘‘croisade vers l’avenir’’(citation de Pauwels) ».
Laissant de côté ces thèses idéologiques, on peut se référer à Alexandre Koyré, pour définir les limites de la conception newtonienne de la science et de sa vision du monde : « Il y a quelque chose dont Newton doit être tenu responsable, ou pour mieux dire, pas seulement Newton, mais la science moderne en général : c’est la division de notre monde en deux : elle a substitué à notre monde de qualités et de perception sensible, monde dans lequel nous vivons, aimons et mourons, un autre monde : le monde de la quantité, de la géométrie déifiée, monde dans lequel, bien qu’il y ait place pour toute chose, il n’y en a pas pour l’homme. C’est ainsi que le monde réel -le monde de la science- s’éloigna et se sépara entièrement du monde de la vie que la science a été incapable d’expliquer. Sinon comme une apparence subjective. Or ces deux mondes, qui sont, pour la théorie, séparés par un abyme sont tous les jours et de plus en plus uni par la praxis. » La critique de Koyré ouvre une nouvelle perspective qu’on peut fonder sur la métamorphose de la science qui se produit sous nos yeux : nous ne sommes plus réduits, écrit Prigogine, à l’alternative entre un e science qui ferait de l’homme un étranger dans un monde désenchanté et une protestation antiscientifique, voire antirationnelle.
Nous voulons montrer que les sciences mathématiques de la nature, au moment où elles découvrent les problèmes de la complexité et du devenir, deviennent capables d’entendre quelque chose de la signification de certaines questions exprimées par les mythes, les religions et les philosophies, et de mieux mesurer la nature des problèmes propre aux sciences dont l’objet est l’homme et les sociétés humaines.
Il faut inventer une troisième culture, c'est-à-dire un milieu ou puissent s’engager d’indispensables dialogues entre la démarche de modélisation mathématiques et l’expérience conceptuelle et pratique de ceux, économistes, biologistes, sociologues, démocrates, médecins, qui essaient de décrire la société humaine dans sa complexité.
Il faut suivre le chemin de la première réflexion philosophique. Il importe peu que les premières spéculations des penseurs présocratiques se déploient dans un espace semblable à celui du mythe de la création hésiodique : polarisation initiale du ciel et de la terre que féconde le désir éveillé par l’amour ; naissance de la première génération des dieux, puissance cosmique différenciée, combat et désordre, cycle d’atrocité et de vengeance jusqu’à la stabilisation finale : la répartition des pouvoirs dans la soumission à la Justice (Dichè).
Car les présocratiques ont posés la vrai question : « le changement est-il illusoire, où est-ce la lutte mouvante des opposés qui constitue les choses. »
Les changements qualitatifs peuvent-ils être réduis aux mouvements dans le vide des configurations d’atomes ? Ou bien les atomes sont-ils une multitude de germes qualitativement différents ? Il faut opter entre Démocrite et Héraclite.
La question se pose enfin de savoir pourquoi la science moderne (classique) qui met en cause la vision finaliste de l’univers d’Aristote (reprise par la scolastique) a trouvé sa place dans une culture chrétienne en faisant bon ménage avec les théologiens. La réponse réside dans l’image du monde promu par la science moderne, celle d’une nature, régie par un plan qui la domine et qui ne peut donc honorer que son créateur. Il y a une convergence entre l’intérêt des théologiens pour qui le monde devait par sa soumission totale manifester la toute puissance de Dieu et celui des physiciens à la recherche d’un monde de processus mathématisable. La théologie peut permettre de justifier l’étrange position de l’homme qui, selon la science moderne est capable de déchiffrer -mais laborieusement par calculs et mesures- la loi physique du monde. Galilée explique l’âme humaine, créée à l’image de Dieu est capable d’atteindre les vérités intelligibles qui gouvernement le plan de la création. Elle peut donc progresser peu à peu vers une connaissance du monde que Dieu quant à lui possède de manière intuitive pleine et entière. La science classique, vise toujours à découvrir la vérité unique du monde, le langage unique qui déchiffre la totalité de la nature, à partir duquel tout ce qui existe peu, en principe être déduit. Einstein lui-même écrivait que quelque soit les résultats partiels de la science, il faut maintenir l’idée qu’elle nous donne une image du monde. « Je crois, écrivait-il que ce nom est bien mérité car les lois générales servant de base à la construction de la pensée du théoricien de la physique, ont la prétention d’être valables pour tous les événements de la nature (…) par voie de déduction, y compris ceux de la vie, si ce processus de déduction ne dépassait pas de loin la capacité de la pensée humaine. »
Nous sommes aujourd’hui à un point de convergence des tentatives d’abandonner le mythe newtonien (d’une image du monde) sans renoncer à comprendre la nature.
Cette convergence se dessine en quelques thèmes fondamentaux :
-Il s’agit du temps que la science classique décrit comme réversible, comme lié uniquement à la mesure du mouvement à laquelle elle ramène tout changement.
-Il s’agit de l’activité innovatrice (de la matière) que la science classique nie en lui opposant l’automate déterministe.
-Il s’agit de la diversité qualitative sans laquelle ni devenir ni activité ne sont concevable et que la science classique réduit à une simple apparence.
Nous pensons que la science d’aujourd’hui échappe au mythe newtonien parce qu’elle a conclut théoriquement à l’impossibilité de réduire la nature à la simplicité cachée d’une réalité régie. Avec cette science métamorphosée, un dialogue culturel est à nouveau possible et une nouvelle alliance peut se nouer entre l’homme et la nature.
Chapitre second : l’identification du réel
1. Les lois de Newton
a. la physique galiléenne
Il s’agit d’identifier la réalité que la science classique permet de comprendre. Depuis Galilée le problème central de la physique est le problème de l’accélération des corps ; c’est en demandant à la nature compte des changements subis par l’état de mouvement et de repos des corps que l’on a réussi à obtenir d’elle des réponses mathématiques. Autrement dit, Galilé a découvert qu’il ne faut pas demander à la nature la cause de son état de mouvement si celui-ci est uniforme, pas plus qu’il ne faut lui demander la cause de son état de repos.
Tel est le principe d’inertie : le mouvement et le repos se maintiennent d’eux-mêmes éternellement, si rien ne vient les perturber. En revanche, la science demandera raison pour tout passage du repos au mouvement, ou du mouvement au repos et pour tout changement de vitesse.
On ne demandera cependant pas pourquoi le corps accélère ; on demandera comment s’effectue cette transformation, afin d’en énoncer la loi mathématique.
La formulation des lois newtoniennes du mouvement accomplie la synthèse de deux développements convergents :
-Celui de la physique : la description du mouvement avec les lois de Kepler et celle de la chute des corps formulée par Galilée.
-Celui des mathématiques aboutissant au calcul infinitésimal.
b. le calcul infinitésimal
Pour décrire une vitesse qui varie de manière continue, il faut décrire l’évolution d’instant en instant, de diverse grandeur : position, vitesse et accélération, qui caractérise l’état instantané d’un mobile. Pour se faire, les mathématiciens ont introduit le concept de quantité infinitésimale.
Une quantité infinitésimale résulte d’un passage à la limite : c’est la variation d’une grandeur entre deux instants successifs, lorsque l’intervalle entre ces deux instants tend vers zéro.
Cette description infinitésimale permet de décomposer le changement en une série infinie de changements infiniment petits.
Ainsi, en chaque instant, la description de l’état d’un mobile comprend non seulement sa position (r), mais aussi sa tendance instantanée à changer de position, c'est-à-dire sa vitesse (v) en cet instant, et enfin cette tendance à modifier cette vitesse c'est-à-dire son accélération (a)
Vitesse et accélération mesurent une variation instantanée comme un rapport entre deux quantités infinitésimales : rapport entre la variation de la grandeur (position ou vitesse) pendant un intervalle de temps deltat et cet intervalle delta t lui-même. On appelle de telle grandeur des dérivés par rapport au temps. Et on écrit depuis Leibniz :
v = dr/dt
quand à l’accélération, elle s’écrit :
a = dv/dt = d²r/dt²
C’est une dérivée seconde.
c. La physique newtonienne
le problème sur lequel se concentre la physique newtonienne, c’est le calcul de la dérivée seconde, c'est-à-dire de l’accélération subie en chaque instant par les différents points d’un système matériel.
Le mouvement de chacun de ces points pendant un intervalle de temps défini ou fini sera alors calculable par intégration, c'est-à-dire sommation des variations infinitésimales de vitesse subie pendant cet intervalle. Dans le langage newtonien, étudier l’accélération, c’est déterminé les différentes forces qui agissent sur les points des systèmes étudiés. Ces forces étudiées par la physique newtonienne sont fonction de la configuration spatiale du système de corps entre lesquelles elles agissent, et varient donc lorsque les distances entre ces corps varient. Le problème dynamique (l’étude de ces forces) est posé sous la forme d’un système d’équation différentielle, où l’état instantané de chacun des points du système est décrit par sa vitesse et son accélération (par des dérivées premières et secondes)
L’intégration de ses équations différentielle aboutit au calcul de l’ensemble des trajectoires des points du système. Les trajectoires spatiotemporelles d’un ensemble de points en interaction constituent la description complète du système dynamique.
Le triomphe de la science newtonienne, c’est la découverte qu’une seule force (la force de gravitation) détermine le mouvement des planètes, des comètes et des corps qui tombent sur la terre. Ainsi quelque soit le couple de corps matériels, leur distance et leur masse respective, le système newtonien implique qu’une force d’attraction les unis, qu’ils sont attirés l’un vers l’autre par cette force, force proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnel au carré de la distance qui les sépare. Mais, voici le corollaire de cette découverte : si on définit un système dynamique, par ce fait que le mouvement de chacun de ces points est déterminé en chaque instant par la position et la vitesse de l’ensemble des points matériels qui le constituent, à proprement parler, le seul système dynamique, c’est l’univers tout entier. La vision de Newton, c’est bien celle d’un univers automate. comme notre univers
Dans un tel système, il faut noter pour en comprendre la limite de cette théorie dynamique de l’univers décrit par la mécanique rationnelle de Newton, il faut noter que dans ce système, tout est donné. Il suffit de connaître l’état initial du système, pour déduire son évolution. Lorsqu’on connaît les caractéristiques du système, position, vitesse, accélération des différents points, on peut calculer son étape pour n’importe quel instant ultérieur, mais aussi pour n’importe quel instant antérieur. Autrement dit la mécanique newtonienne fait de la réversibilité la propriété de toute évolution dynamique.
2. Mouvement et devenir
Ce qui est au centre de la dynamique newtonienne, c’est une certaine conception du temps le temps dynamique, n’est pas un temps commun à l’ensemble des évolutions qualitativement diverses dont chacune posséderait sa raison et son rythme. La diversité qualitative des changements est réduite à l’écoulement homogène et éternel d’un temps unique, qui est non seulement la mesure, mais aussi la raison du processus. Le temps dynamique constitue non seulement une mesure du devenir mais le devenir dynamique lui-même. Le devenir se trouve mathématiquement réduit au mouvement. Dès lors, s’oppose à la loi générale du mouvement dynamique le caractère aléatoire, généralement attribué (depuis l’antiquité aux collisions entre atomes).
La question est posée : quel est le rapport entre ce monde mortel, instable, ou sans cesse les atomes s’unissent et se défont, où les êtres naissent et meurent et le monde immuable de la dynamique régie par une formule mathématique unique : vérité éternelle se déployant en un devenir tautologique.
Historiquement : Au XVIII° siècle, les physiciens savaient parfaitement que la description dynamique laissait dans l’ombre le processus, véritable source intelligible du changement du mouvement. Ils savaient que dans la nature, le changement résulte de ces heurts entre corps de vitesse différent, ce qui explique leur scepticisme. Et jusqu’à leur sarcasmes : D’Alembert, Condillac, Condorcet s’accommodait mal dans leur rationalisme vigoureux de cette force occulte découverte par Newton. Dès la fin du XIX° siècle, avec la théorie cinétique des gaz, le chaos des atomes a réintégré la physique il est apparu que le comportement chaotique d’une population nombreuse comme celles des molécules d’un gaz doit être considérée comme un nouvel espace du mouvement maîtrisable par la description statistique. C’est à partir de là que se pose au cœur de la physique le problème du rapport entre la loi dynamique de la mécanique rationnelle et la description statistique. C’est au début du XIX° siècle que triomphe avec l’Ecole de Laplace la vision newtonienne : l’Ecole de Laplace domine le monde scientifique au même moment où l’Empire britannique domine l’Europe. Pour un temps bref, mais qui marquera les scientifiques d’une nostalgie durable la science triompha, reconnue et honorée par un état puissant, détentrice d’une conception globale et cohérente du monde. Newton, vénéré par Laplace, devint le symbole, l’expression même de la vérité de cette science de l’âge d’or.
Le XIX° siècle allait généralisé la description dynamique en énonçant le principe de la conservation d’énergie. Le principe de la conservation d’énergie traduit ce qui avait été à la base de la science moderne des machines simples, à savoir la conservation des énergies potentielles et cinétiques. Dans une machine simple le rendement est calculé en faisant abstraction des chocs et frottements, de sorte que le dispositif réalisé se borne à transmettre l’intégralité du mouvement qu’il reçoit ; autrement dit, la machine à laquelle une certaine quantité d’énergie potentielle est conférée. (ressort tendu, poids élevé, air comprimé) produit un mouvement correspondant à une quantité égale d’énergie cinétique.
Généralisant la description dynamique, Hamilton introduit une nouvelle fonction -la fonction H)-, qui est simplement la somme des énergies potentielles et cinétiques sous la forme des équations canoniques. Montrant que l’énergie d’un système engendre à proprement parler une évolution qui la maintient invariante.
3. La dynamique et le démon de Laplace
La description dynamique conçu par Newton selon le modèle intégrable possède un symbole : Le démon imaginé par Laplace, capable d’observer en un instant donné la position et la vitesse de chaque masse constitutive de l’Univers et d’en déduire l’évolution universel vers le passé et vers l’avenir. Le démon de Laplace reste une fiction comme lui comme pour les physiciens. La question n’est pas celle de la possibilité effective d’une prévision déterministe du cours des choses, c’est la question de sa possibilité de principe : la science classique du moment qu’elle acceptait la vérité de la description dynamique, « devait » conclure au déterminisme universel, au caractère illusoire des processus qui constitue le monde que nous habitons et qui nous ont produit, être vivant et parlant. Ce monde régit par des lois universelles, constituant un univers dont le déterminisme est indépendant de l’homme constitue le véritable mythe de la science moderne. Quelque soit le langage que jusqu’ici la physique prête à la nature, toujours ce langage définit un monde naturel d’où l’homme est exclu. C’est ce mythe qui débouche sur une énigme : comment l’homme qui est exclu de la nature peut-il la comprendre ? Encore une fois, c’est Einstein qui a exprimé cette énigme quand il a écrit et répété : le miracle, la seule chose vraiment étonnante, c’est qu’il y est une science, qu’il y est une convergence entre la nature et l’esprit humain telle qu’une structure mathématique librement inventé puisse atteindre la structure même du monde. On peut mesurer aujourd’hui les limites de la conception du monde qui nous a été transmise par la science classique : un univers dont l’homme est exclu.
Aujourd’hui, l’homme, quoiqu’il soit, est le produit de processus physico-chimique extrêmement complexe, et aussi, indissociablement, le produit d’une histoire ; celle de son propre développement, mais aussi celle de son espèce.
Or, complexité et histoire, ce sont ces deux dimensions qui sont également absentes du monde que contemple le démon de Laplace.
Chapitre troisième : les deux cultures
1. Le discours du vivant.
Historiquement, nous voici en face de deux conceptions du monde qui ont dominé successivement la pensée occidentale : celle d’Aristote et celle de Galilée.
-Au sein du monde aristotélicien, l’homme semblait trouver sa place à la fois comme être vivant et comme être connaissant ; le monde était à sa mesure ; la connaissance intellectuelle le principe même des choses, la cause et la raison finale de leur devenir ; le but qui les habite et qui les organise.
-Avec Galilée et le développement de la science moderne, le dialogue expérimental nous a conduit à abandonner les causes finales aristotélicienne au profit du déterminisme universel d’une nature étrangère à l’homme.
Laquelle de ces deux traditions choisir ?
En ce XVIII° siècle, qui voit le triomphe de la mécanique rationnelle de Newton, la question de l’organisation du vivant reste posée.
Dans un entretien imaginaire avec D’Alembert, Diderot se mettait en scène lui-même, fait éclater l’insuffisance de l’explication mécaniste du vivant :
« Qu’est-ce que cet œuf ?
-une masse insensible avant que le germe y soit introduit (…) mais comment cette masse passera-t-elle à une autre organisation, à la sensibilité, à la vie ?
-Par la chaleur ?
-Qui produira la chaleur ?
-Le mouvement.
-Quels seront les effets de ce mouvement ? Au lieu de me répondre, asseyez vous, et suivons les effets de moment en moment. D’abord c’est un point qui oscille, un filet qui s’étend et se colore, de la chaire qui se forme, un bec, des bouts d’ailes, des yeux, des pattes (…) C’est un animal, il marche, il vole, il s’irrite, il s’approche, il se plaint (…) Prétendez-vous avec Descartes que c’est une pure machine imitative ? Si c’est là une machine, vous en êtes une autre. Si vous avouez qu’entre l’animal et vous, il n’y a de différence que l’organisation, vous montrerez du sens et de la raison (…) ».
Contre le temple de la mécanique rationnelle, contre tous ceux qui annoncent que la nature matérielle n’est que masse inerte et mouvement, Diderot en appelle à ce qui fût sans doute avec Aristote le point de départ de la physique à savoir le spectacle du développement progressif de la différenciation et de l’organisation apparemment spontanée de l’embryon. Comment admettre, que la masse inerte, et même la masse newtonienne, animée par les forces d’interactions gravitationnelles puissent fonder l’explication de cette apparition de structures organisées et actives. Le système newtonien ne donne aucun sens à la différenciation de l’espace, à la constitution de limites naturelles, à l’apparition d’un fonctionnement organisé, bref à aucun des processus qu’implique le développement d’un être vivant.
Mais Diderot ne désespère pas : si la science commence avec la mécanique rationnelle, vivante et féconde se poursuivra ailleurs. Elle existe d’ailleurs déjà lui semble-t-il cette science nouvelle, science de la nature vivante et organisée, avec la chimie étudiée par D’Holbach et la médecine par Diderot. Dans les deux cas, il s’agit d’opposer à la masse inerte et aux lois universelles de la mécanique la matière active, capable de s’organiser, de produire les êtres vivants. Et pour expliquer cette productivité, ou créativité de la matière, Diderot va la doter d’une sensibilité ; C’est ainsi qu’il échappe à tout dualisme spiritualiste, qui comprenant le corps comme une machine ne peut expliquer le mouvement de la vie et l’activité du vivant qu’en dotant cette machine d’une âme.
A même époque on assiste à la protestation des chimistes et des médecins contre la généralisation physique à laquelle les physiciens entendaient réduire le corps vivant. La figure imminente de Georg Ernst Stahl (1660-1734), créateur du premier système chimique cohérent, est aussi le père du vitalisme. Pour lui, les lois universelles de la physique s’appliquent aux vivants, dans la mesure seulement, où ce sont elles qui le vouent à la dégradation, à la pourriture et à la mort. Et, si le vivant survit malgré cela, si courte que soit la durée de sa vie, il faut qu’il y est en lui un « principe de conservation » qui constitue et maintienne l’équilibre social harmonieux de la texture et de la structure de son corps : « Contre l’extrême corruptibilité de la matière qui compose le corps, il faut que se manifeste l’action d’un principe naturel, permanent immanent, étranger aux lois de la matière inanimée. Comme Aristote, Stahl définit avant tout le vivant en terme statique, en terme de conservation et non de devenir : l’organisation du vivant constitue un défi aux lois de la nature, la seule évolution normale étant celle qui mène à la mort.
Pour la biologie, le vivant restera en marge de la nature, tant que les lois de la physiques seront identifiées à la dissolution et à la désorganisation. Il faudra la découverte des nouveaux états de la matière que constituent les structures dissipatives. Pour que enfin, la conservation et le développement de structures actives puissent être déduis des lois de la physique, pour que l’organisation apparaisse comme un processus naturel. Bien avant que naissent les conditions d’une métamorphose de la science, Kant ratifie la validité de la physique newtonienne par une théorie de la connaissance.
2. La ratification critique
L’une des ambitions essentielles de la philosophie kantienne, est la remise en ordre du paysage intellectuel que la disparition de Dieu compris comme le créateur rationnel garant des sciences de la nature avait laissé en plein chaos. Kant règle d’une manière qui pour beaucoup reste toujours valable, le problème de la vérité scientifique. Il lui fallait d’autre part, face à la conception d’un monde réduit au déterminisme d’une nature, d’où le temps est éliminé, faire place à l’expérience subjective de la liberté, garante de la moralité. La solution kantienne justifie du même coup la connaissance scientifique et l’étrangeté de l’homme dans le monde décrit par cette science ; en fait, ce que Kant élaborait ainsi philosophiquement n’est rien d’autre que le discours mythique de la science moderne. Il prenait acte de la forme systématique que s’était donné la physique au cours du XVIII° siècle, et assignait à cette dernière son domaine de la validité, déterminant les fondements et les limites de sa légitimité. Kant pour élaborer sa philosophie transcendantale Kant part non pas des objets de l’expérience, mais du fait a priori qu’une connaissance systématique de ces objets est possible comme l’existence de la physique le démontre. Dès lors il s’agit dans la démarche critique d’énoncer les conditions de possibilité a priori de ce mode de connaissance que la science met en œuvre. P143
« Les conditions de possibilité de l’expérioence d’un objet son aussi les conditions de possibilité de son existence. » Cette phrase résume la révolution copernicienne ; le sujet ne tourne plus autour de son objet, essayant de découvrir à quelle loi il est soumis ; quel type de langage peut permettre de le déchiffrer ; c’est lui qui est au centre, il impose la loi, et le monde, tel qu’il le perçoit, par son propre langage. Quoi d’étonnant alors que la science newtonienne puisse décrire ce monde d’un point de vue extérieur, quasi-divin ! Bien sur, le fait que tout phénomène saisit par l’entendement comme objet d’interrogation, se trouve par la même, soumis a priori au concept que l’entendement va y découvrir, ne signifie pas que la science de ces objets soit inutile. Si la science ne dialogue pas avec la nature, mais lui impose son langage, elle doit néanmoins découvrir, dans chaque cas ce que les choses disent de particulier dans ce langage général. La connaissance des concepts « a priori » est en elle-même une connaissance vide, sans contenu, le labeur de la science est nécessaire pour soumettre effectivement l’ensemble du monde aux catégories de la connaissance. La nature dans sa totalité, est en droit soumise à la légalité (aux lois) que peu à peu, les scientifiques y déchiffrent en fait. En réduisant le monde qu’étudie la science, c'est-à-dire le monde accessible à la connaissance positive, au monde des phénomènes, Kant réserve à la philosophie le champ de toutes les questions qui concernent la destiné humaine. Avec Kant, la philosophie abandonne à la science le champ du savoir positif, pour se réserver la méditation sur l’existence humaine, sur l’ouverture qui constitue la liberté de l’homme, bref, sur tout ce qui, en l’homme est censé transcender les déterminations positives, naturelles. Dès lors, la question se pose, une philosophie de la nature est-elle à nouveau possible, qui permette de penser de manière cohérente l’insertion de l’homme dans la nature et les perspectives de son devenir dégager par la science.
3. Une philosophie de la nature ?
a) Hegel
Depuis la fin de la relative unanimité du XVIII° siècle, (comprenant la nature comme un mécanisme), le problème du devenir et de la complexité se trouve posé. La philosophie hégélienne, est un exemple éminent de pensée philosophique, à la recherche, contre le réductionnisme scientifique d’une cohérence nouvelle : elle intègre la nature, ordonnée en niveau de complexité croissante, dans un tableau du devenir mondial de l’Esprit. Le règne de la Nature s’achève avec l’Esprit devenu conscient de soi -l’homme. On peut dire en bref, que la philosophie hégélienne de la Nature fait un système de tout ce que niait la science newtonienne, et en particulier de la différence qualitative entre le comportement décrit par la mécanique et celui des êtres plus complexes. (…) Hegel savait parfaitement que cette idée de la distinction de niveau (que nous pouvons reconnaître indépendamment de sa propre interprétation) correspondait à une complexité croissante et à une signification chaque fois plus riche de la notion de temps. (Rompant ainsi avec la notion de temps homogène de la physique mathématique.)
En quelques années, les difficultés intrinsèques de la pensée hégélienne, et la complète obscurité de la plupart de ses références scientifiques mettait en cause la logique de développement de l’Esprit dans la Nature.
b) Bergson
A la fin du XIX° siècle, Bergson entreprît de rechercher une alternative à la science de son époque qui a pris le mécanisme pour modèle.
Pour échapper à cette image du monde de la science classique, Bergson l’explique comme le produit d’une intelligence pragmatique et industrieuse, qui vise à se rendre maîtresse de la matière et élabore par abstraction et généralisation des concepts qui sont déterminés par la nécessité de fabriquer et de manipuler les objets, de prévoir et d’agir sur les corps naturels.)
Ainsi, Bergson est amené à opposer au temps du monde tel que le décrit la science, la durée qui est le temps de la conscience, faite de l’interpénétration des états psychiques. C’est ainsi que Bergson, peut affirmer à l’encontre de la science : « le temps est invention, ou il n’est rien du tout. » Cette démarche le conduit à comprendre la nature comme élan, élaboration continue de nouveautés, totalité se faisant dans un développement essentiellement ouvert, sans finalité prédéterminée. Mais, cette affirmation, implique le désaveu de la science qui reste impuissance à saisir la durée dont l’essence est à la fin du compte spirituelle.
Aujourd’hui, nous savons effectivement que le temps mouvement critiqué par Bergson n’est pas celui de la nature ; mais nous ne sommes pas arrivés à cette conclusion par abandon de la démarche scientifique, mais par la découverte des limitations des concepts mis en œuvre par la science classique.
Dans ces conditions, il faut poser la question : « une philosophie de la nature est-elle encore possible, qui ne se constitue pas contre la science dont elle prétendrait définir une fois pour toute les limites. »
c) Whitehead
On peut voir dans la cosmologie de Whitehead, une tentative importante dans le champ alors déserté de la philosophie de la nature.
Whitehead, dans son œuvre majeure Process and reality, a cherché à comprendre l’expérience humaine comme processus appartenant à la nature, comme existence physique. Cette exigence le mena, d’une part à répudier la tradition philosophique, qui définit l’expérience subjective en termes de conscience, de perception et de réflexion ; et d’autre part, à penser toute existence physique en termes de désir, de sensation, d’émotion, de décision. Comme Bergson, Whitehead a donc souligné les insuffisances du schéma théorique de la science du XVII° siècle.
Selon Whitehead, la philosophie a hérité du dualisme issu du succès énorme de l’abstraction scientifique, qui produit d’une part la matière, avec sa localisation simple dans l’espace et dans le temps et d’autre part l’esprit qui perçoit, souffre, et raisonne.
C’est ainsi qu’elle a oscillé entre trois extrêmes : -les dualistes qui acceptent la matière et l’esprit sur un pied d’égalité.
et les deux espèces de monistes :
-ceux qui mettent l’esprit dans la matière
-et ceux qui mettent la matière dans l’esprit.
La tâche de la philosophie allait donc être pour Whitehead de penser le devenir comme constitutif d’entités individuelles qui naissent et meurent. : aucun élément de la nature n’est support permanent de relations changeantes ; chacun tire son identité de ses relations avec les autres ; chaque existant unifie dans le processus de sa genèse, la multiplicité qui constitue le monde. En ajoutant à celle-ci un ensemble supplémentaire de relations.
CHAPITRE V. Les stades de la thermodynamique ou la découverte de l’irréversibilité des processus
1) La découverte des « structures dissipatives »
Le premier principe de thermodynamique introduit en physique le concept d’irréversibilité :il énonce que dans des conditions initiales données, un système évolue de manière irréversible lorsqu’il tend vers un état final unique, toujours le même, quel que soit son état initial : C’est le phénomène d’entropie A titre d’exemples : le phénomène de conduction thermique, ou encore le vieillissement biologique
Il existe donc une direction d’évolution privilégiée qui ne peut être inversée sans l’action d’un agent extérieur au système. D’une manière générale, c’est l’existence de phénomènes irréversibles qui permet de fixer le sens d’écoulement objectif du temps.
Le second principe de la thermodynamique tel qu’il est exprimé par l’inégalité de Carnot-Clausius,codifie l’irréversibilité. Il montre que l’entropie ne peut que croître dans un système par suite des transformations irréversibles qui s’y produisent. L’entropie est donc un véritable « indicateur d’irréversibilité »… Dans un système isolé la croissance de l’entropie ne s’arrête que lorsque le système atteint un état d’équilibre (maximum de l’entropie), qui met un terme à l’évolution « désordonnée » du système.
C’est l’étude des systèmes vivants qui conduit les chercheurs de l’école de Bruxelles, dont le chef de file est Ilya Prigogine, à cette conclusion : « les structures biologiques sont des états spécifiques de non-équilibre ; elles exigent une dissipation constante d’énergie et de matière, d’où leur nom de structures dissipatives. « C’est, écrit Prigogine, par une succession d’instabilités que la vie est apparue. C’est la constitution physicochimique du système et les contraintes que le milieu lui impose, qui détermine le seuil d’instabilité du système. Et c’est le hasard qui décide quelle fluctuation sera amplifiée après que le système a atteint ce seuil et vers quelle structure, quel type de fonctionnement il se dirige parmi tous ceux que rendent possibles les contraintes imposées par le milieu. »
Peu à peu se modifie la compréhension que nous avons du statut du second principe de la thermodynamique. Dans les systèmes vivants, ce principe, loin de conduire à l’idée de dégradation, qui s’achève par un état d’équilibre, montre que l’évolution du système rend au contraire possible des processus d’auto-structuration.
Cela signifie que l’état d’équilibre, auquel aboutit l’entropie dans un système isolé, se révèle dans un système non fermé, soumis dans la nature à l’interaction universelle, est « structurellement » instable
Le terme « structure dissipative » créé, en 1969, par Ilya Prigogine souligne la signification des résultats auxquels lui-même et ses collaborateurs de l’école de Bruxelles venaient de parvenir : Loin de l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire dans des systèmes traversés par des flux de matière et d’énergie, peuvent se produire des processus de structuration et d’organisation spontanées au sein de ces systèmes, qui deviennent le siège de « structures dissipatives ».
L’association entre les termes structure et dissipation, apparemment paradoxale puisque le mot structure évoque l’ordre alors que le mot dissipation évoque le gaspillage, le désordre, la dégradation, marquait le caractère inattendu de la découverte ; le second principe de la thermodynamique, qui a trait aux processus producteurs d’entropie, était usuellement associé à la seule idée d’évolution irréversible d’un système vers l’état d’équilibre, identifié comme l’état de désordre maximal, où toute l’énergie utilisable du système s’est dégradée ; il condamnait à la régression et à la disparition toute fluctuation qui écarte le système de l’état d’équilibre.
La découverte des structures dissipatives signifie que l’irréversibilité, loin de l’équilibre, peut jouer un rôle constructif et devenir source d’ordre : L’interprétation nouvelle fait appel au mécanisme sous-jacent d’intervention des fluctuations. Les fluctuations, au lieu de régresser, peuvent s’amplifier et le système adopte alors un régime de fonctionnement nouveau, qui ne résulte plus de la compensation mutuelle des événements moléculaires, mais constitue un véritable ordre macroscopique surgi de la foule de ces événements.
Il en résulte un changement de branche ou bifurcation vers une nouvelle structure.
La thermodynamique des processus irréversibles a découvert que les flux qui séparent certains systèmes physico-chimiques et les éloignent de l’équilibre, peuvent nourrir des phénomènes d’auto-organisation spontanée, des ruptures de symétries, des évolutions vers une complexité et une diversité croissantes
La seconde étape de la révolution scientifique de notre temps, c’est bien la découverte selon laquelle l’irréversibilité joue dans la nature un rôle constructif, puisqu’elle permet des processus d’organisation spontanée.
Aujourd’hui, la science des processus irréversible réhabilite au sein de la physique la conception d’une nature créatrice de structures actives et proliférantes.
Conclusion : Le réenchantement du monde
( sous-entendu par la révolution scientifique de la thermodynamique qui découvre « les structures dissipatives »)
La thermodynamique des processus irréversibles a découvert que les flux qui séparent certains systèmes physico-chimiques et les éloignent de l’équilibre, peuvent nourrir des phénomènes d’auto-organisation spontanée, des ruptures de symétries, des évolutions vers une complexité et une diversité croissantes
1er corollaire
Au niveau macroscopique comme au niveau microscopique les sciences de la nature se sont libérées d’une conception étroite de la réalité objective comprise comme une réalité régie par loi universelle immuable qui nie la nouveauté et la diversité
2ème corollaire :
Il faut renoncer à l’idéal de l’omniscience, qui était lié à à la science des trajectoires qu’un obsevateur comme le démon de Laplace pouvait calculer à partir de leur valeur initiale par un passage à la limite.
Or, la science nous fournit deux exemples de l’impossibilité de ce passage à la limite : ce so,t le chaos des yrajectoires pour les systèmes instables et la cohérence des mouvements quantiques que détermine la constante de Planck. Dans les deux casla définition d’un état ponctuel unique perd son sens ; la trajectoire n(est plus seulement une idéalisation, mais une idéalisation inadéquate.
3ème corollaire :
Que ce soit la relativité ou la mécanique quantique, elles nous ont enseigné qu’on ne pouvait connaître la nature de l’extérieur, en pur spectateur…La communication avec la nature est soumise à des contraintes que la physique peut apprendre à reconnaître, parce que ces contraintes nous identifient comme êtres macroscopiques situés dans le monde physique….mais il importe plus que jamais ( comme le fait par exemple Merleau-Ponty) de ne pas faire de cet enracinement un obstacle ( qui entraînerait le désaveu de la connaissance scientifique) ;; il importe de ne pas conclure ( comme le font tous tous les positivismes) de la relativité de nos connaissances à un quelconque relativisme désenchanté.
Il ne s’agit d’une indétermination épistémologique ( comme on l’a soutenu lors de la crise de la physique à travers le principe de complémentarité), mais bien d’une indétermination intrinsèque.
4ème corollaire : une instabilité intrinsèque à la nature
Les chemins de la nature ne peuvent être prévus avec certitude ; la part d’accident y est irréductible. ; la nature bifurcante où de petites différences, des fluctations insignifiantes peuvent, si elles se produisent dans des circonstances opportunes, envahir tout le système, engendrer un régime de fonctionnement nouveau.
ENFIN : une redéfinition de la matière comme devenir
La physique des processus nous mène à introduire une nouvelle représentation :: elle décrit des unités(photons, électrons) qui, par définition, participent à des processus dissipatifs non éliminables par transformation. Ces unités, contrairement aux « supports de forces » newtoniens, supposent l’interaction irréversible avec le monde. Leur existence physique elle-même est définie par le devenir auquel elles participent.
Si l’on rapproche la philosophie de Whitehead, on peut dire que physique et métaphysique aujourd’hui se rencontrent pour penser un monde où le processus - le devenir- serait constitutif de l’existence physique, et où, contrairement aux monades leibniziennes,, les entités existantes pourraient interagir, donc aussi naître et mourir.
L’expansion de l’Univers, la fuite des galaxies, dont la loi Hubble définit le témoignage observable, faisait du monde que nous étudions, non une vérité éternelle, mais un simple moment de l’évolution cosmique. En 1963, la découverte par Wilson du fameux rayonnement, interprété comme la trace de l’inimaginable instant initial de l’expansion qu’implique l’équation d’Einstein, allait relancer le problème de la cosmologie devenue cosmogénèse, étude de l’évolution thermique de l’univers.
La perspective que nous voyons s’ouvrir, celle d’un changement de phase primordiale, producteur de rayonnement et de particules structurées, probablement instables, inscrit l’irréversibilité dans la matière comme elle est déjà inscrite dans la vie. Le rayonnement solaire qui baigne la terre est certes synonyme de dissipation, mais il est également responsable de la création de biomolécules à la structure complexe. Que le même type de dualité puisse se retrouver à l’origine de notre univers symbolise de manière dramatique la transformation des relations entre le temps et l’existant.
C’est l’une des perspectives les plus prometteuses ouvertes par cette métamorphose de la science, est la fin de la rupture culturelle qui fait de la science un corps étranger et lui donne les apparences d’une fatalité à assumer ou d’une menace à combattre. Nous voulons montrer que les sciences mathématiques de la nature, au moment où elle découvre les problèmes de la complexité et du devenir, deviennent également capable d’entendre quelque chose de la signification de certaines questions exprimées par les myhtes, les religions et les philosophies ; capables aussi de mieux mesurer la nature des problèmes propres aux sciences dont l’objet est l’homme et les sociétés humaines.
Elle doit inaugurer une troisième culture, c’est à dire un milieu où puissent s’engager d’indispensables dialogues entre la démarche de modélisation mathématiques et l’expérience conceptuelle et pratique de ceux, économistes, biologistes, sociologues, démographes, médecins, qui essaient de décrire la société humaine dans sa complexité.